Secrets révélés

Quand l’Ecosse était juive – 12

Ce livre est un voyage en corsaire dans des eaux très fréquentées, qui propose qu’une grande partie de l’héritage historique traditionnel de l’Écosse repose sur des erreurs d’interprétation fondamentales.

Ces erreurs ont été perpétuées dans le but de fabriquer et de maintenir une histoire d’origine, qui affirme l’identité écossaise en tant que société celtique et chrétienne. Mais, comme son titre l’indique, une grande partie de l’histoire et de la culture écossaise ainsi que de toute la région de l’Atlantique, était juive, il y a 1100 ans…

Quand l’Écosse était juive : preuves ADN, archéologie, analyse des migrations et archives publiques et familiales montrent les racines sémitiques du XIIe siècle

Chapitre XI

Les Juifs dans la conscience nationale de l’Écosse: L’écossais Ivanhoe

Fait significatif, c’est un écossais, avocat et antiquaire, qui a tiré la première salve dans le débat public sur les Juifs en Grande-Bretagne ; ce débat s’est intensifié avec le mouvement réformiste au sein de la politique nationale et a finalement conduit à leur émancipation dans les années 1830.


Et de manière tout aussi significative, les Juifs étaient séfarades.

Lui, c’est Sir Walter Scott, éditeur d’Edimbourg, champion national de la culture écossaise et auteur des immensément populaires Waverly Novels (1771-1832).

Il peut être surprenant d’apprendre que l’auteur le mieux payé en Grande-Bretagne au cours des premières décennies du XIXe siècle était un Écossais.

Les Scottish Border Minstrelsy, ballades que Scott compilait lors de ses voyages à travers son pays natal, l’avait catapulté vers la gloire en 1802, et The Lay of the Last Minstrel – Le Lai du dernier ménestrel, a scellé son succès. Ensuite il s’est tourné vers la prose, et avec les Waverly Novels en 1814. Il crée un nouveau genre littéraire, le roman historique, une invention qui inspirera « Jane Austen, Charles Dickens, William Thackeray, George Eliot, Anthony Trollope et d’autres écrivains accomplis du XIXe siècle, tels que Balzac, Hugo, Flaubert et Tolstoy » (Herman 2001, pp. 309-310), sans parler des écrivains américains Irving, Hawthorne, Melville, Cooper, Twain et Wallace. 


Ce que doit Washington Irving à Scott, et vice versa, est particulièrement remarquable, car la Rebecca of York de Scott était apparemment inspirée par Rebecca Gratz, de l’élite de Philadelphie et largement considérée comme la plus grande juive américaine de son temps. (1781-1869).

L’histoire est racontée par Stephen Birmingham dans The Grandees (1971, pp. 160-62):

Un ami particulièrement proche de Rebecca Gratz était Matilda Hoffman. C’était dans le bureau du père de Matilda, le juge Ogden Hoffman, que Washington Irving a étudié le droit, et ensuite, Mlle Hoffman et Washington Irving se sont fiancés. Mais avant que le couple ne puisse se marier, Mlle Hoffman est tombée malade d’une  » maladie dégénérative », courante à l’époque. Rebecca est allée vivre chez les Hoffman pour aider à soigner son amie, elle fut présente au dernier moment, pour fermer les yeux de Matilda.

Cette dévotion d’une jeune femme à une autre, a impressionné Irving. Quand il est allé en Angleterre pour essayer d’oublier la mort de sa bien-aimée, Rebecca Gratz et sa gentillesse envers Matilda, sont presque devenue une obsession pour lui…. L’une des personnes à qui il a raconté l’histoire était Sir WalTer Scott….. Quand Ivanhoé a été publié, Scott a écrit à Irving une lettre disant :  « Comment trouvez-vous votre Rebecca ? Est-ce que la Rebecca que j’ai dépeinte, se compare aisément avec le modèle original ? » 

Ainsi, une juive américaine, vivace et émancipée, a servi de modèle à la Rebecca d’Ivanhoé, infusant le sens et la vie contemporaine dans l’ancien conte.

