Le plan Fugu (en japonais 河豚計画, Fugu keikaku) est un plan préparé dans les années 1930 dans le Japon impérial afin d’installer des réfugiés juifs fuyant l’Europe occupée par les nazis, dans des territoires occupés par les Japonais en Asie continentale, pour le bénéfice du Japon. Ce plan a d’abord été discuté en 1934, puis finalisé en 1938 à la « Conférence des cinq ministres », mais la signature du Pacte tripartite en 1941, ainsi que plusieurs autres évènements, ont empêché sa mise en œuvre.
L’abandon du plan fugu n’a pas empêché l’exode de Juifs vers le Japon. Durant l’été 1940, le diplomate néerlandais Jan Zwartendijk et le diplomate japonais Chiune Sugihara émettent quelques milliers de visas permettant aux familles juives de traverser l’URSS grâce à un visa de transit japonais pour rejoindre Curaçao.
Quand le Japon impérial voyait dans les Juifs une arme secrète pour ses ambitions mondiales : plongez dans l’étrange histoire du « Plan Fugu ».
1937. Le bureau du capitaine Norihiro Yasue sentait le tabac froid et l’encre fraîche, une odeur familière dans ces jours de tension croissante. L’homme, vêtu d’un uniforme d’un gris impeccable, fixait une carte murale de la Mandchourie, entourée d’annotations tracées à la main.
Chaque ville, chaque route, chaque ligne de chemin de fer était marquée de symboles codés. Il se frotta les tempes, fatigué. Sa vision semblait irréalisable, mais Yasue n’était pas homme à abandonner une idée une fois qu’elle avait pris racine dans son esprit.
L’idée, il l’avait eue des années plus tôt, durant son service en Sibérie, en 1919, alors que le Japon participait à l’intervention militaire contre les bolcheviks. Yasue, jeune officier de l’armée impériale japonaise, avait été déployé en soutien à l’Armée blanche.
Là-bas, il avait rencontré des officiers russes qui lui parlaient souvent des Juifs, mais toujours avec une méfiance teintée de haine. Un soir de l’hiver 1920, dans une datcha glaciale près de Vladivostok, un colonel lui avait tendu un livre : Les Protocoles des Sages de Sion.
Yasue, curieux de tout, avait dévoré ce texte. Il ignorait que c’était un faux grossier, fabriqué en 1903 par la police tsariste pour alimenter l’antisémitisme.
Pour lui, c’était un document fascinant, une fenêtre sur un réseau mondial qu’il imaginait tentaculaire et secret.
Il en retint une conviction : les Juifs, avec leur supposée maîtrise des banques et des médias, étaient à la fois redoutables et précieux.
En 1922, de retour au pays, Yasue approfondit l’étude des textes, de la Bible au Talmud, ainsi que l’histoire juive. Contrairement à ses contemporains, il ne voyait pas les Juifs comme une menace, mais comme un allié stratégique potentiel pour les ambitions impériales du Japon.
Yasue est ainsi envoyé en 1926 en Palestine mandataire par le ministère des Affaires étrangères pour étudier le peuple juif.
Il voyage à travers le pays, rencontrant des figures clés comme Chaim Weizmann et David Ben Gourion, ainsi que des fermiers, marchands et rabbins.
Son rapport au ministère des Affaires étrangères révèle cependant qu’aucune des personnes rencontrées ne mentionnait un quelconque complot mondial…
De retour au Japon, il trouva un partenaire inattendu : le colonel Koreshige Inuzuka, qu’il rencontra lors d’une réunion en 1933. Inuzuka, un homme plus pragmatique et moins passionné, voyait dans l’idée de Yasue une proposition audacieuse mais potentiellement réalisable.
Le Japon cherchait à consolider sa position en Mandchourie et à contrer l’influence des puissances occidentales. L’immigration juive, si elle était bien gérée, pouvait offrir un double avantage : dynamiser l’économie locale et renforcer l’image internationale du Japon.
« Les Juifs », disait Yasue à Inuzuka, « sont comme le fugu. Préparés correctement, ils seront une source de richesse et de force. Mais si nous échouons… » Il laissait la phrase en suspens, sachant que l’image du poisson-globe mortel suffirait à convaincre son interlocuteur.
Dès leurs premières discussions, ils esquissèrent le Plan «Fugu», visant à attirer une immigration juive pour améliorer l’image du Japon, influencer les politiques des États-Unis et de la Grande-Bretagne, qu’ils pensaient dominées par des élites juives, et contrer les sanctions.
D’un autre côté, ils voyaient les Juifs, parmi lesquels de nombreux intellectuels et entrepreneurs, comme un levier pour développer la Mandchourie, offrant des privilèges économiques et une autonomie relative en échange de leur loyauté envers l’Empire japonais.
Ils envisageaient de centrer leur projet à Harbin, marquée par une présence juive et son cosmopolitisme. Ils projetaient un quartier autonome juif, avec synagogues, écoles et commerces, financé par les réfugiés et des investisseurs juifs internationaux qu’ils espéraient attirer.
Le projet était risqué : comment convaincre des réfugiés juifs méfiants que le Japon leur offrirait un refuge sûr, tout en conciliant ce plan avec l’alliance naissante avec l’Allemagne nazie et son idéologie antisémite ? Ces dilemmes hanteraient les promoteurs du Plan Fugu.
