Les aventures de Theodore Illion au Tibet
En voyageant déguisé au Tibet au début des années 1930, Illion a fait des rencontres fortuites qui ont conduit à des contacts avec une fraternité occulte et une invitation à visiter la ville souterraine. Là, il a eu des expériences vraiment remarquables, qui sont enregistrées dans ce livre. Ilion a été l’un des premiers voyageurs à pénétrer le Tibet alors qu’il était encore isolé du monde extérieur.
Certains croient que ces histoires sont clairement symboliques mais peuvent avoir une base et des faits et probablement captiver la croyance populaire de la région. Il est difficile de déterminer la précision exacte du conte d’un point de vue occidental.
Il n’y a rien de plus merveilleux que la jeunesse, l’enthousiasme de la jeunesse, la capacité de ressentir profondément et d’expérimenter l’extase profonde de la vie. Est-il inévitable que nous devions perdre cette glorieuse chose, lentement et inexorablement?
L’art de rester jeune est une toute autre affaire que de simplement prolonger nos vies.
À l’époque de la guerre de Trente Ans, lorsque des pays entiers en Europe perdirent quasiment la moitié de leur population à cause de la guerre, la famine, et la peste, la vie moyenne de l’homme était de – dix ans. Lors du dernier siècle elle était de trente à quarante ans. Aujourd’hui elle est de soixante ans, et des scientifiques sérieux parlent de la possibilité que la durée de vie moyenne de l’humanité se prolonge à quatre-vingt dix ans.
Hélas ! tout ce progrès est plus apparent que réel. Les statistiques ne déclarent pas à quel âge l’homme commence à être vieux. L’homme vivant disons il y a 300 ans restait jeune plus longtemps que nos contemporains.
Dans ce monde de remontants et de plaisirs tout-faits, dans ce monde d’une vie prétendument “intense” qui est dans la plupart des cas rien de plus que la recherche de vitesse et de sensation pour oublier son propre malheur et sa propre terrible vacuité, l’homme et la femme vieillissent beaucoup trop vite. La plupart des personnes vieillissent et se désillusionnent très tôt. Même si la vie elle-même ne disparaît pas, la plus grande chose sur terre, la Jeunesse, est rapidement perdue.
Les masses au Tibet font d’autres erreurs, généralement de nature “spirituelle”, et vieillissent aussi prématurément, mais les vrais ermites tibétains réussissent à rester jeune presque indéfiniment.
Il y a des rumeurs au Tibet que certains de ces hommes ont cinq ou six cent ans, mais de telles histoires pourraient ou non être vraies. Il est impossible de vérifier l’âge d’un homme quand il est supposé avoir plusieurs centaines d’années d’âge, puisqu’il a survécu à tous ses témoins.
Cependant, certains de ces hommes, qui ressemblent à des hommes en pleine santé d’environ trente-cinq ans d’âge, doivent avoir au moins cent ans d’âge, puisque nombre de personnes âgées qui vivent dans le même district ont vu ces hommes pendant cinquante, soixante ans ou plus et déclarent qu’ils n’ont pas changé d’apparence durant cette période et qu’ils n’ont certainement pas vieilli.
Quel est le secret de cette jeunesse pratiquement éternelle?
La meilleure opportunité pour étudier un tel homme me fut offerte lorsque je suis resté cinq jours dans l’habitacle d’un frère de l’un de mes meilleurs amis au Tibet. Ils sont tous deux des ermites qui semblent posséder le pouvoir de se maintenir jeunes presque indéfiniment.
L’un d’entre eux vit au sud du désert de Gobi. Par hasard, ce fut cet homme qui m’a fourni des vêtements tibétains et a beaucoup amélioré mon accent par de fabuleux exercices de prononciation. Son frère vit dans le Tibet du Sud-Est, et ce fut ce dernier qui m’a offert l’hospitalité de son logis.
Ces ermites ne partagent pas l’idée, si commune parmi les soit-disant saints du Tibet, que la saleté est une signe de sainteté. Ils sont tout aussi propres extérieurement qu’intérieurement. Leurs habits ne sont ni opulents ni excessivement haillonneux. Seuls quelques uns sont exceptionnellement grands, et bien qu’ils mangent très peu – souvent rien si la météo est claire et belle – ils ne sont pas très minces. Il faut reconnaître, cependant, qu’ils ne semblent pas avoir un grain de matière grasse.
