Cas de conscience

« Je ne crois plus en la paix »

Des militants pour la paix face à leurs désillusions

Ada Sagi, ex-otage, confie à la BBC avoir perdu ses illusions.

« La majorité du monde déteste les Juifs », dit-elle

Ada Sagi, une ancienne militante pour la paix qui a été kidnappée par le Hamas le 7 octobre et libérée dans le cadre de l’accord de trêve fin novembre, a partagé sa terrible expérience et son changement profond de perspective lors d’une interview avec la BBC.

Cette professeure d’hébreu et d’arabe, qui avait appris cette langue pour pouvoir dialoguer avec les Palestiniens, explique que ses opinions ont été totalement bouleversées.

« Je ne crois plus en la paix, car je comprends que le Hamas n’en veut pas, » a déclaré l’ex-otage.

Elle a détaillé sa captivité, révélant qu’elle était initialement cachée dans une maison où vivait une famille avec enfants. Elle a ensuite été déplacée vers un autre endroit à Khan Yunes. Le propriétaire de l’appartement, un infirmier, avait installé sa femme et ses enfants dans la maison de son beau-père pour pouvoir héberger les otages. Elle a également été détenue à l’hôpital Nasser de Gaza.


Adi a évoqué l’incitation financière pour les résidents de Gaza qui hébergeaient des otages:

« J’ai entendu dire qu’ils étaient payés 70 Shekels par jour. C’est beaucoup d’argent à Gaza, parce qu’ils n’ont pas de travail. Un travail régulier qui n’est pas lié au Hamas ne rapporte pas plus de 20 shekels. »

Décrivant les jours tendus précédant sa libération, l’ex-otage a également raconté la peur, constante.

« Chaque fois qu’il y a un coup à la porte, vous pensez qu’ils sont venus pour vous emmener. »

L’Israélienne de 75 ans qui vivait à Nir Oz, a enfin exprimé sa désillusion face aux affirmations selon lesquelles les Gazaouis ordinaires ne sont pas impliqués dans le conflit, déclarant :

« Les gens disent qu’ils ne sont pas impliqués, mais ils le sont, et reçoivent de l’argent pour chaque otage. » « La majorité du monde déteste les Juifs », a-t-elle par ailleurs conclu à propos de l’hostilité face à Israël et l’antisémitisme rampant.

« Ils ont tué mes amis et toutes mes convictions »

L’ex-otage Yocheved Lifshitz hospitalisée après sa libératin de captivité par le Hamas

Nombre de résidents des kibboutz attaqués le 7 octobre étaient de fervents défenseurs de la coexistence avec les Palestiniens, qu’ils mettaient en pratique, autant que possible. En plus de fournir du travail aux Gazaouis, ces kibboutznikim leur ouvraient leur porte pour un café ou un coup de pouce en tout genre, entretenant de véritables liens avec eux.


Envers et contre tout, ces Israéliens voulaient croire que l’hostilité dans chaque camp provenait de l’ignorance, de la méconnaissance de l’autre, et que tendre la main finirait par amener la paix, en attendant que la volonté politique ne suive.

Il y avait bien des roquettes tirées régulièrement contre leurs localités, mais les abris les protégeaient et ça passait vite. Et puis ces agressions étaient le fait du Hamas qui opprimait la population… pas des autres.

« Pendant que je me cachais dans l’abri, je me disais : ‘Mais pourquoi nous font-ils ça à nous, qui sommes leur plus grand soutien ? »

Avec l’aplomb que confèrent l’âge, l’expérience et le sentiment, aussi, de n’avoir plus grand-chose à perdre, Yocheved Lifschitz a demandé des comptes au chef du Hamas. Alors que Yahya Sinwar rendait visite à des otages détenus dans un tunnel, quelques jours à peine après leur enlèvement, l’Israélienne de 85 ans a planté ses yeux dans les siens, exigeant une réponse qui n’est jamais venue.

« N’as-tu pas honte d’avoir fait ça à des gens qui ont toujours œuvré pour la paix avec les Palestiniens ? »

Yocheved, libérée après 17 jours de captivité, savait parfaitement de quoi elle parlait. Celle qui a fondé le kibboutz Nir Oz en 1952 avec Oded, son mari, a toujours été une militante de premier plan pour la paix. Activiste comme toute sa famille au sein de l’ONG Shalom Akhchav (La Paix maintenant), elle a passé la dernière décennie à œuvrer afin que les Palestiniens gravement malades puissent être soignés en Israël.

