Isis est une reine mythique et la déesse-mère de l’Égypte antique. Elle est représentée, le plus communément, comme une jeune femme affublée d’un trône au-dessus de la tête ou, à la ressemblance d’Hathor, coiffée d’une perruque surmontée par un disque solaire inséré entre deux cornes de bovidé. Isis est l’une des déesses les plus populaire du panthéon égyptien. Le culte d’Isis est actif tout au long de l’histoire de l’Égypte antique et ne s’éteint qu’au cours des Ve et VIe siècles.
Les survivances tardives d’Isis
Malgré la disparition du culte d’Isis en Égypte et en Europe, balayé par la croyance en Jésus-Christ (un autre culte oriental), la déesse égyptienne est restée dans la mémoire des lettrés et érudits européens en tant qu’objet de curiosité intellectuelle, artistique et savante.
Face à la montée du christianisme, le culte d’Isis périclite puis disparaît au tournant des Ve et VIe siècles de notre ère. Toutefois, le souvenir d’Isis ne disparaît pas car entretenu par la scolastique monacale et universitaire.
Les mystères isiaques de la Renaissance
Au cours du Moyen Âge tardif, Isis devient un objet de curiosité de la part des érudits laïcs. Ce phénomène s’accentue durant la Renaissance. L’aspect d’Isis est confondu avec celui de l’Artémis multimammia d’Éphèse.
Au cours du Siècle des Lumières, certains philosophes francs-maçons épris d’égyptomanie portent leurs intérêts sur les Mystères d’Isis et tentent de les réinventer dans le cadre des rituels de leurs Loges initiatiques.
Les artistes et les poètes ont, quant à eux, sans cesse spéculé autour de l’image de la déesse voilée et fait d’Isis le symbole des lois cachées de la Nature. Depuis les années 1950, aux États-Unis surtout, Isis est particulièrement vénérée auprès des convents kémitistes de la Wicca qui lui adressent un culte païen moderne en tant que grande déesse originelle, maternelle et lunaire.
Une famille incestueuse ?
Rusée et grande magicienne, Isis est la sœur et l’épouse du roi Osiris, un être divin dont le règne généreux et civilisateur fut placé sous le signe de l’harmonie cosmique.
Plutarque rapporte qu’Osiris enseigna à son peuple les manières civilisées (mariage ?) afin que les hommes ne ressemblent plus à des bêtes sauvages (patriarcat ?).
Il leur enseigna l’agriculture ainsi que le respect des dieux et des lois (patriarcales ?).
Horus fils d’Isis et vengeur d’Osiris assassiné par Seth, réussit à se faire reconnaître comme le successeur légitime de son père, devenant par là, le prototype idéal du pharaon.
Ou une famille matriarcale ?
Dans la société égyptienne, le statut de la femme est très élevé.
Or universellement, plus le statut de la femme est élevé, plus la filiation est maternelle et non paternelle, plus le rôle de l’oncle maternel prime sur celui du père, et moins le mariage n’a d’importance.
La transmission se fait de mère en fille, et d’oncle à neveux maternel, et non de père en fils.
Ainsi, cette coutume matrilinéaire est encore vivace en Afrique, et l’était bien d’avantage du temps des pharaons : le souverain règne avec sa mère et sa sœur, et lègue son trône à son neveu maternel sans en être le géniteur.
Pourquoi la société égyptienne ferait exception ? Osiris étant le frère d’Isis, et l’oncle maternel d’Horus, est-il réellement l’amant de la première, et le père du deuxième ?
Osiris père de son neveux maternel ?
Dans l’iconographie, le moment de l’accouplement posthume n’apparaît qu’au Nouvel Empire.
Dès les Textes des Pyramides de l’Ancien Empire égyptien, il serait attesté que le dieu faucon Horus est le fils du couple que forment Osiris et Isis.
Dans les pyramides à textes, ces écrits sont gravés en colonnes sur les murs des corridors, des antichambres et des chambres funéraires. Les chapitres 366 et 593 des Textes des Pyramides, très proches dans leur rédaction, relatent la naissance et la conception d’Horus. Il y apparaît que ses parents seraient Osiris et Isis. La traduction est-elle fiable ? Cet unique texte est-il authentique ? Une version antérieure a-t-elle existé ?
« Ta sœur Isis est venue à toi, heureuse de ton amour. Après que tu l’as placée sur ton phallus, ta semence a jailli en elle » — Textes des Pyramides. Chap. 366.
Au nom de la mère, du frère, et du fils : la trinité matricienne
On retrouve à travers les croyances égyptiennes des éléments démontrant la place importante qu’occupaient les femmes dans la société.
Ainsi, la triade principale n’est pas composée du père, du fils et du Saint-Esprit comme dans le catholicisme, mais :
de la mère (Isis, Déesse mère dont l’influence et l’amour règne partout, Déesse du blé et à l’origine de sa culture),
du frère (Osiris, Dieu de l’agriculture et de la fertilité),
et du fils (Horus).
L’héritière de la Grande Déesse préhistorique
Isis est la lointaine héritière de la Grande Déesse préhistorique. Si ses pouvoirs sont identiques, protection et fertilité, son apparence est radicalement transformée.
La jeune beauté aux seins fermes a pris la place de la mère originelle aux seins lourds et au ventre déformé par les accouchements.
Au premier siècle de l’empire romain, le culte de la belle déesse africaine s’étend à l’ensemble du bassin méditerranéen, remontant jusqu’au nord de la Gaule.
En bien des cités, les temples d’Isis attiraient plus de fidèles que ceux des divinités gréco-latines.
Dans les premiers siècles du christianisme la figure d’Isis allaitant Horus, Isis lactans en latin, servit de base au culte de la vierge Marie.
Les mystères d’Isis
La rencontre des cultures grecques et égyptiennes durant la période ptolémaïque a donné naissance aux Mystères d’Isis, un culte de la déesse basé sur des événements festifs publics et sur des cérémoniels plus confidentiels.
Ces derniers ne sont accessibles qu’aux individus ayant entrepris un enseignement spirituel inauguré par une initiation aux mythes et symboles de la croyance en Isis durant des épreuves, nocturnes et secrètes, tenues dans l’enceinte des temples isiaques.
Le voile du sexe d’Isis
— Plutarque, Sur Isis et Osiris, 9. Traduction de Pierre Hadot« À Saïs, la statue assise d’Athéna, qu’ils identifient à Isis, porte cette inscription: « Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon voile (peplos), aucun mortel ne l’a encore soulevé. »
L’inscription de Saïs est évoquée, une seconde fois, au Ve siècle, par le grec Proclus dans son Commentaire du Timée de Platon mais sous une forme différente et plus développée:
« Ce qui est, ce qui sera, ce qui a été, je le suis. Ma tunique (chitôn), personne ne l’a soulevée. Le fruit que j’ai engendré, c’est le soleil. » — Proclus, Commentaire du Timée de Platon, 21e. Traduction de Pierre Hadot
L’expression « aucun mortel n’a jamais soulevé mon voile » qu’adopte Plutarque prête à confusion.
