« Ils ont tué mes amis et toutes mes convictions »
« N’as-tu pas honte d’avoir fait ça à des gens qui ont toujours œuvré pour la paix avec les Palestiniens ? »
Avec l’aplomb que confèrent l’âge, l’expérience et le sentiment, aussi, de n’avoir plus grand-chose à perdre, Yocheved Lifschitz a demandé des comptes au chef du Hamas. Alors que Yahya Sinwar rendait visite à des otages détenus dans un tunnel, quelques jours à peine après leur enlèvement, l’Israélienne de 85 ans a planté ses yeux dans les siens, exigeant une réponse qui n’est jamais venue.
Yocheved, libérée après 17 jours de captivité, savait parfaitement de quoi elle parlait.
Celle qui a fondé le kibboutz Nir Oz en 1952 avec Oded, son mari, a toujours été une militante de premier plan pour la paix. Activiste comme toute sa famille au sein de l’ONG Shalom Akhchav (La Paix maintenant), elle a passé la dernière décennie à œuvrer afin que les Palestiniens gravement malades puissent être soignés en Israël.
Quelques semaines avant le 7 octobre, elle était encore allée chercher des patients avec son véhicule personnel au point de passage d’Erez entre Israël et Gaza pour les emmener dans des hôpitaux israéliens.
Elle est loin d’être la seule parmi les victimes et otages du Hamas. Nombre de résidents des kibboutz attaqués le 7 octobre étaient de fervents défenseurs de la coexistence avec les Palestiniens, qu’ils mettaient en pratique, autant que possible.
En plus de fournir du travail aux Gazaouis, ces kibboutznikim leur ouvraient leur porte pour un café ou un coup de pouce en tout genre, entretenant de véritables liens avec eux. Envers et contre tout, ces Israéliens voulaient croire que l’hostilité dans chaque camp provenait de l’ignorance, de la méconnaissance de l’autre, et que tendre la main finirait par amener la paix, en attendant que la volonté politique ne suive.
Il y avait bien des roquettes tirées régulièrement contre leurs localités, mais les abris les protégeaient et ça passait vite. Et puis ces agressions étaient le fait du Hamas qui opprimait la population… pas des autres.
Irit Lahav, également survivante du kibboutz Nir Oz, était au nombre de ceux qui conduisaient des Palestiniens malades du cancer ou du cœur dans les hôpitaux d’Israël. Elle raconte son choc lors de la prise d’assaut du Hamas.
« Pendant qu’ils tiraient partout et que j’étais enfermée dans l’abri, je me disais : ‘Mais pourquoi nous font-ils ça à nous, qui sommes leur plus grand soutien ? Ça m’a brisé le cœur. Je pensais que la majorité des Palestiniens n’aspiraient qu’à vivre comme tout un chacun, à mener une vie simple et sans histoires à nos côtés. Mais ce jour-là, j’ai compris qu’ils nous haïssaient tous », confie-t-elle.
Amit Siman-Tov-Vahaba fait le même constat, elle qui a perdu toute sa famille le 7 octobre.
« Mes croyances les plus profondes ont été bouleversées. Je pensais que la bande de Gaza était peuplée de gens qui nous ressemblaient, de parents qui emmenaient leurs enfants faire du vélo et qui fêtaient leurs anniversaires. Et c’est ce que je disais constamment à mes enfants. Mais tout cela était faux. Pendant qu’on essayait de nous tuer dans notre propre maison, des femmes et des enfants de Gaza se trouvaient aussi dans le kibboutz », dit-elle.
Batia Holin, survivante du kibboutz Kfar Azza, affirme « ne plus croire en rien ».
« J’ai perdu mon optimisme et ma foi. Ils n’ont pas seulement tué des amis à moi, ils ont tué mes convictions, toutes celles que j’avais eu à cœur de transmettre à mes enfants », dit-elle.
En ce sens, les attaques du 7 octobre sont loin de s’être limitées à des massacres physiques.
Elles ont également signé l’assassinat de bien des idéaux, la défaite de convictions transmises parfois sur plusieurs générations.
Un traumatisme décrit comme presque aussi grand que la perte d’être chers car il induit, à travers la remise en cause des valeurs et des repères, une sorte de perte de soi-même. Ces gens disent avoir le sentiment d’avoir vécu toute leur vie dans l’illusion, et se sentent victimes d’une immense trahison.
Pour ces résidents des kibboutz, la distinction entre civils palestiniens et terroristes n’existe plus depuis le 7 octobre.
Depuis que leurs yeux incrédules ont vu des centaines de Gazaouis – hommes, femmes et même vieillards – prendre part aux exactions du Hamas. Depuis qu’ils savent que ceux qui travaillaient chez eux, ceux à qui ils avaient ouvert leur porte, ont pris soin de rapporter scrupuleusement aux terroristes les détails concernant la disposition des pièces de leur maison, la composition de leur famille et jusqu’à la race de leur chien, en prévision des attaques.
Les otages libérés ne disent pas autre chose.
Ruthie Munder, 79 ans, qui croyait elle aussi fermement dans la paix, raconte avoir été gardée par un civil dans un hôpital.
« J’ai passé la plupart de mon temps enfermée dans une petite pièce au deuxième étage d’un hôpital. J’étais gardée contre ma volonté par un garde civil dans un établissement civil », dit-elle.
D’autres relatent avoir été détenus chez des particuliers, au beau milieu de familles qui vaquaient à leurs occupations ordinaires, comme si de rien n’était.
Après avoir vécu une telle expérience, Mia Schem, ex-otage franco-israélienne, va jusqu’à dire qu’à Gaza, « personne n’est innocent ». Les sondages montrant que trois Palestiniens sur quatre soutiennent les massacres du 7 octobre ne font rien pour la contredire.
L’Israélo-Canadienne Vivian Silver, fondatrice de Women Wage Peace et figure de premier plan de la cause de la paix avec les Palestiniens, a été assassinée le 7 octobre au kibboutz Beeri.
Elle organisait notamment des tours à la frontière entre Gaza et Israël pour alerter l’opinion internationale sur la situation des Gazaouis.
1 500 personnes, parmi lesquelles beaucoup d’Arabes, ont assisté à ses funérailles, désireuses de lui rendre un dernier hommage. Si toutes avaient à cœur d’affirmer par leur présence, leur volonté de perpétuer l’action de Vivian, elles n’ont pas pu s’empêcher de se demander si avec sa dépouille, ce n’était pas aussi une certaine vision de la paix qui était bel et bien enterrée.
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