Secrets révélés

La décolonisation des Outre-mer français

Enquête sur les ingérences étrangères et les tentatives de soulèvement...

De Mayotte à la Nouvelle-Calédonie, les Outre-mer sont devenus la cible d’opérations d’ingérences ou de déstabilisation. La Russie, la Chine, l’Azerbaïdjan et les Comores sont parmi les plus actifs.

Le drapeau azéri claque au vent… Il est reconnaissable à sa lune et son étoile blanche, sur trois bandes horizontales bleue, rouge et verte.

À Nouméa, au cœur du Pacifique Sud, nous sommes pourtant très loin de l’Azerbaïdjan. Ce jour-là (28 mars), des dizaines de milliers de personnes défilent dans la capitale de la Nouvelle-Calédonie, à l’appel de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).


Ce sont essentiellement des Kanaks, partisans de l’indépendance et mobilisés contre le projet de « dégel » du corps électoral, qui prévoit d’élargir le corps électoral qui ferait, selon eux, la part belle aux partisans du maintien de l’archipel dans la République.

Si les drapeaux de la Kanaky (nom donné à la Nouvelle-Calédonie par les indépendantistes) sont innombrables, en regardant de plus près on aperçoit nettement le drapeau azéri à la tribune où se succèdent les orateurs.

L’Azerbaïdjan à la manœuvre

La lointaine république du Caucase a en effet pris fait et cause pour le mouvement indépendantiste kanak via le Groupe d’initiative de Bakou (GIB) qui a été créé le 6 juillet 2023.

Ce groupe de réflexion et d’influence affiche, parmi ses objectifs principaux, de « soutenir le combat contre le colonialisme et le néo-colonialisme ». Mais le GIB semble avoir une vision du colonialisme limitée à la France.


Dans une vidéo promotionnelle, son directeur exécutif, Abbas Abbasov – ancien cadre du fonds pétrolier de l’État d’Azerbaïdjan – énumère les « colonies » concernées.

Et il cite : la Nouvelle-Calédonie, la Guyane française, la Polynésie française, la Guadeloupe et la Corse.

De fait, sur les réseaux sociaux, 90% des propos du GIB concernent les Outre-mer français et ils sont accompagnés d’une multitude de mots-clés comme #politiquecolonialefrançaise. Au lendemain de la manifestation de Nouméa, le fil X (ex-Twitter) du GIB se félicite de cette mobilisation et de la présence du drapeau national azéri dans le cortège.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de l’apparition de ces drapeaux dans des cortèges kanaks, Abbas Abbasov se défend : « Nous n’avons rien préparé. Nos collègues qui travaillent avec des ONG se sont entendus dire : ‘Nous avons hissé votre drapeau dans nos manifestations à notre seule initiative’. » D’autres images montrent des manifestants qui portent des t-shirts affichant des slogans anticoloniaux ainsi que le logo du GIB.

Sur un t-shirt floqué du groupe d’initiative de Bakou, on peut lire « Non au dégel du corps électoral » et « Non à la colonie de peuplement », le jeudi 28 mars 2024. Image extraite d’un reportage de Calédonie Première

Quel intérêt pour l’Azerbaïdjan de soutenir ainsi les indépendantistes, si loin de sa sphère d’influence ?

C’est une stratégie de « représailles », explique l’analyste en relations internationales Bastien Vandendyck, spécialiste du Pacifique Sud, parce que Paris a condamné sans réserve les attaques azéries contre le Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens.

Bakou a depuis multiplié les opérations de communication hostiles à la France, notamment à destination de la Nouvelle-Calédonie.

« Le but est de gêner la France dans sa souveraineté, poursuit le chercheur. L’Azerbaïdjan ne s’intéresse pas vraiment à la cause indépendantiste. Il soutient le FLNKS [Front de libération nationale kanak et socialiste] pour renforcer les dissensions sociopolitiques en Nouvelle-Calédonie. »

Le discours azéri est simple :

Pourquoi la France reproche-t-elle à l’Azerbaïdjan d’occuper le Haut-Karabakh, alors qu’elle-même occupe la Nouvelle-Calédonie ?

Une analyse que conteste Bastien Vandendyck, qui est par ailleurs conseiller spécial de la présidente (loyaliste, de la coalition centre droite anti indépendantiste) de l’assemblée de la province Sud :

« Ici en Nouvelle-Calédonie, l’État est souverain, rappelle-t-il. Et les Calédoniens ont voté pour rester français, à l’occasion de trois référendums. »

Une visite contestée à Bakou

Le 18 avril dernier, une élue du Congrès de Nouvelle-Calédonie (le parlement local) a franchi un pas supplémentaire. Omayra Naisseline s’est rendue à Bakou à la tête d’une délégation. Et sur place, elle a signé un mémorandum établissant des relations bilatérales entre sa collectivité et le parlement azéri.

Elle remercie alors « l’État azerbaïdjanais d’être à nos côtés dans notre chemin vers l’indépendance ».

Des élus ultramarins (de Nouvelle-Calédonie, des Antilles et même deux députés guyanais) se sont déjà rendus à Bakou à l’invitation du GIB, mais sans jamais signer d’accords avec les institutions.

