Dès la fin du 19e siècle, des millions de personnes émigrent en France, et notamment à Paris, faisant ainsi dire à l’historien Gérard Noiriel :
“En dehors des pays neufs, nulle autre nation au monde, pas même les Etats-Unis, n’a connu une immigration aussi massive et aussi constante tout au long du 20e siècle”.
Ces hommes et femmes déracinés pour des raisons politiques, économiques … sont loin de tous parler français dès leur arrivée et dès lors, de nombreuses structures d’information voient le jour dans leurs langues maternelles. Cette presse en langue étrangère permettait de s’informer au jour au jour mais aussi de mettre en relation ces nouveaux arrivants et de continuer à garder un lien culturel avec leur pays d’origine.
La presse, reflet des migrations à Paris tout au long du 20e siècle
Comme dans le reste des collections de bibliothèques en France, les périodiques en anglais publiés à Paris dominent les collections (plus de 30 titres). Ce constat est loin d’être une surprise étant donné qu’historiquement, le premier périodique en langue étrangère publié à Paris est en langue anglaise. A la Bibliothèque historique, cette production apparaît dans les collections pour la fin du 19e siècle, à un moment où la plupart des titres parisiens en anglais sont rachetés par des groupes américains.
Le premier titre parisien en langue étrangère dans nos collections est ainsi le New York Herald Fashion Supplement, supplément au célèbre quotidien du même nom ayant une antenne continentale à Paris depuis 1887. Resté actif jusqu’en 1966 et tiré à plus de 50.000 exemplaires dans les années 1930, ce titre, édité afin de servir de “guide et ami de l’Américain à l’étranger” devient vite un symbole pour les expatriés américains.
Les autres langues présentes dans nos collections reflètent quant à elle la diversité et l’importance des migrations vers la capitale tout au long du vingtième siècle.
L’une des premières communautés étrangères importantes à Paris est celle des Polonais, qui arrivent par milliers dès les années 1830.

Tout au long du 19e et 20e siècle, plus de 180 titres en polonais sont ainsi publiés dans la capitale : la Bibliothèque historique conserve l’un d’entre eux, en l’occurrence plusieurs numéros de la revue Polonia, fondée en 1914.
Cet hebdomadaire prend en compte l’évolution de la communauté polonaise, en s’adressant à la deuxième génération voir troisième générations de migrants et alternent les articles entre le français et le polonais. La revue fait naturellement le lien entre la France et la Pologne, proposant des chroniques des deux pays mais aussi, en pleine Première Guerre mondiale, une nécrologie des soldats polonais tombés au Front.

La même année, un autre journal fait son apparition dans le quartier du Marais: Letzte Neyes, publié entièrement yiddish, s’adresse sans surprise à la communauté ashkénaze qui est arrivée massivement les années précédentes en raison des pogroms perpétrés en Russie.
La revue est une ressource inestimable sur la vie quotidienne dans le Pletzl : sur la page de titre, se côtoient ainsi la petite et la grande histoire et, aux nouvelles du front en Belgique, succède l’annonce de l’ouverture d’un bar juif au 15 rue des Rosiers.
Au début du 20e siècle, les Italiens deviennent quant à eux la première communauté étrangère résidant en France. Une première vague d’immigration, poussée par des raisons économiques dès 1850, est complétée durant l’entre-deux guerres par de nombreux exilés politiques qui fuient le régime de Mussolini.
Paris devient alors la capitale de l’anti-fascisme et par conséquent, le lieu de production d’une presse très ancrée à gauche comme la revue Avanti di Francia publiée de 1946 à 1948. Sous-titré “Organo della Federazione in Francia del partito socialisto”, ce journal permet à une population politisée de s’informer sur l’actualité internationale dans sa langue maternelle, alors que plus de 10 % des Italiens résidant en Ile-de-France adhèrent ouvertement à une organisation antifasciste.
Les collections de presse allophone de la Bibliothèque historique se poursuivent jusqu’à la fin du 20e siècle : elles reflètent la diversification des profils de migrants, dont l’origine dépasse le simple cadre européen.
Le début des années 1980 est notamment marqué par une nouvelle vague migratoire en provenance du Zhejiang suite à l’assouplissement du contrôle migratoire opéré par le gouvernement chinois.
Le recensement de 1990 liste ainsi près de 250.000 personnes originaires du Sud-Est asiatique en France.
La même année, le journaliste Marc Muzhi San lance donc un nouveau journal, Le Péquin de Paris. Distribué à 2 .000 exemplaires, ce périodique se veut un trait d’union entre la France et la Chine et propose une riche page de petites annonces dans les deux langues qui permet de mettre en contact les Parisiens d’origine chinoise.
L’une des périodes les plus représentées dans nos collections pour la presse allophone est la Première Guerre mondiale et plus largement les deux guerres mondiales durant lesquelles 16 titres du corpus ont été publiés.