Il est tentant d’imaginer une statue d’Isis, le visage caché sous un châle que l’initié soulève tel un époux le jour des noces lorsque se présente à lui son épouse voilée ; le dévoilement signifiant la découverte des mystères cachés.
Cette interprétation est peu crédible, les égyptiens ne voilant pas leurs déesses. Plutarque parle plutôt d’une tunique, le peplos étant un lourd vêtement en laine, tandis que le soulèvement de la robe et le dévoilement du sexe féminin d’Isis (ou des déesses qui lui sont identifiées) est un motif mythique et iconographique attesté en Égypte.
La déesse-mère de la parthénogenèse
Isis, la déesse des anciens Égyptiens, la mère des dieux, est venue d’elle-même ; elle est aussi la déesse vierge ; ses temples à Saïs, la ville sainte, portaient cette fière inscription : »Personne n’a jamais relevé ma robe, le fruit que j’ai enfanté est le Soleil ».
L’orgueil de la femme éclate dans ces paroles sacrées ; elle se proclame indépendante de l’homme, elle n’a pas besoin de recourir à sa coopération pour procréer.
La Grèce répliquera à cette insolente assertion. Jupiter, le père des dieux, enfantera Minerve sans le secours de la femme, et Minerve, la déesse « qui n’a pas été conçue dans les ténèbres du sein maternel », sera l’ennemie de la suprématie familiale de la femme.
Un monothéisme féminin
Avant la première dynastie en Égypte, la grande déesse NEIT était « la Mère de tous les dieux », qui gouvernait le ciel, la terre et le séjour des morts.
Elle était éternelle et s’était créée elle-même, personnifiant dès les temps les plus reculés le principe féminin, créateur de sa propre existence, qui se suffit à lui-même et dont l’action se reconnaît partout. Sous sa forme de mère universelle, NEIT formait le germe des dieux et des hommes, elle était la mère de RA. Horus, tue Seth, le fils et le défenseur de la Mère, et devient le premier monarque mâle.
« Neit […] celle qui fait dire très justement à Ifor Evans, dans The earlier religion of Greece (1931), que « nous sommes en présence d’un culte qui tend au monothéisme et qui donne la première place à une religion féminine ». Ce qui, du reste, dément totalement le préjugé courant que le monothéisme apparaît avec le patriarcat des Hébreux ».
La diaspora isiaque
Isis gréco-romaine
Entre la fin du IVe siècle av. J.-C. et la fin du IVe siècle ap. J.-C., le culte d’Isis se répand à travers le bassin méditerranéen et un nombre important de sanctuaires lui sont élevés en Grèce et en Italie.
En ces nouveaux lieux, les rites égyptiens voués à la déesse sont adaptés à la pensée religieuse gréco-romaine.
L’iconographie et le culte d’Isis s’hellénisent, et, par un rapprochement avec la quête de Perséphone par Démeter (Mystères d’Éleusis) se créent les Mystères d’Isis organisés sous la forme d’un cérémonial initiatique, progressif et secret.
À partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., le culte de la déesse Isis est attesté sur le sol grec. À partir de la fin du IIe siècle av. J.-C., le culte d’Isis se répand largement en Italie et autour de la méditerranée occidentale.
Jusqu’aux Indes
Durant plus de sept siècles, entre la fin du IVe siècle av. J.-C. et la fin du IVe siècle ap. J.-C., les cultes d’Isis, de son parèdre Sérapis (forme hellénisé d’Osiris), de leur fils Harpocrate et d’Anubis (le dieu chacal) se sont diffusés hors d’Égypte tout autour du bassin méditerranéen et même au-delà, en Arabie, dans l’Empire kouchan (Inde), en Germanie et en Bretagne.
Ce phénomène religieux est l’un des plus remarquable des époques hellénistique et romaine.
La déesse Isis est la figure centrale de ce panthéon et de nombreuses cités grecques et romaines lui voueront un culte officiel.
Dans la littérature scientifique moderne, cette diffusion de la croyance égyptienne prend les noms de « cultes égyptiens », « cultes alexandrins », « cultes nilotiques » ou « cultes isiaques ».
L’empire romain isiaque
Dès le Ier siècle av. J.-C., le culte d’Isis se répand en dehors de la péninsule italienne vers le reste de l’occident européen par les routes alpines et vers l’Orient grâce aux marins et marchands égyptiens et syriens.
En Gaule, en Germanie et en Bretagne, l’implantation du culte d’Isis est la conséquence de la colonisation romaine et la pénétration du culte correspond aux grands axes marchands, principalement la vallée du Rhône, dans celle du Rhin, et dans les provinces danubiennes (Dacie,Pannonie).
En Afrique du Nord, la présence de la déesse reste modeste et se cantonne le long des côtes dans la région de Carthage.
En Ibérie, sa présence se remarque dans quelques vallées fluviales (Guadiana et Douro).
« Suivant Tacite (Germ. 9), une partie des Suèves, peuple germanique, sacrifiaient à Isis (déesse égyptienne) ; en fait, on a trouvé des inscriptions où Isis est associée à la ville de Noreia divinisée ; Noreia est aujourd’hui Neumarket en Styrie. Isis, Osiris, Sérapis, Anubis ont eu des autels à Fréjus, à Nîmes, à Arles, à Riez (Basses Alpes), à Parizet (Isère), à Manduel (Gard), à Boulogne (Haute Garonne), à Lyon, à Besançon, à Langres, à Soissons. Isis était honoré à Melun, à Sérapis, à York et à Brougham Castle, mais aussi en Pannonie et aussi dans le Norique ». – J. Vendyes, Les religions des Celtes, des Germains et des Anciens Slaves, Coll. Mana, tome 3, p. 244.
Le culte impérial d’Horus
Vers la fin du règne de Commode (161-192), Sérapis et Isis deviennent les protecteurs de l’Empereur et de l’Empire. Au IIIe siècle ap. J.-C., la période sévérienne marque l’apogée du culte d’Isis dans le monde antique.
Les temples isiaques sont souvent des centres du culte impérial : l’enfant Horus pharaon sur les genoux d’Isis devient l’enfant empereur sur les genoux d’Isis, et deviendra par la suite l’enfant Jésus sur les genoux de la Vierge Marie.
Durant le IIIe siècle av. J.-C., malgré la progression du christianisme, la croyance en Isis persiste fortement. Jusqu’à la fin du IVe siècle av. J.-C., l’aristocratie romaine qui reste attachée à la défense du paganisme, maintient le culte d’Isis malgré les nombreuses attaques polémiques des cercles chrétiens.