Il y avait une merveilleuse atmosphère de sérénité dans les logis de mes amis tibétains. Il y avait une atmosphère magnifique de réelle hospitalité – une hospitalité si naturelle et sans efforts que l’on se sentait immédiatement chez soi.
Pendant trois jours après mon arrivée il n’avait pratiquement pas mangé, et je commençais à me demander si c’était son jeûne qui le préservait si longtemps sa jeunesse. Il ressemblait à un homme de trente ans environ, et il se comportait parfois comme un jeune garçon. Aussi, ses yeux étaient plutôt, ceux d’un enfant que ceux d’un homme de pleine maturité. Son âge réel – à en juger par les déclarations de nombreuses personnes âgées qui l’avaient vu il y a des décennies – devait être de quatre-vingt dix ans au moins.
Il n’y avait rien de solennel ou d’intimidant en lui, et un matin lorsque nous nous poussions mutuellement et facétieusement pour faire des exercices, j’ai tenu son corps. Il était élastique et souple, comme le corps d’un garçons de dix-neuf ans.
Je me suis à nouveau demandé si sa très faible alimentation avait quelque chose à voir avec son apparence de jeunesse. J’y avais juste pensé, sans lui demander. Il a souri, m’a pleinement regardé avec ses yeux brillants, qui changeaient continuellement d’expression, et m’a dit :
“Ce n’est pas le jeûne qui me fait rester jeune, mon ami.”
“Pourquoi mangez-vous si peu, alors?” ai-je demandé.
“Parce que nous n’avons pratiquement jamais faim,” a-t-il répondu.
“Maintenant, écoute moi avec attention,” continua-t-il, après une petite pause. “Dès l’instant où tu fais un effort pour rester jeune, tu vieillis. Dès l’instant même où tu fais un effort pour garder quelque chose, tu as peur de le perdre. Et la peur empoisonne un homme, quoi qu’il fasse et quoi qu’il mange. C’est la peur qui détruit la jeunesse des gens.”
“N’oublie pas que dans la vie tout est relatif, et qu’il n’y a pas de valeurs absolues. Même le bien et le mal n’existent pas réellement. Rien n’est vraiment bien ou vraiment mal. Tout dépend de comment on utilise une chose. Vous ne pouvez pas rester jeune par certaines pratiques. Si vous vieillissez dans le cœur, l’âge physique survient rapidement, quoi que l’on mange ou que l’on fasse pour rester jeune.
Et qu’est la jeunesse ? C’est la liberté envers les préjugés, la liberté envers les manières habituelles de penser ou manières habituelles de vivre. Donc aussi longtemps que nous sommes spontanés, aimants, et enthousiastes nous sommes jeunes.
“C’est très simple,” ai-je osé remarquer. “Mais nombre de personnes aimeraient une liqueur miraculeuse leur donnant la vie éternelle.”
“Précisément,” a-t-il répondu, “mais une chose telle qu’un élixir apportant la jeunesse éternelle n’existe pas.
“Ne pense pas que je suis brutal lorsque je dis que je te montre le monde tel qu’il est réellement. Si nous donnons au monde un élixir de vie éternelle nous ne ferions qu’empirer les choses. Nombre de personnes utilisent leurs vies pour faire du tort aux autres, tout en faisant de courts efforts pour être bon, ayant ainsi une excuse pour être néfastes tout le reste du temps. Et que dire du problème du chômage ?” ajouta-t-il avec un grand clin d’œil, montrant qu’il en savait plus sur l’Occident que je ne l’imaginais. “Et que dire du problème de la surpopulation ?” Sa voix devint infiniment triste.
“Dans un monde où l’homme est l’ennemi de l’homme, une vie prolongée ne créerait que des problèmes en plus. Rallonger la vie des personnes sans changer leur cœur ne ferait qu’augmenter les troubles du monde qui sont provoqués par l’attitude erronée des individus qui cherchent leur propre bonheur aux dépends du bonheur des autres. En combattant simplement les symptômes d’un trouble – y compris le vieil âge prématuré – nous n’améliorons pas les choses. Nous avons combattu les symptômes de l’égoïsme depuis des siècles, et en dépit de cela le monde est devenu de plus en plus malheureux.
“Êtes-vous heureux?” ai-je demandé.