Il est contre-intuitif pour beaucoup d’entre nous de se rendre compte qu’à l’époque, l’Écosse était de loin, plus alphabétisée et plus littéraire que l’Angleterre. En 1696, le parlement écossais avait adopté la loi sur l’éducation progressive, qui prévoyait la création d’une école dans chaque paroisse, à l’échelle nationale.

En 1790, presque tous les enfants de huit ans de Cleish, dans le Kinross shire, savaient lire. On estime que le taux d’alphabétisation des hommes était d’environ 55 %, contre seulement 53 % en Angleterre. Il faudra attendre les années 1880 pour que les Anglais rattrapent enfin leurs voisins du nord.

L’Écosse est devenue la première société moderne alphabétisée en Europe [Herman 2001, p. 23].

Tandis que des intellectuels comme Adam Smith et David Hume se tenaient dans les sièges de l’Assemblé, les gens des villes se précipitaient aux conférences publiques dans les universités et les classes ouvrières écossaises lisaient avidement.

Les clients des bibliothèques de prêt comprenaient des boulangers, des forgerons, des tonneliers, des apprentis teinturiers, des tailleurs, des fermiers, des tailleurs de pierre et des serviteurs (Herman, p. 23).

« Une enquête nationale officielle en 1795 a montré que sur une population totale de 1,5 million d’habitants, près de vingt mille Écossais dépendaient pour leur subsistance de l’écriture et de l’édition – et 10 500 de l’enseignement «  (p. 25).

Avec sa passion pour l’éducation et son taux d’alphabétisation élevé (sans négliger sa contrepartie mathématique, sa capacité de calcul), l’Écosse était particulièrement bien préparée à prévenir les goûts littéraires des masses et à donner le ton au discours public.

Personne n’était mieux placé pour diriger la vague de fond populaire qui mêlait conservatisme et progressisme, que Sir Walter Scott, dont la famille était issue de la même lignée que celle des Stewarts, Leslies, Frasers et Campbells.

En 1819, Scott publie son premier roman dans lequel il adopte un sujet purement anglais.

Ivanhoé a introduit un ensemble de personnages basés sur un moment déterminant de l’histoire anglaise, la fin du XIIe siècle, et ses protagonistes et antagonistes étaient tous anglais, de Richard Coeur de Lion à Robin des Bois…

Les Saxons et les Juifs représentaient « l’autre » dans ce grand livre sur les conflits culturels, tandis que les Écossais étaient manifestement absents.

Avec les figures pathétiquement chargées de Rebecca la Juive et de son père Isaac, Ivanhoé a attaqué les stéréotypes dominants de l’histoire anglaise à une époque où l’expérience du gouvernement appelé Grande-Bretagne traversait « une crise d’acculturation et d’assimilation….

Lorsque la fabrication du Britannique (écossais, juif ou irlandais) par le biais de la législation parlementaire a suscité diverses réactions : tentative de ces minorités pour se réinventer, ou rejet de leur nouvelle identité, ou exclusion de la part des soi-disant vrais « Englishmen » (Ragussis 2000, p. 775). De plus, dans la scène culminante d’Ivanhoé, « Scott réécrit l’histoire anglaise en tant qu’histoire anglo-juive » (Ragussis 1995, p. 113).

Scott accorde également un rôle central aux Templiers dans la conscience nationale et situe son récit à York, aussi près de l’Écosse que l’on peut l’être, sans se trouver à la frontière. Savait-il quelque chose?

Un auteur récent a démontré au sujet de la mémoire collective et de l’oubli culturel, que l’ascendance, les pedigrees, les dynasties, les généalogies et les origines ethniques sont des constructions sociales.

Tout comme les périodes de temps, ces notions prennent forme à travers un processus de cognition collective, l’organisation d’événements sans rapport et discontinus en des récits cohérents et significatifs (Zerubavel 2003).