Anahita et Mithra – de la Perse à Rome
Anahita (en persan : آناهیتا), anagramme d’Athéna, ou Nahid (en persan : ناهید, immaculée) en persan moderne, est une ancienne divinité perse.
Le culte de cette déesse a atteint son apogée en Iran.
On peut aussi rapprocher Anahita de la déesse sémitique Ishtar.
Comme l’a démontré Georges Dumézil, elle correspondrait à la déesse-rivière indienne Sarasvatî.
Anahita est, d’après la mythologie perse, la mère de Mithra. L’Avesta la décrit comme celle « celle qui hait les Daevas et obéit aux
lois d’Ahura ».
Or les Devas sont aussi les dieux védiques du patriarcat aryen.
Source de la vie et protectrice des rois
Le Yasht V (Aban Yasht) est consacré à la déesse Ardvi Sura Anahita, décrite comme une jolie femme au corps ferme et élancé. Elle est la déesse de toutes les eaux à la surface de la terre ainsi que de la pluie, de l’abondance, de la fertilité, des unions, de l’amour, de la maternité et de la victoire. Les Anciens voyaient en elle la source de la vie et elle symbolise la prépondérance du rôle féminin dans la société. C’est une des raisons évoquées pour expliquer que les cérémonies de couronnements royaux se tenaient au temple d’Anahita.
La Vierge Mère Artémis
Durant la période hellénistique, Anahita a été associée au culte de Mithra.
Une inscription datant de l’an 200 av. J.-C. dédicace un temple séleucide d’Iran à « Anahita, Vierge immaculée, Mère du seigneur Mythras », qui procréa donc sans l’intervention d’un homme, ou d’un père reconnu.
Le Temple d’Anahita à Kangavar en Iran est l’un des plus importants temples dédiés à la déesse. Le géographe grec Isidore de Charax mentionne pour la première fois le temple d’Anahita à Kangavar comme « temple d’Artémis » au Ier siècle.
Un proto-christianisme ?
Mithra ou Mithras est un dieu indo-iranien, fils d’Anahita, dont le culte connut son apogée à Rome aux IIe et IIIe siècles de notre ère.
Le mithraïsme serait un culte polythéiste antérieur de plus de 1500 ans au christianisme primitif, mais qui connut son apogée à Rome au moment de la naissance de ce dernier.
Au IVe siècle, il est supplanté par le christianisme qui le déclare illégal en 391.
Un christ solaire?
À la fin du IIIe siècle un syncrétisme s’opère entre la religion mithraïque et certains cultes solaires de provenance orientale, qui cristallisent dans la nouvelle religion du Sol Invictus « soleil invaincu ».
Cette religion est officialisée dans l’Empire en 274 par l’empereur Aurélien qui érige à Rome un splendide temple dédié à la nouvelle divinité, et crée un corps de clergé d’État pour assurer le culte (son dirigeant, le pontife, est dénommé le pontifex solis invicti).
Pour restaurer l’ordre patriarcal ?
Un Noël solaire païen
À la suite de la crise du IIIe siècle, l’empire était au bord de la dislocation.
L’empereur Aurélien (270-275) , vainqueur de la reine Zénobie et restaurateur de l’ordre, décida d’instaurer ce culte commun à tout l’Empire. Un de ses successeurs, Constantin Ier, fut au début de son règne adepte du Soleil invaincu, comme en témoignent ses émissions monétaires. Aurélien lui assure une place officielle à Rome en proclamant que le Soleil invaincu est le patron principal de l’Empire romain.
Une grande fête du Soleil Invaincu avait lieu le 25 décembre, soit la date du solstice d’hiver selon le calendrier julien : c’était le Dies Natalis Solis (« Jour de naissance du Soleil »), christianisé par la suite en Occident (Natalis a donné les termes Natale en italien, Nadal en occitan et en catalan, Noël en français).
Une religion impériale
Des mithræa ont été découverts dans beaucoup de provinces de l’Empire romain.
Le culte s’est principalement répandu en Italie, en Grande Bretagne, sur le Rhin et le Danube. La plus grande concentration de mithræa se trouve dans la capitale, Rome, mais on en a découvert dans des lieux éloignés tels que le nord de l’Angleterre, la Palestine ou encore sur la frontière orientale de l’Empire à Doura-Europos en Syrie.
En France on a trouvé des sanctuaires dédiés à Mithra à Angers, Biesheim, Bordeaux, Bourg-Saint-Andéol, Metz (quartier du Sablon), Nuits-Saint-Georges (site des Bolards), Septeuil et Strasbourg.
Eglises ou temples de Mithra?
Certains temples furent postérieurement convertis en cryptes sous des églises chrétiennes, comme le site de Notre-Dame d’Avinionet à Mandelieu. À Rome, la Basilique Saint-Clément-du-Latran possède dans ses sous-sols des vestiges d’un temple mithraique. En Espagne, en Galice, on a trouvé des restes de mithraeum à côté de la cathédrale de Lugo.
Où sont passés les temples isiaques gallo-romains?
La Gaule isiaque romaine
La religion gallo-romaine était une fusion des formes religieuses romaine et égyptiennes, ainsi que des culte aux divinités gauloises du polythéisme celtique.
Il s’agissait d’une acculturation sélective. Les hasards des découvertes archéologiques n’ont pas encore permis de découvrir les vestiges d’un sanctuaire d’Isis sur le territoire français.
La présence de son culte est toutefois attesté par de nombreuses sources épigraphiques (inscriptions sur des stèles ou sur des statues).
La Narbonnaise est la région gauloise qui fournit le plus grand nombre de témoignages de ce genre. Les principaux secteurs sont la vallée de la Garonne, les environs de Toulouse (Tolosa), de Narbonne (Colonia Narbo Martius) et la vallée du Rhône depuis le delta et jusqu’aux villes de Lyon (Lugdunum) et Vienne (Colonia Julia Viennensis).
La croyance a sans doute été introduite en Gaule par l’entremise des villes côtières fréquentées par des Grecs, des Orientaux hellénisés et des Italiques (Campaniens) pratiquant le commerce maritime.
La présence d’un temple d’Isis est attestée à Nîmes (Nemausus), une ville fondée par Auguste pour des vétérans militaire revenus d’Égypte.
Ce fait a été commémoré par des pièces de monnaie frappées d’un crocodile enchaîné à un palmier (ce motif figure sur les armoiries de la ville depuis 1535).
Nîmes est aussi connue pour sa confrérie des Anubiaques vouées au culte du chacal Anubis.
Les villes de Marseille (Massalia) et Arles (Arelate) disposaient elles aussi de temples d’Isis.