Quelques semaines avant le 7 octobre, elle était encore allée chercher des patients avec son véhicule personnel au point de passage d’Erez entre Israël et Gaza pour les emmener dans des hôpitaux israéliens.

Elle est loin d’être la seule parmi les victimes et otages du Hamas. Nombre de résidents des kibboutz attaqués le 7 octobre étaient de fervents défenseurs de la coexistence avec les Palestiniens, qu’ils mettaient en pratique, autant que possible.

Irit Lahav dans sa maison temporaire à Kiryat Gat

Irit Lahav, également survivante du kibboutz Nir Oz, était au nombre de ceux qui conduisaient des Palestiniens malades du cancer ou du cœur dans les hôpitaux d’Israël. Elle raconte son choc lors de la prise d’assaut du Hamas.

« Pendant qu’ils tiraient partout et que j’étais enfermée dans l’abri, je me disais : ‘Mais pourquoi nous font-ils ça à nous, qui sommes leur plus grand soutien ? Ça m’a brisé le cœur. Je pensais que la majorité des Palestiniens n’aspiraient qu’à vivre comme tout un chacun, à mener une vie simple et sans histoires à nos côtés. Mais ce jour-là, j’ai compris qu’ils nous haïssaient tous », confie-t-elle.

Déjà avant le massacre, Irit Lahav ne se faisait pas d’illusions sur le Hamas. Comme beaucoup d’autres kibboutznikkim et moshavnikkim plus tolérants situés près de la frontière avec Gaza, elle avait déjà remarqué que le groupe prenait délibérément les civils pour cible, en tirant notamment des roquettes sur des zones résidentielles aux heures où ils savaient pouvoir faire le plus de victimes.

Elle était néanmoins convaincue que les actions du Hamas étaient distinctes et non représentatives des souhaits de la majorité silencieuse des membres de la société civile palestinienne – des gens ordinaires et honnêtes qui, pensait-elle, se préoccupaient avant tout de subvenir aux besoins de leurs enfants et d’améliorer leur propre vie dans des circonstances difficiles.

Cette conviction a été ébranlée le 7 octobre par ce qu’elle appelle « des centaines de civils, dont des femmes et des enfants, qui ont emboité le pas » aux terroristes qui envahissaient les communautés israéliennes, pour célébrer et participer au pillage, au saccage et à la destruction des communautés israéliennes.

« Jamais je ne l’aurais imaginé », a déclaré Lahav.

Au lendemain du 7 octobre, Lahav et d’autres Israéliens, qui soutenaient et militaient en faveur de compromis territoriaux avec les Palestiniens comme moyen de parvenir à la paix, se disent aujourd’hui contraints de reconsidérer leur point de vue.

« Je pensais que les Palestiniens étaient des gens bien, comme vous et moi. Et que le Hamas était une bande de voyous qui empêchait son peuple d’aspirer à une vie décente : une jolie maison, une belle voiture, un bon emploi, un beau jardin, de bonnes écoles pour les enfants ».

« Après le 7 octobre, j’ai réalisé que j’avais tort. Tout comme le gouvernement israélien représente les Israéliens, le Hamas représente les habitants de Gaza ».

Pour Lahav, une agente de voyage qui faisait partie d’un groupe de bénévoles conduisant les Palestiniens de Gaza qui nécessitaient des soins et des traitements médicaux vers les hôpitaux en Israël, pense aujourd’hui que :

« tous les habitants de Gaza, tous, nous haïssent à un point tel qu’ils sont prêts à assassiner des bébés et à piller nos maisons sans le moindre scrupule. »

Amit Siman-Tov-Vahaba fait le même constat, elle qui a perdu toute sa famille le 7 octobre.

C’est la famille Siman Tov. Composé de Yonatan (Johnny) Siman Tov, Tamar Kedem-Siman Tov, des jumeaux Shahar et Arbel, 6 ans, et Omer, 4 ans. Une belle famille de cinq personnes, heureuse et riante, du kibboutz Nir Oz.

