On dit souvent que les guerres commerciales sont risquées, mais si ces dernières années nous ont montré une chose, c’est que nous avançons comme des somnambules dans un système truqué depuis des décennies.
Le président Donald Trump, qui a mis un point d’honneur, durant sa présidence, à remettre en question les orthodoxies économiques mondialistes, a choisi les droits de douane pour relancer le débat sur la structure du commerce mondial.
Depuis 1990, la politique commerciale américaine est façonnée par la diplomatie et le compromis, mais l’ère des négociations polies semble révolue.
Le 2 avril 2025, à l’occasion de ce qu’il a qualifié de « Jour de la Libération », le président Trump a annoncé un nouveau régime tarifaire d’envergure : un droit de douane général de 10 % sur toutes les marchandises importées et des taxes punitives sur certains pays, dont la Chine, où certains produits seront taxés à des taux pouvant atteindre 50 %.
Ces mesures comprennent également des délais de mise en œuvre accélérés, un renforcement des mesures de contrôle des douanes et de la protection des frontières pour empêcher les transbordements, et une redéfinition des règles d’origine afin de combler des lacunes longtemps exploitées. Cette politique marque un tournant délibéré après des décennies de libéralisation des échanges, privilégiant les intérêts stratégiques au consensus multilatéral.
Le paquet tarifaire ne constitue pas une politique unique, mais un signal que les États-Unis ne toléreront plus de désavantages systémiques dans leurs relations commerciales. À maintes reprises, les administrations américaines successives ont signé des accords commerciaux multilatéraux qui promettaient une efficacité accrue, mais ont entraîné une érosion industrielle.
Les nouveaux tarifs, appliqués à plus de soixante pays, visent à protéger les industries américaines de ce que l’administration qualifie de tricherie chronique.
La Chine reste au cœur de ce calcul, bien que les mesures aient une portée mondiale.
L’acier, l’électronique, les produits pharmaceutiques et les composants automobiles sont tous concernés. Cette politique s’accompagne d’incitations à l’investissement pour les fabricants nationaux, d’un examen accéléré des chaînes d’approvisionnement critiques et de restrictions pour les entreprises qui délocalisent leur production tout en continuant de bénéficier des marchés publics fédéraux.
Il s’agit d’une politique affirmée et sans complexe, fondée sur une stratégie cohérente : restaurer le pouvoir de négociation de l’État américain après des années de diplomatie diluée déguisée en politique commerciale.
Critiques économiques : un chœur d’alarmes
Les économistes orthodoxes ont exprimé leurs inquiétudes. L’Organisation de coopération et de développement économiques prévoit un ralentissement de la croissance américaine, estimant le taux à 2,2 % pour 2025, et anticipe une inflation atteignant 2,8 %. Les entreprises mettent en garde contre les pressions sur les coûts. Les analystes financiers évoquent le malaise des investisseurs. Les détaillants craignent une baisse des marges face à la hausse des coûts d’approvisionnement. Les groupes agricoles expriment leur inquiétude face aux représailles étrangères visant les exportations de soja, de maïs et de viande. Dans le secteur manufacturier, les entreprises dépendantes des intrants étrangers tirent la sonnette d’alarme quant à la volatilité des prix et aux ruptures de stocks.
Selon la théorie économique dominante, les droits de douane faussent les marchés, limitent le choix des consommateurs et risquent des représailles.
Ces critiques sont irréfutables, fondées sur un modèle qui suppose une conformité mutuelle, des institutions solides et un commerce réglementé. Cependant, ce modèle ne correspond plus aux réalités actuelles.
Le système commercial mondial a été compromis par des manipulations délibérées, notamment de la part d’États autoritaires aux instincts mercantilistes.
La logique du président Trump : contrer les manipulations systémiques
La justification de l’administration cible directement ces distorsions. L’inquiétude du président Trump ne porte pas sur le commerce international en soi, mais sur la manipulation systémique qui le définit désormais.
Par une dévaluation délibérée du yuan, la Chine a subventionné ses propres exportations tout en protégeant son marché intérieur de la concurrence étrangère. La Banque populaire de Chine a eu recours à des contrôles de capitaux et à des interventions secrètes sur les marchés des changes pour maintenir le yuan sous-évalué, conférant ainsi aux exportateurs chinois un avantage artificiel.
Ce même régime tolère, et dans certains cas encourage, le vol de propriété intellectuelle à une échelle qui rend la réciprocité commerciale intenable. Les entreprises américaines et européennes ont été confrontées à des cyberintrusions, à des transferts de technologie forcés et à un traitement réglementaire discriminatoire dans le cadre de coentreprises. De nombreuses entreprises occidentales, y compris européennes, ont commencé à réduire leurs activités de R&D en Chine pour cette même raison. Dans ces conditions, les droits de douane ne constituent pas des outils punitifs, mais des outils correctifs.
Barrières non tarifaires : un problème croissant
Au-delà des devises et de la propriété intellectuelle, les barrières non tarifaires ont proliféré. La Chine applique des régimes de licences opaques, des politiques d’approvisionnement public préférentielles et des programmes de subventions déguisés en initiatives environnementales.