Des larmes coulèrent sur son visage lorsqu’il formula sa réponse. “Non, je ne le suis pas. Les gens de mon type sont souvent dans une solitude à briser le cœur, si vous regardez cela d’un angle strictement humain. J’aime les autres, et pourtant je sens que ce que je peux faire pour eux est infiniment peu. Il y a un profonde tragédie en cela. Je ne peux pas être heureux avant que le monde entier le soit, et il y a un long calvaire, un clavaire infiniment long, encore à venir avant que ce but ne soit atteint.”
Je n’ai soudainement pas pu m’empêcher de penser à une conversation sur les plaisirs du paradis et les souffrances des damnés que j’avais eu avec un théologien érudit.
Il semblait avoir le sentiment qu’il ne faille pas vraiment craindre l’enfer tant qu’on n’est soi-même pas certain d’aller au paradis. Mais revenons à ma conversation.
“Est-ce que la vie vaut la peine d’être vécue?” ai-je demandé à l’ermite.
“Oui,” répondit-il “la Vie est grande la Vie est glorieuse, il y a toujours cette alternative entre les sommets vertigineux et les affreux abîmes. Tout est relatif et il n’y a aucune certitude. Si vous vous rendez compte que vous pouvez vivre avec le cœur d’un jeune garçon. C’est seulement si vous vivez avec le cœur d’un jeune garçon que la vie vaut la peine d’être vécue. Alors vous connaissez beaucoup de choses et pourtant vous ne vous sentez pas supérieur. Je ne pense pas que je suis un individu exceptionnel ; je suis juste un humble serviteur de l’humanité. Je vis et j’aime.”
“Que peut-on faire pour le monde ?” ai-je demandé?
“Nous pouvons être des signaux indicateurs, montrant la route à ceux qui tâtonnent dans le noir. Mais malheur à eux s’ils commencent à nous vénérer. Si les gens attendent des signaux indicateurs pour les aider, ces signaux indicateurs deviennent leurs plus grands obstacles.
“Mais comment allons-nous influencer les autres, concrètement?
“La plupart des gens contribuent d’une façon ou d’une autre aux souffrances du monde – souvent sans même le savoir eux-mêmes,” a-t-il répondu.
“Tout ce qu’un homme sincère peut faire est ne pas co-opérer avec quoi que ce soit qu’il considère comme stupide, quoi qu’en soit le résultat pour sa vie et ses biens.”
Il se mit soudainement à rire comme un espiègle jeune garçon coquin, ses explosions de vivacité contrastant étrangement avec son sérieux quelques instants auparavant. “Je dois rire,” dit-il, “lorsque j’utilise le mot “biens”, puisque je n’ai pas de biens. Je n’ai rien, donc je ne crains pas de perdre quoi que ce soit.
“Devrions-nous recommander aux gens de rechercher la pauvreté?” ai-je demandé.
“Non. Il n’y a pas d’inconvénient à la richesse si les gens ne se cramponnent pas à elle.”
“Alors que le mépris de l’argent, des richesses, et du pouvoir n’a pas besoin d’être un premier pas?”
“Non. Cela vient tout seul, une fois que les gens ont compris la vie.”
“Quel devrait être le premier pas, alors?”
“Se comprendre soi-même. Il est bien plus facile de comprendre les autres qu’il l’est de se comprendre soi. Ne penses-tu pas qu’il est plus facile pour quelqu’un de comprendre l’enfant d’une autre personne, qu’il l’est de comprendre son propre enfant ? Plus il y a d’intérêt partial et égoïste pour une chose que nous sommes, plus il est difficile de comprendre. N’y a-t-il rien de plus difficile de se juger objectivement soi-même ? Dis aux gens de devenir pleinement conscients d’eux-mêmes. Dis-leur de continuellement enquêter sur leurs propres motivations, d’être ouvertement brutal à eux-mêmes.
Cela peut fournir une première incitation à la prise de conscience de sa propre incomplétude et ainsi un premier pas vers la compréhension.
“Après tout, c’est très simple. Aime ! Aime plus et plus intensément. Et si ton amour est libre du poison de l’égocentrisme tu ne te sentiras pas supérieur parce que tu es une compréhension plus profonde. Si le réel amour engendre la compréhension, cette compréhension sera exempte du terrible piège de l’arrogance spirituelle.
