Nouveau paradigme

L’avertissement de Witkoff et la chute du Roi de Jordanie

par Mudar Zahran

Dans une récente interview, l’envoyé du président Trump pour la paix, Steve Witkoff, a averti que le conflit en cours à Gaza représentait un risque sérieux pour la stabilité régionale, l’Égypte et la Jordanie étant particulièrement vulnérables.

Interrogé par Tucker Carlson, Witkoff a souligné la fragilité des deux régimes, déclarant :

C’est un facteur déterminant. Le roi Abdallah de Jordanie a bien géré l’instabilité, mais il a aussi eu de la chance. L’Égypte est le véritable point chaud. Les progrès réalisés depuis l’élection d’Ayoun – surtout avec l’élimination de Nasrallah et de Sinwar – pourraient être anéantis si l’Égypte s’effondre.

La Syrie a été une leçon majeure pour la région. La chute d’Assad était inattendue, prouvant qu’aucun régime n’est véritablement à l’abri. La situation de l’Égypte est désastreuse : le chômage des jeunes atteint 45 %, le pays est ruiné et a désespérément besoin d’aide. Si l’Égypte s’effondre, cela pourrait nous faire reculer considérablement.

Les propos de Witkoff remettent en question les idées reçues à Washington, où la monarchie d’Abdallah est souvent considérée comme stable. Il rappelle cependant le précédent créé par la Syrie, où le président Bachar el-Assad, autrefois perçu comme bien établi, est tombé de manière inattendue. Sa chute a brisé l’idée selon laquelle les régimes établis de longue date sont invulnérables, en particulier dans une région où les difficultés économiques et la répression politique alimentent le mécontentement.


La leçon de l’expérience syrienne est claire : même des dirigeants apparemment bien établis peuvent être rapidement renversés lorsque la situation se détériore. L’effondrement d’Assad, après avoir survécu à treize ans de soulèvement, s’est produit en quelques jours, conduisant à l’avènement d’un gouvernement islamiste dirigé par Ahmed al-Sharaa, alias Abou Mohammed al-Jolani, alors désigné comme terroriste par le Département d’État américain.

Cette histoire souligne la nécessité pour les États-Unis et leurs alliés, dont Israël, de se préparer à l’éventualité d’un changement de régime en Jordanie.

Nombre de responsables politiques ont autrefois considéré Assad comme « le diable que l’on connaît », estimant que son règne était préférable à une alternative inconnue. Cette stratégie s’est avérée inefficace après la chute d’Assad, et personne n’avait de plan pour contrer une prise de pouvoir islamiste.

La même logique s’applique à la Jordanie, où la monarchie hachémite est encore plus précaire.


Contrairement aux Assad, originaires de Syrie, la famille régnante de Jordanie descend d’Arabie saoudite. Un câble diplomatique américain, qui a fuité, les a un jour décrits comme « une famille non jordanienne » craignant « un coup d’État tribal ». Ce détachement ethnique et politique est depuis longtemps source d’instabilité.

Compte tenu de ces risques, les États-Unis doivent disposer d’un plan d’urgence pour faire face à un éventuel changement de régime en Jordanie. Si l’instabilité présente des défis, elle offre aussi des opportunités, notamment celle de relancer l’« option jordanienne » si longtemps débattue.

La question palestinienne demeure au cœur du conflit israélo-arabe, alimenté en grande partie par l’apatridie des Palestiniens. Des décennies d’influence extérieure – des puissances occidentales aux régimes arabes – ont perpétué leur situation.

Historiquement, la Jordanie a été désignée comme patrie palestinienne par les accords de San Remo de 1921 et le traité de Sèvres.

Aujourd’hui, plus de 80 % de la population jordanienne est d’origine palestinienne, et ces Jordaniens ont toujours été le moteur de l’économie du pays.

L’idée de la Jordanie comme État palestinien n’est pas nouvelle.

En 1970, le secrétaire d’État Henry Kissinger proposa le contrôle palestinien de la Jordanie comme solution à la question palestinienne, qualifiant cette proposition de voie vers un « règlement palestinien ». Le président Nixon rejeta cependant ce projet. L’armée pakistanaise arriva en Jordanie, expulsa les milices palestiniennes et assura le trône du roi Hussein.

Aujourd’hui, et malgré leur domination démographique, les Palestiniens de Jordanie sont confrontés à une discrimination systémique et à des politiques d’apartheid, exclus du pouvoir politique et économique par le régime d’Abdallah, qui s’appuie sur une minorité bédouine pour maintenir le contrôle.

De plus, le roi Abdallah s’est stratégiquement aligné sur des groupes islamistes, notamment les Frères musulmans (FM). Officiellement, le Hamas est considéré comme la « branche palestinienne des FM jordaniens ». Le roi a renforcé les factions islamistes tout en réprimant l’opposition laïque, en modifiant les lois pour favoriser les partis islamistes et en permettant aux éléments radicaux de prospérer .

Depuis les attaques terroristes du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre 2023, Abdallah et la reine Rania ont intensifié la rhétorique anti-israélienne, organisé des manifestations et encouragé le radicalisme, souvent avec le soutien des services de renseignement jordaniens .