Après le déplacement de Mme Naisseline, les élus loyalistes ont saisi le procureur de la République de Nouméa. Dans un courrier que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, ils estiment que sa démarche « ouvre très directement des possibilités d’ingérence dans les affaires internes de la France. Elle relève d’actions qui se rapprochent dangereusement de la trahison ».

Le lundi 29 avril, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a dénoncé « une ingérence extrêmement néfaste ».

De son côté, Roch Wamytan, président (FLNKS) du Congrès assume :

« L’Azerbaïdjan, dans son discours de défense du droit international, est un levier afin de nous constituer un réseau à l’international, explique-t-il. Nous sommes obligés de nous tourner vers des pays extérieurs pour appeler au secours ».

Il assure également que les frais du voyage de l’élue calédonienne ont été intégralement pris en charge par le gouvernement azéri. Depuis, le 1er mai 2024, le mouvement indépendantiste polynésien Tavini Huiraatira a lui aussi signé un mémorandum avec le parlement de l’Azerbaïdjan.

L’élue kanak Omayra Naisseline (à droite) et Sahiba Gafarova, présidente de l’Assemblée nationale d’Azerbaïdjan, à Bakou le 18 avril 2024. Image extraite d’une publication du GIB

Quand la Russie appuie là où ça fait mal

Ces dernières semaines, on a vu aussi apparaître, lors des manifestations indépendantistes, une banderole souhaitant la bienvenue à Vladimir Poutine. Et une autre, encore plus explicite : « Président Poutine, libère nos colonies. »

L’appui de Moscou à la cause kanak n’est pas nouveau.

L’URSS soutenait déjà les divers mouvements indépendantistes. Mais, depuis l’invasion de la Crimée en 2014, et plus encore, depuis la guerre en Ukraine lancée en 2022, la Russie mène une stratégie de déstabilisation globale contre les Occidentaux.

Elle dénonce la présence française en Afrique subsaharienne, instrumentalise le conflit israélo-palestinien dans l’Hexagone, et soutient, donc, les revendications indépendantistes en Nouvelle-Calédonie.

Pour le conseiller en communication politique proche des loyalistes, Bastien Vandendyck, « la Russie pourrait faire dans le Pacifique ce qu’elle a fait en Afrique, en jouant sur les ressentiments anti-français pour soutenir des mobilisations parfois violentes et déstabiliser la présence française ».

Comme en Afrique francophone, une propagande anti-française circule sur les réseaux sociaux via des comptes aux origines russes ou proches de ces sphères.

Les ambitions chinoises

Ces actions se conjuguent à une offensive plus massive : celle de la Chine qui mène une stratégie globale dans le Pacifique Sud face à l’Australie et aux États-Unis.

« C’est son influence économique qui m’inquiète le plus, lance un haut fonctionnaire qui connaît bien ces problématiques. La Chine s’est déjà payée les Vanuatu et les Salomon. Et elle attend que la Nouvelle-Calédonie lui tombe toute cuite dans la main d’ici 40 à 50 ans. »

Pour ce faire, l’État chinois cherche à éliminer toute concurrence dans l’exploitation du nickel, très présent en Nouvelle-Calédonie et indispensable au développement des nouvelles technologies et de la voiture électrique. Les cours de ce métal ont chuté.

Des mines ont fermé en Australie et la filière souffre en Nouvelle-Calédonie. Le « pacte nickel » porté par le gouvernement pour sauver cette industrie est toujours en cours de discussion. Cette situation économique préoccupante « met les gens dans la rue. Elle provoque des troubles sur lesquels surfent la Russie et l’Azerbaïdjan », constate le haut fonctionnaire qui a souhaité garder l’anonymat.

Certains s’inquiètent ainsi d’une possible mise en place d’un projet minier porté par les indépendantistes associés à la Chine. Car les liens entre les mouvements indépendantistes kanaks et l’empire du milieu sont connus. L’association de l’amitié sino-calédonienne a été dirigée par deux directeurs de cabinet du président indépendantiste du Congrès, Roch Wamytan. Ce dernier assume :

« Nous n’avons pas peur de la Chine. C’est la France, pas elle, qui nous a colonisés. »

Selon nos informations, au cours des dernières années, des collectivités locales de Nouvelle-Calédonie ont reçu plusieurs propositions chinoises pour des projets touristiques et économiques, dont un axé sur l’exploitation du nickel. Mais elles n’y ont pas donné suite, conscientes de la stratégie d’entrisme qui était à l’œuvre.

À Mayotte, le jeu trouble des Comores

À 8 000 kilomètres de là, dans l’océan Indien, le département de Mayotte est aussi visé par des opérations d’influence.

« Mayotte est un point central en matière d’ingérences, à cause des Comores », explique le député Renaissance Sacha Houlié, président de la commission des lois et membre de la délégation parlementaire au renseignement.

Lors de deux référendums de 1974 et 1976, les Mahorais ont souhaité rester français, à l’inverse des Comores devenues un État souverain. Depuis, les Comores revendiquent Mayotte, surnommée « l’île sœur ».