La Mandchourie, ou Mandchoukouo, était une terre immense et riche, mais instable. En 1931, après l’incident de Mukden – un sabotage ferroviaire organisé par l’armée japonaise – le Japon envahit la région et y installa un régime fantoche dirigé par Puyi, dernier empereur de Chine.
Officiellement, le Mandchoukouo était un État indépendant. En réalité, c’était une colonie japonaise, gérée par des généraux ambitieux et des administrateurs zélés.
La région mêlait Chinois, Coréens, Russes blancs et une petite communauté juive. Harbin, capitale économique, réunissait marchands chinois, ingénieurs japonais et aristocrates russes déchus. Au cœur de cette diversité, la communauté juive occupait une place particulière…
Les Juifs de Harbin, majoritairement réfugiés russes, étaient arrivés entre 1903 et 1917, fuyant pogroms et révolution.
Parmi eux, le rabbin Aaron Kisselev, visage sévère mais regard chaleureux, était un érudit respecté et le pilier d’une communauté soudée malgré l’exil.
Lorsque Yasue arriva à Harbin pour rencontrer Kisselev en août 1937, il portait sous le bras un exemplaire d’un traité de Talmud en hébreu, qu’il avait acheté à prix d’or auprès d’un marchand à Tokyo. Il savait que pour convaincre les Juifs, il devait d’abord gagner leur respect.
Une rencontre se déroula dans la synagogue de Harbin, une bâtisse austère mais imposante, où les chandeliers éclairaient des murs ornés de motifs simples. « Vous lisez l’hébreu ? » demanda Kisselev en serrant la main de Yasue. « Un peu », répondit-il avec un sourire hésitant.
Kisselev restait méfiant : pourquoi un capitaine japonais s’intéressait-il aux Juifs ? Les promesses de Yasue – terres, opportunités, protection contre les persécutions – semblaient trop belles. Pourtant, un refuge en Mandchourie avait son attrait.
En Europe, les nouvelles se faisaient chaque jour plus sombres. Les lois de Nuremberg en Allemagne en 1935, les pogroms en Pologne en 1936, et la montée des fascismes laissaient peu d’espoir à la diaspora.
Totalement convaincu par son projet, Yasue organisa même des missions officielles à destination des communautés juives des États-Unis répandant l’idée qu’il était en train de créer un « Israël en Asie », avec Harbin comme nouvelle Jérusalem…
À Tokyo, le Plan Fugu se heurta à des résistances. Dès 1938, avec le pacte anti-Komintern de 1936 renforçant les liens nippo-allemands, le projet fut jugé risqué et inutile par des pragmatiques comme le Ministre des Affaires étrangères Yosuke Matsuoka.
Adolf Hitler, malgré son admiration pour la culture japonaise, avait exprimé dès 1937 son opposition à toute politique pro-juive. L’ambassadeur allemand à Tokyo, Eugen Ott, surveillait ces initiatives, prêt à signaler tout ce qui pourrait nuire à l’alliance de l’Axe.
En 1939, les débats s’intensifièrent : risquer de contrarier l’Allemagne pour un projet incertain ? Les partisans de Yasue mettaient en avant les bénéfices économiques, tandis que les sceptiques redoutaient des tensions avec des populations locales hostiles aux colons japonais.
Pendant que Yasue avançait son projet, Chiune Sugihara, consul à Kaunas en Lituanie, était témoin des premiers signes de la Shoah. En 1939, des réfugiés juifs fuyant l’invasion allemande de la Pologne affluaient à son consulat, suppliant pour des visas de transit vers le Japon.
Ignorant les ordres explicites de Tokyo, Sugihara se mit à signer frénétiquement des documents entre juillet et août 1940, permettant à des milliers de familles juives de traverser la Sibérie jusqu’au Japon ou à Shanghai, où une communauté juive prospérait sous contrôle étranger.
Le nom de Sugihara, Juste parmi les nations, résonnerait longtemps après la guerre. Mais à l’époque, ses actions restaient ignorées de l’appareil bureaucratique japonais. Contrairement à Yasue, Sugihara agissait par pure humanité, sans agenda stratégique.
L’ironie de cette situation ne pouvait qu’accentuer les tensions internes : là où certains Japonais utilisaient les Juifs pour des ambitions géopolitiques, d’autres comme Sugihara se contentaient de les aider à survivre.
Le Plan Fugu ne dépassa jamais les discussions. Après l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, les priorités basculèrent vers l’effort militaire. La Mandchourie, loin de devenir la « terre promise » rêvée par Yasue et Inuzuka, resta un territoire instable.
Après la guerre fin 1945, Norihiro Yasue se retrouva dans un camp de prisonniers. Il mourut en 1950 dans un camp de travail à Khabarovsk, les rêves d’empire et d’influence brisés.
Au fil des décennies, les historiens redécouvrirent le plan Fugu, révélant comment des stéréotypes pouvaient guider des politiques inattendues. Échec cuisant, il reflète l’ironie tragique de l’histoire : des préjugés absurdes donnant naissance à des projets empreints d’espoirs.
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