D’autres pays utilisent des barrières réglementaires pour restreindre les produits américains. Les normes d’importation agricole de l’Inde, les retards d’enregistrement des produits pharmaceutiques au Brésil et les procédures de certification automobile du Japon désavantagent tous la concurrence étrangère sous couvert de conformité.
L’Union européenne, fervente partisane d’un commerce fondé sur des règles, opère derrière un formidable mur d’exclusions réglementaires et de préférences encadrées. L’UE impose des évaluations de conformité complexes et des normes d’éco-conception qui fonctionnent souvent comme des droits de douane de facto. La forteresse Europe prône le libre-échange sur le plan rhétorique tout en orientant les flux commerciaux au profit de ses propres industries. Ces asymétries constituent la toile de fond de la stratégie de Trump.
Rétablir l’équilibre : le commerce équitable plutôt que le libre-échange
Il ne s’agit pas ici de balances commerciales bilatérales. Des déséquilibres structurels se sont développés, et les droits de douane imposés par Trump constituent un mécanisme pour y remédier. Contrairement aux efforts diplomatiques qui ne donnent guère plus que des platitudes, les droits de douane ont des conséquences concrètes. Ils servent d’instruments de pression, conçus pour encourager les changements de comportement en rendant coûteuse la transgression des règles. Il ne s’agit pas de protectionnisme pur et dur, mais d’un recours ciblé à l’influence.
L’argument classique des consommateurs suppose que les droits de douane entraînent nécessairement une hausse des prix. Cela peut être vrai dans certains cas, mais cela ignore les coûts plus profonds du déclin industriel.
Quelles sont les conséquences de la dépendance aux chaînes d’approvisionnement étrangères pour des biens essentiels tels que les produits pharmaceutiques ou les semi-conducteurs ?
La recherche de biens toujours moins chers s’est faite au détriment de la résilience économique. Dans ce contexte, de modestes augmentations des prix à la consommation constituent un investissement rationnel dans l’autonomie stratégique.
Le cas du président Trump : donner la priorité aux intérêts nationaux
La distinction entre « libre-échange » et « commerce équitable » est fondamentale.
La théorie du libre-échange présuppose un niveau d’équité minimum entre les participants. Le commerce équitable reconnaît la nécessité de règles applicables et de pratiques équitables. Les détracteurs de Trump partent du principe que l’Amérique gagnerait à montrer l’exemple. Son administration rejette cette hypothèse, considérant le commerce comme un lieu de concurrence plutôt que de consensus. Dans cette logique, les droits de douane ne sont pas des déviations, mais des contre-mesures nécessaires.
L’argument moral découle de cet argument stratégique. Les travailleurs américains ont supporté les coûts de l’intégration mondiale sans compensation. Les communautés industrielles ont été démantelées, remplacées non par une revitalisation, mais par des emplois de services à bas salaires et une dépendance. Les promesses antérieures de reconversion et d’adaptation se sont révélées vaines. En revanche, le cadre politique actuel privilégie la capacité de production et l’intérêt national au détriment de l’efficacité théorique. Il vise à inverser des décennies de déclin du secteur manufacturier.
Un appel à une approche équilibrée
Il ne s’agit pas de nostalgie. Cela reflète la compréhension que les économies ont besoin d’une force fondamentale : des industries qui construisent, innovent et génèrent de la valeur tangible. La recherche de la production au moindre coût a sapé cette force. La politique de Trump réaffirme la nécessité d’un équilibre. Elle ne s’oppose pas à la mondialisation, mais insiste sur la réciprocité et le respect de la souveraineté.
Des inefficacités existeront. Des compromis sont inévitables. Tous les secteurs n’en bénéficieront pas. Cependant, le plus grand risque réside dans l’acceptation d’une érosion continue des capacités stratégiques. À terme, cette érosion affaiblit à la fois l’indépendance économique et la légitimité démocratique. Les politiques qui ignorent cet aspect le font à leurs risques et périls.
Les opposants invoquent fréquemment Adam Smith, mais négligent sa mise en garde contre l’alignement des politiques nationales sur les intérêts du capital transnational.
De nombreuses multinationales opèrent désormais en dehors de toute responsabilité nationale. Les tarifs douaniers réintroduisent l’idée que l’accès au marché américain est assorti de conditions et de responsabilités.
La politique tarifaire représente ainsi un rééquilibrage. Elle rappelle aux partenaires commerciaux comme aux multinationales que l’engagement économique avec les États-Unis implique des obligations, et non des droits. Cette politique réaffirme la primauté de l’intérêt national dans une économie mondiale de plus en plus marquée par l’asymétrie.
Guerres commerciales : nécessaires et stratégiques
Les guerres commerciales sont difficiles et imparfaites. Mais lorsque les objectifs stratégiques sont ignorés trop longtemps, la confrontation devient nécessaire. Les actions du président Trump reflètent sa volonté d’accepter ce fardeau.
Bepi Pezzulli est avocat auprès des tribunaux supérieurs d’Angleterre et du Pays de Galles, spécialisé en gouvernance, et conseiller au Great British PAC. Il tweete sur @bepipezzulli.
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