« C’est le seul territoire français habité revendiqué par un pays étranger », rappelle la députée du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT, centre-droit) de Mayotte Estelle Youssoufa, qui poursuit : « Les Comores assument leur ingérence à Mayotte. Elle s’inscrit dans un discours nationaliste comorien. »

Symboliquement, les Comores ont obtenu plusieurs condamnations à l’assemblée générale de l’ONU contre la France.

Carte de l’archipel des Comores et de l’île de Mayotte, au large de Madagascar (UNIVERSALIS / GOOGLE MAPS)

Les Comores disposent d’un levier très déstabilisant.

À l’image du président turc Erdogan, qui a instrumentalisé la question migratoire face à l’Union européenne, ou de la Biélorussie qui a laissé ses ressortissants partir en Ukraine, elles laissent partir de leur sol des milliers de personnes, pauvres et désespérées, qui pensent trouver une vie meilleure à Mayotte. Puis elles refusent de les accueillir lorsque la France veut les expulser.

Résultat : à Mayotte, plus de la moitié de la population est étrangère. Sans compter l’arrivée de demandeurs d’asile africains, venus des pays des Grands Lacs ou de Somalie, après être passés par les Comores ou Madagascar. Selon nos informations, 3 000 de ces personnes ont demandé l’asile une fois arrivées à Mayotte, et 2 000 l’ont obtenu.

À Mayotte aussi, le jeu de la Russie

Et là encore, la Russie n’est pas en reste. Elle soutient les Comores en accusant la France de contrôler illégalement Mayotte.

En 2018, aux côtés de son homologue comorien, le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov accusait déjà la France et les Occidentaux de démanteler des nations.

« Les pays qui ont organisé la séparation du Kosovo, de la Serbie ou de Mayotte et des îles Comores nous donnent de bons exemples du deux poids, deux mesures », disait-il.

Ce discours s’est amplifié depuis l’invasion de l’Ukraine. Le 14 mars 2023, l’ambassadeur russe pour les Comores déclarait encore que son pays était « prêt à interagir plus étroitement avec Moroni pour un règlement politique rapide de la situation autour de Mayotte ».

Le président russe Vladimir Poutine et le président des Comores et de l’Union africaine Azali Assoumani lors du 2e sommet Russie-Afrique, le 28 juillet 2023 (VALERY SHARIFULIN / TASS HOST PHOTO AGENCY)

La députée Estelle Youssouffa signale quant à elle des attaques en ligne dont elle est victime sur Facebook, menées par des dizaines de faux profils, et dénonce des pannes informatiques régulières qui affecteraient l’hôpital de Mayotte. Sans disposer d’éléments de preuve formels, elle rappelle que cela ressemble aux méthodes de guerre hybride menée par la Russie en Afrique subsaharienne francophone. À Mayotte, quelques drapeaux russes et des graffitis favorables à Vladimir Poutine ont aussi fait leur apparition.

Une bataille pour le gaz naturel

Le territoire est d’autant plus sensible qu’il sert de base arrière à Total. La compagnie française exploite du gaz dans le canal du Mozambique, pour sécuriser les approvisionnements de l’Hexagone, fragilisés par la guerre en Ukraine. Or à Moroni, une Maison de la Russie a été inaugurée en mars 2024.

Des relais d’influence russes qui ressemblent à ceux qui ont été ouverts au Burkina-Faso et au Mali, après le départ des militaires français. Moscou dispose donc désormais d’un poste avancé à quelques encablures d’un département français. La situation aux Comores est d’ailleurs suivie de très près par les services de renseignements français.

« Les autorités manquent de lucidité »

Pour lutter contre la désinformation ou les menaces en ligne, en juillet 2021 a été créée Viginum, rattachée à Matignon et chargée de surveiller les ingérences numériques étrangères. Viginum a été testée en Nouvelle-Calédonie en décembre 2021 lors du troisième référendum sur l’indépendance, après des activités en ligne suspectes détectées un an plus tôt lors du second référendum.

De leur côté, l’état-major des Armées et une sous-direction du ministère des Affaires étrangères, créée tout spécialement en août 2022, ont été chargés de proposer des réponses à l’exécutif. Mais « on ne communique pas publiquement sur le sujet, nous explique-t-on au quai d’Orsay. On veut éviter de tomber dans le panneau de faire la pub de l’adversaire. »

Le haut fonctionnaire cité plus haut au sujet de la Nouvelle-Calédonie se dit cependant inquiet :

« Les autorités manquent de lucidité sur les ingérences. On est encore un peu défaillants, car on n’a ni les outils, ni la volonté d’analyse. »

Pour le député Sacha Houlié, coauteur d’une proposition de loi contre les ingérences étrangères qui sera bientôt débattue au Sénat,

« il faut être d’une vigilance absolue. On a eu un âge d’or du renseignement pour la lutte antiterroriste, car tous les services du monde avaient intérêt à coopérer. Dans l’ingérence, vous êtes seul. Ça veut dire qu’on doit alerter la société française tout entière. »

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