Celui de la cité de Lyon (Lugdunum) se situait probablement sur la colline de Fourvière où une inscription dédiée à Isis Augusta a été découverte sur une statue de Fortuna : La basilique de Notre-Dame de Fourvière domine la ville de Lyon depuis le sommet de la colline de Fourvière, sur l’emplacement de l’ancien Forum de Trajan (Forum vetus, d’où le nom de Fourvière).
Depuis cette ville, le culte d’Isis s’est propagé vers les vallées de la Loire, de l’Allier et de la Saône.
Des statuettes égyptiennes ou de style égyptisant ont été sporadiquement découvertes sur l’ensemble du territoire gaulois. Tel est le cas à Strasbourg (Argentoratum).
Dans cette ville militaire, le culte d’Isis ne semble toutefois pas avoir bénéficié d’un temple, contrairement à Mithra (Mithraeum de Koenigshoffen).
À Paris, on peut signaler la découverte en août 1944 d’artefacts égyptiens (fragments de statuettes en céramique, restes de papyrus du Livre des Morts) dans les vestiges d’un bâtiment que l’on pourrait interpréter comme étant une bibliothèque dépendant d’un sanctuaire isiaque (quartier latin, non loin des thermes de Cluny).
La déesse aux dix mille noms
Dès le Ve siècle av. J.-C., les deux déesses, Isis et Déméter, ont été assimilée l’une à l’autre dans la pensée grecque. Hérodote affirme ainsi :
« dans la ville de Bousiris en l’honneur d’Isis ; il y a un très important sanctuaire d’Isis ; la ville est située au milieu du Delta égyptien ; Isis est celle qu’en langue grecque on appelle Déméter » (Histoire, II).
Même si Isis est adoptée par les peuples gréco-romains, la déesse reste largement perçue comme une divinité étrangère.
De nombreuses épithètes signalent son origine égyptienne ; Isis Aigyptia (l’Égyptienne) ; Isis Taposirias d’après l’antique nom de la ville côtière d’Abousir (située à l’ouest d’Alexandrie) ; Isis Memphitis (Memphis) ; Isis Tachnèpsis (Mont Casion près de Péluse).
De nombreuses fois, Isis a été assimilée ou confondue avec des déesses grecques dont Aphrodite, Tyché, Déméter, Hygie.
En Italie, la déesse prend les aspects de la déesse Fortuna adorée à Préneste, une divinité de l’agriculture, de la fécondité et de l’amour. Ces nombreuses associations font d’Isis la déesse aux dix mille noms Isis Myrionyma:
« Je suis la Nature, mère des choses, maîtresse de tous les éléments, origine et principe des siècles, divinité suprême, reine des Mânes, première entre les habitants du ciel, type uniforme des dieux et des déesses. C’est moi dont la volonté gouverne les voûtes lumineuses du Ciel, les souffles salubres de l’Océan, le silence lugubre des Enfers.
Puissance unique, je suis par l’univers entier adorée sous plusieurs formes, avec des cérémonies diverses, avec mille noms différents. Les Phrygiens, premiers nés sur la terre, m’appellent la Déesse Mére de Pessinonte ; les Athéniens autochtones me nomment Minerve la Cécropienne ; chez les habitants de l’île de Chypre, je suis Vénus de Paphos ; chez les Crétois armés de l’arc, je suis Diane Dictynna ; chez les Siciliens qui parlent trois langues, Proserpine la stygienne ; chez les habitants d’Eleusis, l’antique Cérès. Les uns m’appellent Junon, d’autres Bellone ; ceux-ci Hécate, ceux-là la Déesse de Rhamnonte.
Mais ceux qui les premiers, sont éclairés par les rayons du Soleil naissant, les peuples de l’Ethiopie, de l’Asie et les Egyptiens, puissants par leur antique savoir, ceux-là seuls me rendent mon véritable culte et m’appellent de mon vrai nom : la reine Isis. » – Apulée, les Métamorphoses ou l’Ane d’Or, XI, 4
D’Isis à la Vierge Marie : la Vierge Noire ?
Durant les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne, les figures maternelles d’Isis, mère d’Horus et de Marie, mère de Jésus ont coexisté.
Tant en Égypte qu’autour de la Mer Méditerranée, le culte d’Isis est florissant jusqu’au IVe siècle et ses figurations sont très répandues.
La plus ancienne représentation connue de la mère du Christ serait une peinture de la catacombe de Sainte Priscille à Rome qui pourrait être datée du IIe siècle. La Vierge est assise et elle allaite son fils tandis qu’un personnage montre du doigt une étoile située au-dessus de sa tête.
La chrétienté a pris naissance dans le milieu juif où l’interdit des images divines est très fort,« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre » (Exode, 20, 4).
Les premiers croyants chrétiens n’ont donc pas disposé d’une tradition picturale monothéiste. Par conséquent, il est fort possible qu’ils aient puisé dans le répertoire polythéiste.
Or, l’iconographie d’Isis montre très souvent la déesse assise sur un trône en train d’allaiter le très jeune Horus. L’emprunt aux cultes isiaques est d’autant plus probable que la culture gréco-romaine n’offre pas d’autre modèle de déesse allaitante.
Eglises chrétiennes ou temples païens?
À partir du Moyen Âge tardif, la déesse Isis connaît un nouvel intérêt de la part des érudits grâce à l’étude attentive des auteurs de l’Antiquité et aussi par les nombreuses découvertes de statues et figurines égyptiennes ou égyptisantes laissées par les adeptes des antiques cultes isiaques.
La Renaissance est une époque où nombre de savants croient pouvoir affirmer la présence, un peu partout, d’anciens temples d’Isis ; à Paris, à Augsbourg, à Soissons, à Tournai, etc : de nombreuses églises et cathédrales auraient été bâties sur, ou dans d’anciens temples païens gallo-romains.
Le site de la cathédrale de Strasbourg par exemple, est utilisé par plusieurs édifices religieux successifs, à partir de l’occupation romaine. Un sanctuaire romain dédié au dieu Mars occupe alors l’emplacement jusqu’à une date inconnue. A Paris, on a trouvé près de l’église actuelle de Notre-Dame-des-Champs les vestiges d’un temple romain dédié au culte du dieu Mercure.
Paris, la maison d’Isis
« C’est ainsi qu’à Paris, une grande statue d’Isis sur sa barque fut longtemps conservée dans l’église Saint-Germain-des-Prés, jusqu’à ce qu’un prêtre la détruise à coup de pioche au 18ème siècle. La nef ornant les armoiries de la ville de Paris ne serait autre que la barque d’Isis, tandis que la devise « Fluctua Nec Mergitur » rappellerait la navigation héroïque des suivants d’Horus (…) mais aussi celles des initiés circulant dans le secret des temples. Selon certains chercheurs, les antiques parisii, précurseurs des habitants de la capitale devraient même leur nom à la déesse ». – Robert-Jacques Thibaud, Dictionnaire de mythologie et de symbolique égyptienne, éd. Dervy, 1996.