Le premier usage, celui des éditions de guerre des grands périodiques, est très clairement visible dans la bibliothèque d’Apollinaire, que la Bibliothèque historique conserve depuis 1969.
Apollinaire, de son vrai nom Guillaume Apollinare de Kostrowitzky, fait en effet partie au début du 20e siècle des nombreux migrants résidant à Paris : parlant couramment plusieurs langues, dont le français, l’anglais et l’italien, il a l’habitude de s’informer à travers différents périodiques publiés en langue étrangère.
Avant son départ au front en mars 1915 ou au contraire lors de sa démobilisation suite à ses blessures en mars 1916, il lit le New York Herald ou le Daily Mail, dans leurs éditions parisiennes. On retrouve aujourd’hui sur ces périodiques l’ex-libris en forme de caducée utilisée par Guillaume Apollinaire pour sa bibliothèque.
On retrouve également à la Bibliothèque historique la collection complète de Glas Crnorgoca (La Voix du Monténégro) : ce journal officiel accompagne le gouvernement monténégrin en exil en France à partir de 1917 et sera publié à Neuilly-sur-Seine jusqu’en 1922.
De manière assez classique, on y retrouve à la fois des nouvelles de Paris et des Balkans : une grande attention est notamment portée à l’oeuvre de la Croix-Rouge et à la diaspora monténégrine (exilés aux Etats-Unis, prisonniers de guerre).
La revue Star and Stripes, by and for the soldiers of the A.E.F est sans aucune doute le périodique avec la plus grande longévité puisque ce journal est fondé dès 1861, en pleine guerre de Sécession américaine, par des régiments de l’Illinois.
Dès l’origine, ce journal militaire a pour objectif de documenter le quotidien des soldats américains et il va, en toute logique, suivre ces derniers lorsqu’ils sont déployés à l’étranger. Durant la Première Guerre mondiale, une édition française est donc créée à Paris avec l’arrivée de l‘American Expeditionary Forces en 1917. Cet hebdomadaire, qui se targue d’être lu par plus de 500.000 lecteurs à cette période, permet à la fois de s’informer sur l’avancée du front ainsi que prendre des nouvelles des Etats-Unis. On retrouve parmi ses rédacteurs plusieurs futurs grands noms du journalisme américains comme Harold Ross : stationné en France de 1918 à 1919, il fonde le New-Yorker à son retour aux Etats-Unis.
La Bibliothèque conserve également le Giornale del soldate italiano, publié à la fin de la guerre: entièrement en italien, on y retrouve des nouvelles du front, des nécrologies de compatriotes …
Contrairement à la très sérieuse revue Star and Stripes, qui est en partie financée par le gouvernement américain, le ton de ce Giornale est plus léger : plusieurs caricaturistes comme Faïno ou Rollo y sont engagés et leurs dessins dénoncent la violence du conflit.
Le corpus publié sous la Seconde Guerre Mondiale est plus restreint : on y retrouve deux journaux en russe ainsi qu’un en occitan.

Oc ! est une édition de guerre spéciale au journal du même nom publié à Toulouse. Ce mensuel tente de renforcer la solidarité entre les soldats originaires du Sud de la France et isolés à Paris : on y retrouve des articles dans plusieurs dialectes occitans ou encore des des jeux-concours. Cette initiative sera cependant de courte durée et l’édition parisienne disparaît au bout de quelques mois en 1940.
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