Mystique

L’Eau et les rituels celto-druidiques

C’est en ces termes que l’on présentait à l’apprenti les bains préalables au commencement de l’initiation aux mystères d’Eleusis.

« Pour l’homme pieux, une goutte suffit. Mais l’océan lui-même et ses fleuves ne peuvent purifier le méchant ».

Cette assertion est particulièrement révélatrice des attributs symboliques et universels auxquels l’eau est dévolue depuis la nuit des temps, à savoir la purification et l’initiation.

Pour comprendre ce qui fait de l’eau un symbole si essentiel dans tous les rites de l’humanité et un objet de culte si vénéré dans la plupart des traditions du monde, il convient d’en revenir à des considérations tout à fait basiques.

L’eau est indispensable à la manifestation de la vie en Abred (terme druidique se référant au monde manifesté dans lequel nous évoluons lorsque nous sommes incarnés). Sans eau, la vie ne peut se manifester dans la matière. Ce n’est par pour rien que les astronomes concentrent leurs travaux sur la recherche de l’eau à la surface des autres planètes, ils considèrent qu’à partir du moment où elle est présente, la vie pourrait se manifester. L’eau est source de vie.


On ne parle d’ailleurs pas de source d’eau par hasard, ni de sourcier, si proche du terme sorcier, qui suggère un lien particulièrement étroit entre les pratiques cultuelles ou rituelles et les sources d’eau.

Depuis la nuit des temps, les pèlerinages, troménies et pardons consistent à suivre les énergies telluriques de la Wouivre pour se rendre à une source particulièrement vénérée qui fera l’objet d’offrandes et d’attentions particulières.

Le pèlerinage, qui n’est que la mise en pratique dans le monde de la matière de la quête initiatique ésotérique, est ainsi par définition un retour aux sources. Un retour à l’origine, un retour au point d’eau, ou devrais-je dire, au point d’O : ʘ. Partir en pèlerinage, c’est faire le point. Et le point d’eau se rapporte à la conscience du centre du cercle qui est retrouvée, la conscience du centre de l’Etre, c’est à dire de ce qui est essentiel en nous.

Les rituels et les célébrations qui rythment le cycle ne sont-elles pas toutes des rayons orientées vers ce centre, ce point d’O, qui n’est autre que le Gwenved
(terme druidique se référant au monde auquel accède l’Etre lorsqu’il est pleinement éveillé) ?


« Où se trouve la Fontaine Sacrée en ton Etre ?
Où se trouve la Fontaine Sacrée de ton Etre ?
Et où se situe la Source qui l’alimente ?
Et où est l’Origine de cette Source ? »

Extrait du Manuscrit des Paroles du Druide sans nom et sans visage, Emmanuel

On m’objectera aisément que c’est au titre d’élément originel, aux côtés du feu, de l’air et de la terre, que l’eau est indispensable à toute vie. L’eau est incontestablement nécessaire à la vie, mais pas suffisante à celle-ci.

En effet, les philosophies traditionnelles, dont le druidisme, enseignent que pour voir se manifester la vie dans le monde de la matière, celui de la chair et du quaternaire, il faut la synergie des quatre éléments statiques pour composer le carré et délimiter ainsi le terrain d’expérience. Le cinquième élément Nwyre sert d’agent liant pour la cohésion harmonieuse de ces forces primitives, et instaure la vibration, le cinq, génère la dynamique, le pulsant et autorise la vie à ne pas en rester à l’état de potentialité. Si l’un de ces éléments vient à manquer, pas de vie possible.

Pourquoi donc attacher d’avantage d’importance à l’eau en tant que source de vie ? De toute évidence parce qu’elle nous constitue à plus de 80%. La vieillesse entraine d’ailleurs une diminution du pourcentage corporel en eau, faisant rimer vieillesse avec sécheresse et jeunesse avec vitalité. La fontaine de jouvence en est l’exemple le plus criant :

« Quand l’arbre et la source apparaissent dans le rêve, c’est que le rêveur se rapproche d’une vie plus sereine, car il s’agit d’une fontaine de jouvence » – E.Aeppli –

Comment ne pas entretenir un lien privilégié avec l’élément qui nous est quasi-intégralement constitutif ? Comment ne pas imaginer que le retour aux Sources d’Eaux ne soit pas le rituel visant à retourner au plus profond de notre Etre ? A en retrouver l’Essence Sacré et originelle ?