Le moine Abbon de l’Abbaye de saint-germain des près (fin IXéme siècle) écrivait :
« Lutèce. Ainsi te nommait-on autrefois ; Mais a présent ton nom vient de la ville d’Isia, sise au centre du vaste pays des grecs. Ô Lutèce. Ce nom nouveau que le monde te donne, c’est PARIS, c’est a dire « pareille a ISIA » ; avec raison car elle t’est semblable ».
L’écrivain François Maspéro précise:
« Le culte d’Isis, comme on le voit, était très répandu en France, en particulier dans le Bassin Parisien ; il y avait partout des Temples d’Isis, selon la terminologie occidentale, mais il serait plus exact de dire « Maison d’Isis », car des dits temples étaient appelé en égyptien Per ou Par, lequel mot signifie exactement en égyptien ancien, l’enclos qui entoure la maison. Paris résulterait de la juxtaposition de Per/Par-Isis, mot qui désigne effectivement des villes d’Égypte. »
« Le nom même de Parisii pourrait bien signifier » Temple d’Isis », car il existait au bord du Nil une citée de ce nom et l’hiéroglyphe per figure sur l’enceinte d’un Temple de l’Oise ». – Pierre Hubac, Carthage, éd. Bellenand, 1952, P. 170.
Melun, cité de la déesse Iséos
Cette explication est cependant concurrencée par une étymologie alternative qui présente la ville de Melun comme un ancien lieu dédié à la déesse sous le nom d’Iséos ; Parisis serait alors quasi par Isis c’est-à-dire « pareil à Iséos », les villes de Paris et de Melun/Iséos étant toutes deux situées sur une île de la Seine, Paris autour de l’Île de la Cité et Melun autour de l’Île Saint-Étienne.
Saint-Germain-des-Prés, temple isiaque de Lutèce
Selon les clercs de l’abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, leur abbaye a été fondée en un lieu où se situait un temple d’Isis.
La plus ancienne mention connue de cette thèse est une notule ajoutée à la chronique De Gestis Francorum du moine Aimoin (ixe siècle). Cet ajout est difficilement datable, des XIIIe et XIVe siècles ou peut-être plus précisément du règne de Charles V(1364-1380) ; il y est dit que:
« Cette Isis fut adorée et vénérée jadis par le peuple de la ville de Lutèce dit maintenant Paris, en un lieu nommé Lutoticia, à l’opposé du Mont de Mars. Elle s’y voit jusqu’à présent et elle y était adorée et vénérée par plusieurs princes francs païens, Francion, Pharamond, Mérovée, Childéric, jusqu’au temps de Clovis, premier chrétien. Un temple y fut élevé en l’honneur de Saint Étienne, de la Sainte Croix et de Saint Vincent. Childebert, fils de Clovis, roi des Francs, l’avait fondé. »
Les églises conservent leurs divinités païennes originelles
La notule mentionne la présence d’une statue d’Isis au sein de l’abbaye.
L’affirmation n’est pas surprenante en soi. Jusqu’au XVIe siècle, nombres d’édifices religieux abritaient d’antiques statues, une Artémis multimammia en l’église Saint-Étienne de Lyon, un Hercule en la cathédrale de Strasbourg, etc. D’après la description de l’écrivain et éditeur Gilles Corrozet (1510-1568), dans son guide, Les Antiquitez et Singularitez de Paris:
« … comment la ville de Paris fut nommée ! Près d’Icelle ou saint-germain des prés, était un temple a l’idole de la déesse Isis, laquelle selon Jehan le maire, fut reine d’Égypte et femme du grand OSIRIS, surnommé JUPITER-LE JUSTE… La dite cité était si proche dudit temple, qu’elle fut nommée Paris, qui est à dire « juste et près de la déesse Isis ». […] Elle était maigre, haute, droite, noire pour son antiquité, nue sinon avec quelque figure de linge entassé autour de ses membres (…) elle fut ôtée par un monseigneur Briçonnet, évêque de Meaux et abbé du dit lieu environ l’an 1514 ».
Ce fait fut encore confirmé par le père Jean du Breul qui dans son ouvrage Théâtres des antiquités de Paris publié en 1639 dit ceci :
« Au lieu où le roi Childebert fit construire à l’église de Saint-Vincent, à présent dite de Saint-Germain-des-Près et à laquelle il donna son fief d’Issy, la commune opinion est qu’il y avait un temple d’Isis, femme d’Osiris ».
Abbaye Saint Victor, temple romain d’Isis de Marseille
La Vierge noire de l’église Saint-Victor de Marseille a une origine qui ne laisse aucun doute sur sa forme première, qui, de toute évidence, était la statue d’Isis.
La légende raconte qu’en l’an 416 de notre ère, un religieux, Jean Cassien, qui venait de passer vingt-cinq années dans les couvents du Liban et d’Egypte, revint à Marseille, d’où il était originaire, en rapportant d’Egypte une statue de femme en bois noire. A l’église Saint-Victor, dans les catacombes, il installe cette statue, la débaptise, et instaure le culte de la vierge qui, assez rapidement, se propage en Gaule et y remplace la dévotion d’Isis et de Cybèle.
Les navettes de Marseille, pâtisseries-barques d’Isis
Aujourd’hui encore, le 2 février, jour de la Chandeleur, s’ouvre à Saint-Victor, une neuvaine à la Vierge noire.
On célèbre l’office dans les catacombes et la tradition est de toucher la robe verte de la statue avec des cierges verts (couleur d’Allat, déesse-mère arabe pré-islamique) et de ne les allumer qu’ensuite.
On y vend des pâtisseries dont la recette est gardée secrète de père en fils et qui se préparent elles aussi dans les catacombes ; elles portent le nom de « Navettes » et affectent très exactement la forme de la barque d’Isis, ou, pour les marseillais, la barque qui, selon la légende, aurait amené aux Saintes-Maries-de-la-Mer Marie Salomé, Marie Jacobé et Marie Madeleine accompagnées de Sarah (les Trois Grâces, divinités antiques).
Cette fête, typiquement marseillaise, très populaire, a rassemblé au début du XIXème siècle entre 60 000 et 80 000 personnes.
L’histoire de la Vierge noire de Boulogne-sur-Mer est similaire, datant de l’an 620 de notre ère, et qu’on prétend être venue de la mer sur une barque de pêche.
Les habitants furent témoins de l’accostage d’une barque, poussée par des anges, en laquelle se tenait debout une statue en bois de la Vierge Marie. Cette dernière tenait l’Enfant-Jésus sur son bras gauche.