« Mes croyances les plus profondes ont été bouleversées. Je pensais que la bande de Gaza était peuplée de gens qui nous ressemblaient, de parents qui emmenaient leurs enfants faire du vélo et qui fêtaient leurs anniversaires. Et c’est ce que je disais constamment à mes enfants. Mais tout cela était faux. Pendant qu’on essayait de nous tuer dans notre propre maison, des femmes et des enfants de Gaza se trouvaient aussi dans le kibboutz », dit-elle.

Au petit matin du 7 octobre, les sirènes se sont mises à hurler. Johnny, Tamar et les enfants se sont rendus dans leur « pièce sécurisée », une pièce construite en béton solide avec une porte et un volet en acier, conçus pour résister aux missiles et aux tirs d’armes à feu. Chaque maison en Israël en a un.

Ils ont supposé qu’il s’agissait simplement de tirs de roquettes réguliers depuis Gaza, ce qui se produisait presque quotidiennement dans leur région. Tamar a envoyé un petit message à ses amis en Australie : « Salut les gars, nous sommes entrés dans le refuge de notre maison, tout va bien. » Ça va. Comme on dit en Australie.

Mais très vite, ils ont commencé à comprendre que ce n’était pas comme tous les jours. Quelque chose d’infiniment pire se produisait. Ils ont entendu des coups de feu à l’extérieur et des voix criant en arabe. Avec horreur, ils ont réalisé que leur kibboutz était attaqué par des terroristes qui allaient de maison en maison, tuant des gens et incendiant leurs maisons.

Ce n’était qu’une question de temps avant que les voix et les armes parviennent à leur maison. Ils ont verrouillé et barricadé la porte. Johnny a continué à échanger des SMS avec sa famille, qui était enfermée dans sa propre maison au kibboutz.

Lorsque les terroristes sont entrés par effraction dans la maison de la famille Siman Tov, ils n’ont pas pu les atteindre immédiatement. Alors ils ont mis le feu à la maison. Petit à petit, la pièce se remplit de fumée. Johnny a envoyé un texto à sa sœur, Ranae : « Ils sont là. Ils nous brûlent. Nous étouffons.

Suffoqués par la fumée, ils ont été contraints d’ouvrir la fenêtre blindée de leur chambre sécurisée, pour ne pas mourir tous à cause de l’inhalation de fumée. Mais derrière la fenêtre, c’est exactement ce que les hommes armés attendaient.

Tamar et Johnny, Shahar, Arbel et le petit Omer ont tous été abattus à travers la fenêtre de leur coffre-fort. Les terroristes du Hamas ont exécuté à bout portant une famille entière composée de deux parents et de trois jeunes enfants.

Une jeune famille innocente et non armée, cachée dans sa maison…

« Je n’ai plus aucun espoir de coexistence »

Batia Holin n’a « plus aucun espoir de coexistence »

Batia Holin, survivante du kibboutz Kfar Azza, affirme « ne plus croire en rien ».

« J’ai perdu mon optimisme et ma foi. Ils n’ont pas seulement tué des amis à moi, ils ont tué mes convictions, toutes celles que j’avais eu à cœur de transmettre à mes enfants », dit-elle.

Le 7 octobre 2023, Batia Holin a perdu une soixantaine d’amis ainsi que sa maison dans le massacre par le Hamas du kibboutz de Kfar Aza. Elle a également perdu tout espoir de coexistence entre Israéliens et Palestiniens. Une résignation particulièrement douloureuse pour cette ancienne militante de la paix.

Tatoués sur son bras, un dessin de son ancien kibboutz, où elle habitait depuis les années 1970, ainsi qu’un cœur, « pour se rappeler qu’elle en a encore un ». Batia Holin témoigne.

« Je suis photographe. Ces cinq dernières années, je parcourais les sentiers du kibboutz près du mur de séparation et prenais des photos. Elles étaient colorées, pleines d’espoir et de beauté. Je me disais: « quel endroit magnifique, quelle chance d’y habiter. Et si quelqu’un de l’autre côté du mur faisait la même chose? ».