D’autant plus que les travaux récents du japonais Masaru Emoto sur la cristallisation de l’eau tendent à confirmer des propriétés inédites de l’eau, en particulier concernant la faculté d’imprégnation des états mentaux qui l’entourent.

L’eau, qu’elle soit utilisée pour l’alimentation ou bien comme symbole dans les rituels, doit donc faire l’objet d’une attention minutieuse ; sa provenance, sa pureté et l’environnement auquel elle a été soumise sont des facteurs déterminants qui conditionnent sa qualité et ces données expliquent certainement pourquoi elle est souvent consacrée ou « chargée » par les prêtres de nombreuses traditions alors que les autres éléments ne font pas l’objet de ces pratiques.

La matière la plus féconde, dit-on, n’est-elle pas le terre-eau ? Il est de coutume dans certains groupes druidiques de procéder à l’appel aux éléments lors de l’ouverture du cercle. Terre, eau, feu et air sont alors placés aux quatre points cardinaux, rappelant ainsi que la délimitation de l’espace sacré, mais terrestre, dans lequel nous évoluons est constitué de ces éléments et c’est leur association, en proportions et en teneurs variables, qui permet de générer toutes les manifestations qui peuvent exister sur terre.

Placer l’Eau au Nord en tant qu’attribut principal de la déesse mère ne fait pas consensus, la terre pourrait aussi avoir ce rôle et un certain nombre d’éléments symboliques vont dans ce sens. Elle trouve alors souvent sa place à l’Est, le renouveau printanier étant très lié à l’abondance des averses et des pluies. La question du placement des éléments reste (heureusement) ouverte et gardons en tête Origène :

« Que tous ceux qui ont le souci de la Vérité s’inquiètent peu des mots et des paroles et se préoccupent plus du sens que de l’expression »

L’eau prête en effet à la souplesse, à l’échange et à la tolérance. Ne dit-on pas qu’il faut savoir mettre de l’eau dans son vin ? C’est entre autre le message de l’arcane de la tempérance. Cela coule de source…

L’eau est omniprésente lorsqu’il s’agit de représenter le voyage intérieur. C’est le cas, par exemple, de Maell Duinn, qui traversant les mers sur son coracle, rencontre différentes épreuves symboliques et initiatiques jusqu’à retrouver l’harmonie et à abandonner toute idée de vengeance ou de colère. L’eau de mer, à la fois origine et aboutissement du cycle de l’eau, est l’eau de laquelle tout provient et à laquelle tout retourne.

Impossible de ne pas voir dans la mer, l’image de la Mère, la Déesse-Mère. L’océan aux profondeurs abyssales est à la fois source de richesses infinies et de prospérité mais c’est aussi la source de toutes les peurs et de tous les fantasmes. Nul n’y plonge sans la peur viscérale de l’engloutissement, de la noyade et de la dissipation et c’est à la mer que l’on confie les défunts dans l’Antiquité Celte, comme à la Baie des Trépassés située en Bretagne Occidentale. C’était là que débutait le voyage des désincarnés pour l’Eau-delà…Tels des soleils qui naissent et meurent chaque jour des bras de la Mère, les trépassés, au crépuscule de leurs vies, partent rejoindre l’Autre Monde la nuit, alors que le soleil l’éclaire.

En psychanalyse, l’eau a une importance déterminante et est aussi dispensatrice de vie (dans les rêves, les enfants viennent des étangs ou des puits). Elle représente les énergies inconscientes et il faudra passer par l’étape de l’analyse pour les comprendre et les réintégrer consciemment afin de lever les symptômes. Comment ne pas y voir une analogie manifeste avec les processus de la méditation ?

Les eaux claires et printanières renvoient à la figure de la jeune fille. Elle correspond à l’anima décrite par Jung comme principe féminin présent dans tout homme qu’on ne peut que rapprocher au premier visage de Kerridwen, celui de la jeune femme de l’Equinoxe de Printemps ou fête du Sommet de Vitalité durant laquelle on célèbre le renouveau de la nature et des forces de vie en Abred.