Mon sage ami faisait tout lui-même. L’heure du repas était venue, et il a préparé notre nourriture. J’ai reçu un petit repas d’orge avec des radis secs, alors que son menu était constitué de peut-être deux ou trois cuillerées à thé d’un mélange d’herbes que ses amis avaient ramené pour lui des Himalayas.
“J’ai reçu un petit sac de celles-ci il y a trois mois,” me dit-il. “Il y en a encore plein dedans.”
“Peu d’occidentaux seraient satisfaits d’un tel repas,” ai-je observé.
“Je ne suggère pas un instant qu’ils devraient manger une telle nourriture. Il y a beaucoup de bien dans tout le progrès de la civilisation,” répondit-il, “mais les gens en font du gâchis. Plus ils inventent de machines, plus ils compliquent la vie. De sorte qu’en fin de compte, cela ne les améliore pas.
“Je devrais avoir l’esprit d’utiliser des machines ici,” ajouta-t-il. “Pourquoi devrai-je travailler une heure par jour pour mes vêtements si je peux faire le même travail avec une machine en dix minutes ?”
“Eh bien, pourquoi n’en prends-tu pas une?”
“Ici, je deviendrais trop ostentatoire si j’utilisais des machines,” a-t-il répondu, “et alors j’accélèrerais la marche de la pénétration occidentale ici au Tibet, qui a déjà commencé près des frontières du pays, et aussi en certaines parties du district de Lhassa.”
“As-tu un lien avec le district de Lhassa?” lui demandai-je, plutôt surpris. “Je pensais que ce district était l’un des plus isolés du Tibet.”
“Peu importe de comment dont j’obtiens mes informations,” répliqua-t-il avec intention. “Si tu vas toi-même au district de Lhassa, tu peux vérifier si j’ai raison.
“Mais tu ne peux pas y aller pendant ce voyage. Ce ne serait pas sûr, puisque tu devrais voyager déguisé dans un district où de nombreuses personnes blanches ont déjà été vues par les habitants.
“Peut-être que je devrais y aller lors de ma prochaine visite au Tibet dans cinq ou six ans,” ai-je dis.
“Ne te précipites pas autant à faire des plans, ami” me dit-il. “Il peut y avoir de gigantesques bouleversements interférant avec tes plans, bien que rien ne soit définitivement déterminé pour l’instant. Tout dépend de ce que fait chacun de nous. Une bonne pensée peut faire pencher la balance dans du bon côté.
“Pourquoi ne souhaites-tu pas que le progrès occidental vienne au Tibet?” ai-je demandé ?
“L’Occident fait une horrible erreur en donnant une sur-importance à la matière. Cette partie du monde fait l’erreur opposée. Le Tibet fuit l’aspect matériel. En amenant les machines ici nous ferions pencher la balance de l’autre côté, et les gens deviendraient inévitablement matérialistes.
“Une nouvelle conception de la vie est nécessaire dans le monde entier,” continua-t-il plus fortement ; comme s’il m’avait complètement oublié et parlait à l’humanité toute entière. “L’Occident fuit l’Esprit et l’Orient fuit la Matière. Les rares personnes qui font un effort en Occident pour être religieuses sont semblables aux quelques types en Orient, qui fuient également la Matière. Et les rares personnes en Orient qui, par un effort, rompent avec ce qu’ils appellent religion deviennent matérialistes comme la plupart des occidentaux.
“À moins que nous créions une nouvelle conception de la vie,” continua-t-il, “l’Orient et l’Occident sont tous deux condamnés. Nous avons besoin d’un nouveau type d’humanité qui soit à la fois Matière et Esprit. Il n’y a que de telles personnes qui peuvent être humaines. Une personne fuyant la Matière ou l’Esprit, ne l’est jamais.”
Il me conduisit à la porte de son logis. Un paysage splendide se tint sous nos yeux. L’air était aussi clair que le cristal. À une distance d’environ douze kilomètres, à environ 800 mètres en contrebas, il y avait un lac de montagne.
Mon ami tibétain me montra une île sur le lac. Il me raconta que des ermites tibétains vivaient sur cette île, et que la population considérait que c’était en leur devoir de leur apporter de la nourriture. Le lac était gelé durant tout l’hiver jusqu’à la fin du printemps, et l’approvisionnement en nourriture était facile à obtenir jusque là. Mais lorsque l’été arrivait la glace fondait, et les radeaux ne pouvaient pas encore être utilisés, puisque les radeaux tibétains sont constitués de sacs en peau gonflés.