La cathédrale de Chartres, temple druidique d’Isis
A Chartres, où se trouve une Vierge noire, dont le culte se célèbre dans le puits des Saint-Forts, c’est-à-dire dans la crypte de la cathédrale, on pré-tend que cent ans avant la naissance du Christ on y adorait déjà une Vierge noire qui aurait été « celle qui devait enfanter ». Or, il se trouve que l’on vénère aussi à Chartres le voile de la Vierge, seul objet connu que la tradition dit lui avoir appartenu, et qu’on ne peut manquer de mettre en parallèle avec le voile d’Isis.
Le panthéon, temple de Ste Geneviève-Marianne-Isis
Les nautes de Lutèce constituèrent la confrérie des nautes, armateurs mariniers gaulois, de la tribu des Parisii. Les nautes de Lutèce formaient une corporation de riches armateurs mariniers et commerçants naviguant sur la Seine (la déesse Séquana) et de là vers les fleuves et rivières du reste de la Gaule.
Les nautes de Lutèce vouaient un culte à la déesse égyptienne Isis, dont le culte était assez répandu en Gaule avant l’arrivée des Romains.
Un temple était dédié à cette divinité sur la rive gauche de la Seine, sur la montagne Sainte-Geneviève, près des thermes et des arènes : le Panthéon est l’église bâtie par Louis XV en l’honneur de cette sainte protectrice de Paris, qui pourrait être Isis.
Les nautes furent à la base du commerce et des échanges entre la cité de Lutèce et le reste du monde antique. Ils nous laissèrent des objets archéologiques divers, tels que statuettes votives et le célèbre pilier des Nautes qui fut mis au jour sous les fondations de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1711.
Notre-Dame de Paris, cathédrale d’Isis
En 1705, l’urbaniste français De Lamare dressa le plan de la ville de Paris et y mentionna des temples d’Isis en lieu et place de l’abbaye de Saint-Germain-des-Près et de la Cathédrale de Notre-Dame.
On pense qu’au début de l’ère chrétienne il existait à l’emplacement de Notre-Dame, un temple païen gallo-romain dédié à Isis (comme en atteste la découverte du pilier des Nautes), ensuite remplacé par une grande basilique « paléochrétienne » semblable aux basiliques civiles antiques.
Le pilier païen de l’autel de Notre-Dame
Le pilier des Nautes est une colonne monumentale gallo-romaine érigée en l’honneur de Jupiter par les Nautes de Lutèce au ier siècle, sous le règne de l’empereur Tibère. C’est le plus vieux monument de Paris et le plus ancien ensemble sculpté découvert en France et daté par une inscription impériale.
Le pilier des Nautes est exposé dans la salle du frigidarium des thermes de Cluny. Il s’agit de l’empilement de quatre blocs ou autels qui ont été mis au jour dans les fondations de l’autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 16 mars 1711 lors des fouilles entreprises pour la réalisation du Vœu de Louis XIII.
On appelle vœu de Louis XIII la consécration, le 10 février 1638, de la France à la Vierge Marie : le roi promet d’élever un nouveau maître-autel dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. « Tout Paris a été les voir » a rapporté Baudelot, membre de l’Académie des médailles et auteur d’une Description des bas-reliefs anciens trouvez depuis peu dans l’église cathédrale de Paris.
En dédiant le pilier à Jupiter, ils montraient qu’ils agréaient à la religion des Romains tout en affirmant leur fidélité aux cultes indigènes par la mention de dieux gaulois.
Confrérie armée des Nautes et chevaliers templiers
Un indice de la puissance des Nautes est donné par une des sculptures du pilier : on les voit défiler en armes avec boucliers et lances, privilège octroyé par les Romains, ce qui est exceptionnel moins d’un demi-siècle après la conquête de la Gaule.
Les nautes vénéraient donc Isis et Cernunnos, que l’on peut rapprocher de la Vierge Noire et du Baphomet, vénérés par les templiers (et les basques), financiers de la construction des cathédrales.
C’est en priant en direction de la cathédrale que les templiers furent immolés sur les bûchers de Philippe le Bel au début du XIVème siècle. Notre-Dame-de-Paris est-elle la cathédrale des nautes ou celles des templiers ?
Isis, déesse des germains
Deux auteurs gréco-romains rapportent la présence des dieux Osiris et Isis en Europe. Selon Tacite, sénateur et historien romain du ier siècle, les Anciens Germains auraient porté un culte à la déesse égyptienne:
« Une partie des Suèves sacrifie aussi à Isis. Je ne trouve ni la cause ni l’origine de ce culte étranger. Seulement la figure d’un vaisseau, qui en est le symbole, annonce qu’il leur est venu d’outre-mer. Emprisonner les dieux dans des murailles, ou les représenter sous une forme humaine, semble aux Germains trop peu digne de la grandeur céleste. Ils consacrent des bois touffus, de sombres forêts ; et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas. » — Tacite, Mœurs des Germains, chap. IX
Les cités isiaques de Germanie
En 1506, Konrad Peutinger (1465-1547) croit pouvoir relier la fondation de sa ville d’Augsbourg au culte d’Isis.
En se basant sur une chronique du XIIIe siècle qui affirme que les Suèves vénéraient la déesse Zisa (Cisa) avant l’arrivée des Romains et sur Tacite qui prétend qu’il s’agit d’Isis, Peutinger écrit « Le temple qui s’élevait comme on le croit à l’endroit où se trouve actuellement l’hôtel de ville était dédié non pas à Cisa mais à Isis. De même la montagne, où s’élève la prison, n’est pas le Cisen mais le Isenberg ».
La déesse qui enseigna l’art de la forge
Selon Andreas Althamer (1500–1539), la ville de Eisenach (Isenac) en Thuringe a reçu son nom d’Isis car « les Suèves qui dans l’Antiquité rendaient un culte à Isis habitaient sur l’Elbe pas loin d’Isenac ».
La ville d’Eisleben (Islebia) en Saxe, patrie de Martin Luther, a elle aussi été associée à ce culte. La question s’est vite posé si ces étymologies reposent vraiment sur le nom d’Isis (baptisée Eysen par Johann Turmair) ou sur le mot « fer », Eisen en allemand. La question fut rondement tranchée par Georg Fabricius (1516-1571) pour qui seul les incultes pouvaient s’opposer à l’explication mythologique ; les Souabes ayant baptisé le fer d’après le nom de la déesse pour la remercier de leur avoir enseigné l’art de forger le métal.
Les innombrables lieux d’Isis
Selon Sebastian Münster (1488-1552), le roi Dagobert fit construire un château à Rouffach en Alsace et « lequel il fit appeler Isenbourg, c’est à dire bourg de fer à cause que c’est une forteresse bien sûre contre les ennemies, combien que les autres disent qu’à cause de la déesse Isis qui trouva les blés (pour ce qu’ils estiment qu’elle ait été autrefois adorée en ce coteau pour la fertilité d’iceluy) le dit château soit été appelé Isisbourg ».