« Lorsque j’ai décidé de monter une exposition pour montrer la beauté de notre région, je me suis dit que ce serait génial si je pouvais trouver quelqu’un de l’autre côté du mur, prêt lui aussi à photographier son quotidien. Et j’ai trouvé un homme qui m’a dit qu’il serait enchanté d »‘y participer. Il m’a dit qu’il voulait montrer que tout le monde n’est pas terroriste à Gaza et qu’il y a aussi des gens qui croient à la paix et la coexistence. »

« Et j’y ai cru. Quelle chance d’avoir trouvé ce partenaire, me suis-je dit, qui pense comme moi. Nous avons monté cette exposition en février 2023. C’était un succès. Plus de 10’000 personnes l’ont vue, ce qui est beaucoup pour une telle exposition en Israël. Tout le monde était si optimiste. On se disait que c’était une preuve que le bien pouvait encore venir d’individus comme nous, éloignés de la politique.

« Mais le 7 octobre, mon partenaire m’appelé à 10h00 du matin, d’un numéro israélien. Il m’a immédiatement interrogé sur les mouvements des militaires israéliens dans notre région: « où sont-ils, combien sont-ils, quelles unités sont présentes et dans quelle direction vont-elles? ». Il ne m’a pas demandé comment j’allais, ou si j’étais en sécurité. J’ai compris alors qu’il cherchait à obtenir des informations pour les transmettre au Hamas. »

C’est ainsi que nous constatons que les attaques du 7 octobre sont loin de s’être limitées à des massacres physiques.

Elles ont également signé l’assassinat de bien des idéaux, la défaite de convictions transmises parfois sur plusieurs générations.

Un traumatisme décrit comme presque aussi grand que la perte d’être chers car il induit, à travers la remise en cause des valeurs et des repères, une sorte de perte de soi-même. Ces gens disent avoir le sentiment d’avoir vécu toute leur vie dans l’illusion, et se sentent victimes d’une immense trahison.

Pour ces résidents des kibboutz, la distinction entre civils palestiniens et terroristes n’existe plus depuis le 7 octobre.

Depuis que leurs yeux incrédules ont vu des centaines de Gazaouis – hommes, femmes et même vieillards – prendre part aux exactions du Hamas. Depuis qu’ils savent que ceux qui travaillaient chez eux, ceux à qui ils avaient ouvert leur porte, ont pris soin de rapporter scrupuleusement aux terroristes les détails concernant la disposition des pièces de leur maison, la composition de leur famille et jusqu’à la race de leur chien, en prévision des attaques.

Les otages libérés ne disent pas autre chose.

Ruthie Munder, 79 ans, qui croyait elle aussi fermement dans la paix, raconte avoir été gardée par un civil dans un hôpital.

« J’ai passé la plupart de mon temps enfermée dans une petite pièce au deuxième étage d’un hôpital. J’étais gardée contre ma volonté par un garde civil dans un établissement civil », dit-elle.

D’autres relatent avoir été détenus chez des particuliers, au beau milieu de familles qui vaquaient à leurs occupations ordinaires, comme si de rien n’était.

Après avoir vécu une telle expérience, Mia Schem, ex-otage franco-israélienne, va jusqu’à dire qu’à Gaza, « personne n’est innocent ». Les sondages montrant que trois Palestiniens sur quatre soutiennent les massacres du 7 octobre ne font rien pour la contredire.

L’Israélo-Canadienne Vivian Silver, fondatrice de Women Wage Peace et figure de premier plan de la cause de la paix avec les Palestiniens, a été assassinée le 7 octobre au kibboutz Beeri. Elle organisait notamment des tours à la frontière entre Gaza et Israël pour alerter l’opinion internationale sur la situation des Gazaouis.

1 500 personnes, parmi lesquelles beaucoup d’Arabes, ont assisté à ses funérailles, désireuses de lui rendre un dernier hommage. Si toutes avaient à cœur d’affirmer par leur présence, leur volonté de perpétuer l’action de Vivian, elles n’ont pas pu s’empêcher de se demander si avec sa dépouille, ce n’était pas aussi une certaine vision de la paix qui était bel et bien enterrée.


Que pensez-vous de cet article ? Partagez autant que possible. L'info doit circuler.



Aidez Elishean à survivre. Merci


ELISHEAN 777 Communauté pour un Nouveau Monde

Bouton retour en haut de la page