Alors des gens risquaient leur vie pour apporter de la nourriture aux ermites en marchant à la surface de la glace fondante. Les soi-disant ermites considèrent que leurs prières sont plus efficaces sur l’île qu’ailleurs, et ne veulent pas prier autre part, même au prix de mettre en péril la vie d’autres personnes.
“Ici tu vois un exemple de gens qui fuient la Matière.” m’a dit mon ami. “Ils prient, et sont bons lorsqu’ils prient, mais ne sont pas bons dans leurs vies quotidiennes. Peux-tu imaginer un être vraiment humain prier sur l’île, et ce faisant, forcer d’autres personnes à risquer leurs vies en marchant sur la glace ?
“Méfie-toi des gens qui pensent qu’ils sont bons, mon ami,” ajouta-t-il. “Dans la plupart des cas nous sommes pires lorsque nous imaginons que nous sommes bons.”
J’ai dû penser aux idéalistes cruels et aux guerres de religion. J’ai dû penser au fait que lors des derniers siècles un grand nombre de systèmes ont été fondé pour aider les autres et les rendre meilleurs, et qu’en dépit de cela le monde semble être un véritable asile de stupidités et d’horrible souffrance.
Nombre d’entre nous essayent d’être “bons”, mais souvent nous sommes bons que pour quelques minutes de ci de là, et nos idéaux et brefs moments de gentillesse et bienveillance ne font que nous fournir une excuse pour être des égoïstes hypocrites tout le reste du temps. Nombre d’entre nous sommes idéalistes parce que cela nous sert d’être idéaliste. Un tel idéalisme n’a absolument aucune valeur. Au contraire, cela contribue à masquer les symptômes, empêchant ainsi le monde de voir les causes sous-jacentes de nos problèmes.
Combattons l’égoïsme et l’imperfection en nous-mêmes et non chez les autres. Le monde serait bien meilleur et bien plus humain si les gens se consacraient à se juger eux-mêmes seulement le dixième des énergies qu’ils gaspillent en jugeant les autres par la pensée, la parole, et l’action.
Contrairement à la majorité des tibétains qui découvrent comment ils devraient vivre qu’au moment où leurs vies sont presque passées, les vrais ermites tibétains ont le courage de vivre leurs propres vies sans se tourner vers les habitudes et préjugés. Lorsqu’ils sont en vie, ils sont toujours amoureux de la vie. Leur perspective sur la vie est une réalité vivante et dynamique.
Ils ne souhaitent rien, pas même une longue vie, la santé ou le bonheur. Ils vivent juste sans paralyser leurs vies ou permettre qu’elles soient paralysées par d’autres, et cette attitude demande une bonne dose de détermination dans le monde. Ils sont bienveillants envers tout ce qu’ils traitent – bien qu’ils peuvent parfois être durs envers des individus s’ils pensent que la vie dans son ensemble l’exige – et cet “ensemble” comprend aussi leurs propres corps. Ils ne se maltraitent jamais. Ils ne désirent rien, et pourtant tout leur est donné.
Curieusement, le fait qu’ils ne désirent rien semble associé à une force de volonté inébranlable, mais cette force de volonté n’est jamais utilisée du point de vue du “moi”, mais toujours du point de vue de tout ce qui comprend aussi le “moi”.
Ils sont très sages, probablement juste par le fait qu’ils n’accumulent pas le savoir comme un avare accumule l’or. Ils ne jugent les choses pas seulement avec leur cerveau, mais avec leur cerveau et leur cœur. Et cela est la sagesse à savoir, pas uniquement l’accumulation et le catalogage d’innombrables détails, mais la compréhension de liens vitaux. Quelqu’un qui tuerait les spécimens de toutes les espèces inconnues d’animaux au Tibet, par exemple, ne serait pas plus sage en les examinant de façon très approfondie.
Notre civilisation, avec tous ses apprentissages, équipements et perfectionnements techniques en perpétuelle évolution, nous a-t-elle rendu sages et heureux ? Est-ce que notre énorme connaissance et information nous a rendu plus sages que ces ermites tibétains ? Certainement pas. Car nous avons uniquement accumulés des savoirs et nous manquons de sagesse pour intégrer tous ces savoirs et tous ces perfectionnements à des buts constructifs et bons.