De semblable explications sont avancées pour un nombre considérable de villes, villages, ruisseaux, rivières et autres lieux-dits ; pour Issenheim près de Colmar, pour l’Isenberg une montagne dans le canton suisse de Zurich, etc.
Isis à la Renaissance
Les attributs d’Isis-Cléopâtre se retrouvent dans certaines toiles représentant Elisabeth Ire d’Angleterre (1533 – 1603).
Isis invente la science et l’écriture
« Aussi dit-on qu’elle trouva (qui fut beaucoup plus merveilleuse en une femme) moyennant les subtilités de son esprit, certaines figures et lettres, non seulement convenables à leur parler, mais, d’avantage, propres à comprendre les sciences, leur montrant par quel ordre ils les devaient conjoindre, et par quelle manière en user » — Boccace (1313-1375), Les Dames de renom, invention des hiéroglyphes et de la science par Isis.
Déesse de l’agriculture et Mère de Dieu
« Toutes vertus entes et plantes en toy comme Ysis faict les plantes et tous les grains fructifier ; ainsi doidbs tu edifier » — Épitre d’Othéa, allégorie XXV, la poétesse française Christine de Pisan (1364-1430).
Christine de Pisan inaugure aussi une nouvelle idée en faisant d’Isis la préfiguration de la Vierge Marie. La fertilité d’Isis qui fait naître les plantes est une métaphore de la conception de Jésus-Christ:
« La ou il dit que a Isys qui est plantureuse doibt ressembler, povons entendre la benoiste conception de jesucrist par le sainct esperit en la benoiste Vierge Marie mere de toute grace (…) Laquelle digne conception doit le bon esperit avoir entee en soy et tenir fermement le digne article comme dit sainct Jacques le grand Qui conceptus est de spiritu sancto natus es Maria virgine » — Épitre d’Othéa, allégorie XXV, la poétesse française Christine de Pisan (1364-1430).
La civilisatrice de l’Europe
Au début de la Renaissance, le vif intérêt des érudits pour la mythologie égyptienne se manifeste le plus spectaculairement en la personne de Giovanni Nanni (1432-1502) dit « Annius de Viterbe ».
En 1498, il publie un recueil connu en langue française sous le titre des Antiquités d’Annius. Dans cette anthologie commentée se trouvent rassemblés des écrits attribués à des auteurs de l’Antiquité, tels Bérose ou Manéthon de Sebennytos.
En s’inspirant des pérégrinations d’Osiris narrées par Diodore (Bibliothèque historique, Livre I), Annius relate un voyage d’Osiris et Isis en Europe.
Durant ce séjour, le héros s’attarde plus particulièrement en Italie où il occupé à batailler contre des géants durant dix longues années.
Après la mort d’Osiris en Égypte, Isis retourne en Italie où elle poursuit son œuvre civilisatrice (sous le nom de Cérès) et où, selon Annius, la déesse aurait cuit du pain pour la première fois (à Viterbe). Ce dire s’inspire de Pline l’Ancien (Histoires naturelle, Livre VII, chap. 57) qui rapporte que la déesse a remplacé les glands par les céréales pour nourriture des humains en Attique et en Sicile.
La nouvelle déesse des francs-maçons
La Franc-maçonnerie, apparue vers la fin du XVIe siècle en Grande-Bretagne, s’inspire avant tout du mythe d’Hiram, l’architecte du temple de Salomon, et des rites des Anciens Devoirs (les corporations des constructeurs des cathédrales).
Toutefois, vers la fin du XVIIIe siècle, le mythe d’Isis et ses mystères deviennent un autre aspect fondamental de cet enseignement ésotérique et élitiste : la figure d’Isis en tant que personnification de la Nature connaît une évolution très nette et désormais les dangers du dévoilement sont mis en avant.
Sous l’influence de la franc-maçonnerie, les idéaux des Lumières et de la philosophie se répandent dans la société.
Le mouvement franc-maçon, épris d’égyptomanie, se proclame comme étant l’héritier des cultes à mystères de l’Antiquité. Dans ce cadre, la figure d’Isis va, peu à peu, jouer un rôle éminent.
D’Isis à Yahvé : du matriarcat au patriarcat
À Vienne, dans la Loge maçonnique Zur wahren Eintracht s’élabore une nouvelle interprétation de l’Isis-Nature.
En 1787, le philosophe Karl Leonhard Reinhold (1757-1823) disserte sur les mystères hébraïques (Kabbale) et prend la suite de John Spencer et William Warburton en voulant démontrer que la Révélation de Dieu à Moïse n’est qu’un emprunt à l’antique sagesse des Égyptiens.
D’une manière forcée, il assimile les paroles d’Isis « Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera » à celles que Yahvé prononça devant Moïse lors de l’épisode du Buisson ardent « Je suis qui je suis (YHWH) » (Exode 3:13-14).
Déesse-mère ou dieu-père?
Même si Isis affirme qu’elle est tout, à savoir la « Nature », et que Yahvé s’affirme comme étant « Celui qui Existe » ; en étant comparée au dieu Yahvé, la déesse Isis-Nature devient la divinité suprême des cercles franc-maçons.
Cette identification panthéiste s’inscrit aussi dans la mouvance des philosophes qui se réclament de Baruch Spinoza (1632-1677) pour qui Dieu et Nature sont d’autres appellations de l’Être éternel (deus sive natura). Isis étant Dieu et la Nature, l’Un et le Tout, Dieu et le Cosmos, la déesse doit inspirer au philosophe terreur, respect et vénération.
Entourée d’une aura de mystère et d’indicible, Isis ne peut pas être atteinte par le raisonnement et le cheminement scientifique. Le philosophe ne peut l’atteindre que par la voie contemplative et seulement au terme d’un long cheminement initiatique graduel.
Des loges maçonniques isiaques
En 1783, le grand maître anglais George Smith voit dans le couple d’Osiris et Isis une représentation mythique de l’Être suprême dont l’influence s’étend sur la nature à travers les deux luminaires (Soleil et Lune).
En 1784, le comte Cagliostro profite de la fascination de la bonne société envers l’Antiquité et ses mythes pour créer à Paris la Mère Loge de l’Adaptation de la haute maçonnerie égyptienne où il officie en tant que grand-prêtre dans un temple d’Isis.
En 1812, lors d’un convent philosophique, le français Alexandre Lenoir (1769-1839), médiéviste et franc-maçon, considère l’Égypte antique comme la véritable source et l’inspiratrice de la tradition maçonnique.
Cette thèse continue à être entretenue dans certaines Loges, en particulier par celles qui suivent les rites de Memphis et de Misraïm.
Les enfants de la veuve
Lors de de son initiation, le nouvel adepte apprend que les maçons se désignent sous l’expression des « enfants de la Veuve ».