Les conséquences de cette approche sont dramatiques. La dette de la Jordanie dépasse 100 % de son PIB et le pays est confronté à une pauvreté sans précédent. Parallèlement, Abdallah est démasqué au niveau mondial comme propriétaire d’un empire immobilier dans les pays occidentaux et de comptes bancaires colossaux dans des banques occidentales. Cette nouvelle est une insulte supplémentaire pour le peuple jordanien démuni.

De plus, les opérations de contrebande d’armes le long de la frontière avec Israël – parfois liées à des personnalités proches du roi – déstabilisent davantage la région. Le député jordanien Emad Adwan a été surpris en train d’introduire clandestinement des armes en Israël, ce qui suscite des inquiétudes quant au rôle de la monarchie dans l’instabilité ou, au mieux, dans son incapacité à protéger ses propres frontières.

Comme expliqué dans les lignes précédentes, Witkoff a raison : le roi de Jordanie est dans une position précaire. Si les États-Unis ne cherchent nullement à changer de régime, des troubles internes ou une intervention militaire pourraient entraîner sa chute. Si cela se produit, un gouvernement dirigé par les Palestiniens est le successeur le plus probable, compte tenu des réalités démographiques du pays ; la majorité palestinienne élira un dirigeant palestinien.

Les États-Unis devraient avoir un plan B pour la Jordanie. Si le roi tombe comme Assad, les États-Unis doivent être prêts et capables d’installer un dirigeant palestinien laïc au sein d’un gouvernement intérimaire. Ce dirigeant doit accepter que le soutien américain soit assorti de conditions qui permettraient de résoudre plusieurs questions fondamentales du conflit israélo-palestinien.

Le droit au retour : La première hypothèse est que la Jordanie accorderait tous les droits à sa population majoritaire, rétablissant la citoyenneté jordanienne aux Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, du Liban et de Syrie. Au lieu de chercher à se réinstaller massivement en Israël, les réfugiés palestiniens pourraient s’intégrer dans une Jordanie sous domination palestinienne. Cela améliorerait les conditions de vie des Palestiniens apatrides actuellement à Gaza, au Liban, en Syrie et en Égypte.

Mosquée Al-Aqsa : Actuellement gérée par le Waqf jordanien, qui a joué un rôle dans l’alimentation des tensions, le contrôle du site pourrait passer à un gouvernement palestinien laïc, garantissant un culte pacifique aux juifs et aux musulmans.

État palestinien : une Jordanie sous contrôle palestinien éliminerait la demande d’un État palestinien séparé à l’intérieur des frontières d’Israël, déplaçant l’attention vers la gouvernance en Jordanie même.

En outre, un nouvel État palestino-jordanien pourrait fournir des services civils – mais pas la souveraineté – en remplacement de ceux de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie. L’AP, largement considérée comme corrompue et inefficace, pourrait être progressivement éliminée, la Jordanie prenant en charge les services administratifs dans les zones A et B. Israël annexerait alors la zone C, qui représente 60 % de la Cisjordanie, garantissant ainsi ses intérêts territoriaux et sécuritaires.

Un État palestinien en Jordanie pourrait également favoriser une paix régionale plus large. Avec une patrie reconnue pour les Palestiniens, des pays comme l’Arabie saoudite pourraient normaliser leurs relations avec Israël, consolidant ainsi les accords d’Abraham et ouvrant potentiellement la voie à une alliance de sécurité israélo-arabe, une sorte d’OTAN au Moyen-Orient. Cela servirait de contrepoids à l’influence iranienne et aux réseaux terroristes dans la région.

Une Jordanie nouvellement créée et dirigée par les Palestiniens ne fonctionnerait pas immédiatement comme une démocratie. Compte tenu de l’instabilité historique des zones sous contrôle palestinien – Liban, Cisjordanie et Gaza –, un gouvernement intérimaire serait nécessaire. Un dirigeant laïc et pacifiste devrait interdire les groupes extrémistes, réformer l’éducation et réprimer le radicalisme. Cette période de transition pourrait être supervisée avec l’aide des services de renseignement américains et israéliens, garantissant ainsi que la Jordanie ne tombe pas sous contrôle islamiste.

L’histoire du Moyen-Orient montre que les dirigeants intérimaires deviennent souvent des dirigeants à long terme. Une administration palestinienne laïque en Jordanie évoluerait probablement vers un gouvernement stable et coopératif, susceptible de se démocratiser à terme. Avec le président Trump à la Maison Blanche, il y a moins de raisons de craindre une prise de pouvoir islamiste, comme ce fut le cas en Syrie, où Biden préside à une prise de pouvoir islamiste complète du pays.

Il existe une opportunité de garantir une paix durable et de résoudre enfin la question palestinienne.

L’avenir de la Jordanie est incertain, mais une chose est claire : le statu quo n’est pas tenable. La monarchie hachémite perd peu à peu son emprise sur le pouvoir, et lorsqu’elle tombera, les États-Unis et Israël devront être prêts à élaborer un plan B : celui qui permettra enfin aux Palestiniens de retrouver leur patrie en Jordanie.

Mudar Zahran est un homme politique jordanien palestinien vivant en exil. Il dirige la Coalition de l’opposition jordanienne. Il a auparavant été spécialiste économique et coordinateur adjoint des politiques à l’ambassade des États-Unis à Amman. Zahran est titulaire d’un doctorat en sciences politiques (conflit israélo-arabe).


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