Dans certaines parties du Tibet, où l’information sur l’Occident est disponible, même un type ordinaire ne voudrait pas de la civilisation occidentale.
“Cela n’apporte que malheur et discorde,” disent-ils. “On n’en veut pas ici.”
Allons-nous détruire la civilisation et grimper aux arbres parce que nous ne sommes pas assez intelligent pour l’utiliser comme elle devrait être utilisée ? Si le cœur de l’homme change, la civilisation cessera de conquérir ses propres fins. Après tout, la civilisation est-elle bonne ou mauvaise ? Rien n’est bon ou mauvais. Tout dépend de comment nous en faisons usage.
L’aspect technique et scientifique de la civilisation a évolué à un rythme stupéfiant, mais pendant ces temps de progression matérielle rapide le cœur de l’homme n’a presque pas changé, en dépit de siècles entiers à parler d’amour et de fraternité. Il y a-t-il vraiment une différence entre l’homme qui allait au cirque il y a 1800 ans pour voir des gens se faire réduire en pièce par des lions, et l’homme moderne qui va au cirque lorsqu’il attend que l’acrobate se casse le cou ?
Tous les tibétains qui vendent des drogues spirituelles défendent la croyance que si l’on s’approche d’une très sainte personne, le seul fait d’être à proximité d’elle nous aidera automatiquement, et sera d’un bénéfice spirituel.
Dans le monde de la spiritualité réelle il ne peut y avoir aucun “avantage”. Même la présence d’un grand être dynamique ne nous aide pas automatiquement. Cela libère simplement tout ce qui est caché en nous, et pas seulement nos côtés lumineux, mais aussi les autres. Peu se demandent pourquoi les vrais ermites sont si réticents à rencontrer la foule curieuse.
Les vrais ermites ne se disent jamais “saints”. Méfiez-vous de ceux qui font un tel effort pour vous convaincre qu’ils sont bons et moraux. SI quelqu’un est vraiment vertueux, il n’a pas besoin de souligner ce fait.
Une fois seulement j’ai demandé à un saint tibétain s’il était vertueux. Sa réponse était – un rire joyeux ! Et pourtant je suis convaincu qu’il n’a jamais péché. Le principe directeur de sa vie était l’amour. Il n’a jamais fait aux autres ce qu’il ne voulait pas que les autres lui fassent. C’était son code moral, m’a-t-il dit par la suite.
Cet ermite qui, bien sûr, savait aussi que j’étais une personne blanche, m’a donné des réponses à de très vitales questions.
“Dis-moi si tu as trouvé la Réalité,” lui ai-je demandé.
“La Réalité, la Vérité, la Vie, Dieu, l’Éternité, l’Amour tout-embrassant – tout cela est la même chose,” a-t-il répondu. “Tu ne peux pas trouver la vérité. Dès l’instant où vous avez votre vérité, ce n’est plus la vérité.
“Aussi longtemps que nous vivons nous devons être en quête,” continua-t-il. “La vie n’aurait pas de sens s’il y avait quoi que ce soit de certain. Plus tu es poussé par la vie, mieux c’est. Ne sois jamais satisfait, surtout avec toi-même.”
“N’y a-t-il pas de principe directeur?” ai-je demandé.
“Il y en a un,” a-t-il dit, tandis que ses yeux s’illuminaient d’un amour et d’une compassion infinie, “le principe directeur devrait être l’AMOUR. Si tu lui es fidèle, il te montre le bon chemin.”
Nous venions de la vallée dans laquelle j’avais traversé la rivière grâce à mon dispositif flottant juste avant de le rencontrer. Après avoir répondu à mes dernières questions, il augmenta sa vitesse. J’ai fait de même. Je peux marcher à neuf kilomètres/heure sans courir. Mais le tibétain marchait encore plus vite !
“N’y a-t-il pas de piège sur la route?” ai-je demandé.
“Il y en a un. Le plus terrible de tous les péchés : l’arrogance spirituelle. Si l’amour ouvre ton coeur à une compréhension plus profonde et que tu abuses de la lumière ainsi donnée en te sentant supérieur et méprisant envers les autres, alors tu commets le plus grand péché contre ton vrai soi.”