L’institution maçonnique est généralement interprétée comme étant la « Veuve » d’Hiram, une communauté constituée par les fils spirituels d’Hiram, le fondateur mythique assassiné par trois de ses ouvriers avides de ses secrets. Cependant, la « Veuve » maçonnique peut aussi être perçue comme une reformulation du mythe d’Osiris, assassiné par Seth, pleuré et régénéré par Isis.
Horus, le premier initié franc-maçon
En assimilant Hiram à Osiris, la Maçonnerie peut alors considérer Isis comme la personnification de la Loge et Horus, fils d’Osiris comme le premier franc-maçon, l’initié primordial.
L’enseignement étant progressif, l’initié passe par une structure philosophique et rituelles constituées de multiples grades.
Dans sa forme la plus élaborées, le rite de Memphis-Misraïm compte 99 grades ; le 76e s’intitulant « Patriarche d’Isis ».
Dans un rituel remanié en 1862 et réduit au tiers, il s’agit du 27e grade sur un parcourt initiatique qui en compte 33 (Grand Ordre Égyptien du Grand Orient de France).
Mozart, franc-maçon disciple d’Isis
Dans l’Europe du XVIIIe siècle, il est un lieu commun de considérer l’Égypte comme le pays des enseignements secrets, des mystères religieux et des pratiques initiatiques.
Cette vision se reflète le plus parfaitement dans l’opéra en deux actes La Flûte enchantée.
Cette œuvre fut jouée pour la première fois à Vienne, en 1791, la musique est une composition de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Même si l’action n’est pas explicitement située en Égypte, l’utilisation du thème des Mystères d’Isis est flagrante (Acte II). Une prétendue version française a d’ailleurs été donnée à Paris en 1801 sous le titre Les Mystères d’Isis.
Une des sources d’inspiration est le roman français Séthos de l’abbé Jean Terrasson (1670-1750) paru en 1731 et traduit en allemand en 1732 et 1777 qui donne la part belle aux descriptions des rites initiatiques égyptiens.
L’opéra est sans doute aussi influencé par les activités maçonniques de Mozart, membre de la Loge Zur Wahren Eintracht fondée en 1781 à Vienne. La Flûte enchantée peut donc être considérée comme un opéra maçonnique décrivant une religion double où les secrets divins ne sont réservés qu’à une élite d’initié tandis que le peuple est laissé dans l’ignorance.
Sous la Révolution et Napoléon
Une idole géante d’Isis sur les ruines de la Bastille
Influencés par la pensée maçonnique, les Révolutionnaires français on tenté de restreindre l’influence du christianisme sur la société, entre autres, en mettant en avant le culte de l’Être suprême.
Lors de la Fête de l’Unité et de l’indivisibilité du 10 août 1793, la déesse Isis-Nature en tant que symbole visible de l’Être suprême a été l’objet d’une cérémonie symbolique.
Pour l’occasion, une imposante Fontaine d’Isis en plâtre fut édifiée sur les ruines de la Bastille. Cette fontaine patriotique n’eut qu’une existence éphémère et du fait de sa fragilité sera détruite peu après. La déesse apparaissait sous la forme d’une statue assise sur un trône, flanquée de deux lions assis, et qui faisait jaillir de l’eau régénératrice de ses seins :
« Le rassemblement se fera sur l’emplacement de la Bastille. Au milieu de ses décombres, on verra s’élever la fontaine de la Régénération, représentée par la Nature. De ses fécondes mamelles qu’elle pressera de ses mains, jaillira avec abondance l’eau pure et salutaire, dont boiront tour à tour quatre-vingt-six commissaires des envoyés des assemblées primaires, c’est-à-dire un par département ; le plus ancien d’âge aura la préférence ; une seule et même coupe servira pour tous. » — Extrait du Décret ordonnant la fête
Le blason isiaque de Paris
Sous le Premier Empire, des Lettres patentes signées le 20 janvier 1811 par Napoléon Ier accordent à la municipalité de Paris de se doter de nouvelles armoiries inspirées par le culte d’Isis.
Sur proposition d’une commission d’experts, le blason municipal pré-révolutionnaire portant le vaisseau de la corporation des Nautes (mariniers) est réinterprété comme étant le symbole de la déesse Isis perçue durant l’époque gréco-romaine comme la protectrice des marins.
La proue du vaisseau est surmontée d’une figure d’Isis assise sur un trône inspirée par le motif central de la table isiaque de Turin. Le blason est abandonné en 1814 avec le rétablissement de la monarchie.
Le dollar d’Isis et sa statue de la liberté
Le sigle du dollar pourrait être un « sigil » de la déesse-mère Isis.
En effet, les sigils sont ces puissants symboles graphiques ancestraux, qu’on a longtemps dit être chargés de pouvoirs magiques, et utilisés pour représenter les signatures de différentes divinités, anges et démons.
Une technique simple de « réalisation» d’un sigil consiste à condenser toutes les lettres d’un mot sur un seul et même caractère.
Ainsi le nom ISIS peut se condenser simplement en un seul S barré d’un ou deux I.
Les sigils ont été abondamment utilisés par les sociétés secrètes, par des alchimistes tels que l’illustre John Dee, ou dans le but d’encrypter des messages.
Pour aller plus loin, on peut noter que les dollars sont imprimés sur des billets vert olive, d’une couleur très particulière (« le billet vert ») que l’on retrouve sur la statue de la liberté.
Le vert est aussi associé à la Vierge Noire phocéenne, et à la déesse arabe Allat pré-islamique.
La statue de la liberté à New York est un cadeau de la France aux Etats-Unis, et elle a été sculptée par le français Auguste Bartholdi, un franc-maçon notoire (voir ses nombreuses photos avec sa main dissimulée sous sa redingote, la fameuse « main cachée » maçonnique, façon Napoléon).
Il se trouve que la déesse Isis est tout particulièrement vénérée par les franc-maçons, et qu’il est dit que la statue de la liberté serait en fait une représentation de celle-ci (les 7 rayons qui émanent de son auréole, son visage, la torche qu’elle porte, etc…).
D’ailleurs lors de son inauguration dans le port de New York le 28 Octobre 1886, le visage de la statue était voilée par un drapeau français bleu-blanc-rouge, et elle fut dévoilée lors de la cérémonie par Bartholdi lui-même.
L’idée d’une Isis voilée et dévoilée est une constante dans la symbolique associée à cette déesse.
Si on envisage qu’elle représente l’archétype de la mère, on comprend rapidement ce que cela veut dire en regardant les derniers millénaires qui ont vu le triomphe et la prédominance de l’archétype du père.
On peut donc envisager une situation où certaines sociétés se disant secrètes, tentent de tirer les ficelles dans l’ombre, tout en rendant hommage à Isis, ou détournant son image, en plaçant des références à peine cachées à celle-ci derrière des symboles maintenant connus de tous (argent/dollar, statue de la liberté, etc…).
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