La jeune Kerridwen trouve sa correspondance avec la déesse grecque Perséphone, déesse de l’agriculture et de l’initiation. C’est la fille unique de Déméter, vierge du printemps, aimable, douce, et souvent représentée cueillant des narcisses. Ces eaux printanières sont aussi celles de la rosée si chère aux alchimistes, « un vrai remède, un don du ciel pour les yeux, les abcès et les viscères » selon Pline.

La rosée céleste, recueillie dans des linges, est un élément essentiel dans les opérations alchimiques. Elle rend à l’être sa pureté et comme le constate Yann Brekilien :

« Soucieuse de coquetterie, elle [La servante de la ferme] lave chaque matin son visage avec son mouchoir trempée dans la rosée de la prairie, et sait ajuster sa coiffe blanche pour mettre son visage en valeur. » (Yann Brekilien, La vie quotidienne des paysans de Bretagne au XIXe siècle, Hachette, 1966) et c’est probablement à Beltaine, lorsque Kerridwen, sous son visage d’épouse, s’unit avec le jeune dieu, que la rosée céleste a sa place la plus importante.

Il s’agira d’extraire toute la dimension sacrée de cette union dans la quête du feu lumineux qui nous acheminera jusqu’au solstice d’été.

Les eaux noires des marais renvoient quand à elles plutôt à une anima non intégrée, c’est-à-dire à un féminin menaçant, encore très lié à l’image de la Mère. Ce sont les marais de Samain dans lesquels les corps putréfiés se dissocient peu à peu pour se fondre dans le réservoir de toutes les énergies et de toutes les capacités de création, autrement dit la matéria prima, le chaudron de Kerridwen, mais se présentant cette fois sous l’image de la vieille femme qui reprend le vieux dieu couronné en son sein.

Les eaux d’Imbolc, rite annuel dédié à la purification et à la lustration, se rattachent quand à elles principalement à l’enfantement. Le petit enfant, dont la naissance a eu lieu la nuit du solstice d’hiver, s’émerveille dans ce monde qu’il découvre.

Mais l’émerveillement est mère de dispersion, et il est important, au cœur de l’hiver, alors que la rudesse du froid et du dépouillement peut prêter l’être à se détourner de sa quête existentielle pour satisfaire à des plaisirs éphémères, qu’Imbolc apparaisse comme un Rappel du sens de notre présence en Abred.

Formulé au travers d’un rituel de purification dont l’eau initiatrice de Brigantia, déesse des accouchements, en est la médiatrice. Brigantia, à la fois fille et mère du Dagda, aussi habile intellectuellement que techniquement, fut christianisée au Vième siècle au travers de Sainte Brigitte, abbesse de Kildare en Irlande et sa fête est évidemment célébrée le 1er février. Eaux de mer, de rivière, de source, de marais, elles possèdent chacune leurs attributs spécifiques, faisant parfois l’objet d’une attention particulière lors de certains rites.

Les sources ont cette particularité que leurs eaux viennent des profondeurs, et sont donc patronnées par des divinités souterraines.

Toujours liées à la purification ou à la guérison, les sources ont chacune leurs spécificités et font l’objet de cultes bien déterminés.

Ce sont des lieux magiques où les êtres mythiques côtoient les nymphes et les fées qui peuvent aider le héros moyennant certaines conditions. Les questions de fécondité y sont particulièrement présentes :

« Conall et Cernach, d’où viennent ces noms ? Ce n’est pas difficile. Findchoem, fille de Cathbad, femme d’Amorgen, était en « hésitation d’enfant ». Elle rencontra un druide qui lui dit :


« Si ma récompense était bonne, tu donnerais un bon fils à Amorgen ». « Tu as raison » dit-elle, « tu auras donc de moi une bonne récompense ». Et le druide dit : « Viens demain à la fontaine et je t’accompagnerai ». Le lendemain matin, ils se rendirent tous deux à la fontaine et le druide dit : « Lave –toi avec cette eau et tu engendreras un fils ; aucun enfant ne sera mois respectueux des habitants du Connaught qui sont la race de sa mère ». La jeune femme but une gorgée d’eau de la fontaine. Avec la gorgée elle avala un ver… » – Traité du Coir Anmann ou convenance des Noms traduit par F. Le Roux et CJ Guyonvarc’h –

Alanon,
Confrérie des Amis de la Nature (ODAN).

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