Il augmenta encore sa vitesse. Maintenant, à onze kilomètres/heures, je ne pouvais plus le suivre sans courir.
J’ai réalisé qu’il souhaitait être seul. Les nalliorpas tibétains ne font jamais d’effort pour être “gentil”. Ils n’hésitent pas à être ferme s’ils veulent clore une discussion.
Je me suis arrêté un instant et ai regardé derrière moi. Lorsque je me suis retourné quelques secondes plus tard il était en dehors de mon champ de vision. Ce fut peut-être mon expérience la plus étrange de mes voyages en Asie.
Maintenant il était de nouveau seul physiquement, mais il était probablement en contact avec tous les coins de l’univers, par télépathie. Imaginez un homme qui en sait autant, qui est incommensurablement sage, et pourtant incapable d’aider ses congénères directement.
Ces hommes n’essayant jamais d’influencer le libre-arbitre des autres. La vie n’a pas de sens si nous devenons juste des marionnettes, suivant automatiquement les diktats des chefs spirituels, même s’ils sont très puissants et sages. L’homme a le choix entre le plus grand bien et le mal le plus horrible. Son destin se tient dans ses propres mains. C’est la gloire de l’homme. Un jour il se sauvera lui-même par son propre effort et deviendra comme les hommes sages du Tibet. Ils sont analogues à des signaux indicateurs. Ils le disent eux-mêmes.
L’homme créé ses propres limites. Il doit lui-même détruire les choses qu’ils a créé. Les ermites peuvent montrer aux enfants comment ils marchent, mais s’ils les portent dans leurs bras, les enfants n’apprendraient jamais à marcher.
Les vrais ermites sont au-delà de la critique. S’ils sont loués ou blâmés, ils ne s’en soucient pas. L’opinion des autres, qui est pour la plupart des tibétains tellement importante que leurs vies entières portent le sceau de pensées automatiques et préjugés de l’époque dans laquelle ils vivent, ne semble en aucune manière influencer les hommes sages du Tibet.
Ces hommes spontanément altruistes, qui ne font de leur altruisme aucune vertu, mais qui sont continuellement, sans faire d’efforts, bienveillants et compatissants, semblent avoir conquis la mort. Ils sont “éternels”, voyant que la notion même de temps n’existe que dans la mesure où les individus tracent une ligne entre le “moi” et le “non-moi” et considèrent tout en relation avec leur petit moi.
Et puisqu’ils sont “éternels” dans le sens indiqué ci-dessus, ces hommes n’ont pas peur de la mort, bien que leur “moi” ne croit pas en un quelconque paradis personnel où ils pourront être confortablement logés.
Cependant, ces hommes sont pleinement conscients d’être des entités distinctes et séparées et n’abandonnent pas leur Âme. Ils sont et restent de fortes personnalités qui travaillent à l’amour envers les autres.
Et cela est le Nirvana, le vrai
Nirvana, pour lequel tant de fausses notions prévalent, non seulement dans les pays occidentaux mais aussi en Orient, puisque le vrai Nirvana est souvent confondu avec le faux Nirvana qui est une fabrication des prêtres. Le faux Nirvana est l’abolissement et la négation de la vie, mais le vrai Nirvana est son plein épanouissement par la spiritualisation de la matière, au lieu d’une fuite ou d’une sur-exagération de son importance.
Le vrai Nirvana est un état dans lequel l’homme est tout et rien en même temps. C’est un état d’être qui est au-delà de la mort, au-delà de la peur de la mort. Ce remplacement d’un égoïsme volontairement limité du “moi” par un désintéressement illimité n’est pas une annihilation mais un différent état de conscience. Un tel “moi” se met lui-même volontairement à la disposition du monde et travaille pour le monde, parce qu’il se sent un avec les joies et les tristesses du monde et non parce qu’une récompense égoïste lui est promise, même subtilement.
Theodore Illion ou Theodor Illion, né en 1898 au Canada (?), mort le 4 septembre 1984 à Hallein dans le land de Salzbourg, est un auteur de livres de voyage qui prétendit être parti au Tibet et y avoir découvert une cité souterraine. Il publia ses aventures tibétaines sous ce nom, mais par la suite employa les pseudonymes Theodor Burang ou Theodore Burang et, plus rarement, Theodor Nolling pour écrire divers livres et articles sur la médecine tibétaine.
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