Beaucoup de gens, par exemple, conçoivent que l’Empire romain s’est terminé en 476 de notre ère, même si sa partie orientale, connue sous le nom de Byzance, s’est poursuivie pendant encore mille ans.

Les nationalités sont construites autour des généalogies de leurs familles dirigeantes (Zerubavel, pp. 32-43). Parfois les pedigrees dynastiques doivent être réinventés ou remodelés, comme ce fut le cas avec les envahisseurs normands de l’Angleterre saxonne, qui ont dû être refondus comme britanniques et celtiques dans l’historiographie de Geoffrey de Monmouth et William de Newbury.

Pour prendre un exemple moderne, la Maison de Saxe-Cobourg qui occupait le trône britannique a été convertie en Maison de Windsor en peu de temps au début des hostilités entre la Grande-Bretagne et l’Empire allemand en 1914. Un processus similaire a effacé les liens écossais de la dynastie sous les Hanovriens au dix-huitième siècle. siècle.

Dans cet esprit, nous pouvons apprécier Scott comme l’un des inventeurs de la culture britannique. Notamment, il s’agit d’une culture qui inclut les Juifs et qui n’est pas née à Londres, la capitale, mais plutôt dans une province du Nord.

La ville de York a longtemps été associée dans l’esprit des Juifs et des non-Juifs au pogrom qui s’y est déroulé en 1190, l’époque précise de l’Ivanhoé de Scott. Pour reprendre les mots de Joseph Jacobs, une année charnière qui a apporté « la première preuve que les Juifs d’Angleterre avaient toute la mauvaise volonté populaire contre eux » (1911, s.v. « Londres »).

Pendant que le roi Richard (un philosophe) était parti aux croisades, un certain nombre de croisés locaux sous la direction de Sir Richard Malebis ont saisi l’occasion d’effacer leurs dettes en assassinant des Juifs. Ceux qui se sont échappés se sont réfugiés dans le château du Roi, où, inspirés par l’un de leurs célèbres poètes, le rabbin français Yom Tob de Joigny, ils se sont suicidés collectivement (Barnavi 1992, p. 98).

Avant cette catastrophe, les Juifs de York jouissaient d’un degré élevé de prospérité. Contrairement aux communautés juives du reste de l’Angleterre, il n’y avait pas de quartier juif à York, au contraire, les juifs et les chrétiens vivaient ensemble. (Adler 1939, p. 132).

Nous fournissons ici un résumé de l’intrigue d’Ivanhoé. Nous serons ainsi en mesure d’analyser quelques scènes et personnages qui remontent à une époque où  » l’Écosse était Juive. »

Wilfred d’Ivanhoé, fils de Cédric, un noble saxon, aime la pupille de son père, la dame Rowena, descendante du roi saxon Alfred. Cedric a l’intention de restaurer la lignée Saxone sur le trône d’Angleterre, maintenant occupé par le roi Normand Richard Cœur de Lion, et il espère y parvenir en mariant sa fille Rowena à Athelstane de Coningsburgh.

Il a banni son propre fils, Ivanhoé, qui a rejoint le roi Richard lors des croisades. En l’absence de Richard, son frère le prince Jean rassemble les vassaux normands dissolus et sans loi à sa propre cause, avec l’intention de déposer Richard. Parmi les chevaliers du groupe de Jean, se trouvent les féroces Templiers Sir Brian de Bois-Guilbert et Sir Reginald Front-de-Boeuf.

L’histoire s’articule autour de deux événements.

Lors d’un grand tournoi à Ashby de la Zouch, Ivanhoé et le roi Richard battent les Templiers, mais il est blessé. C’est à ce moment, à plus de la moitié du roman, que Scott présente Rebecca la Juive, qui fera passer Rowena au second plan, et deviendra l’héroïne intrinsèque de l’histoire d’amour à la fois pour les Saxons et les Normands.

Les Templiers emportent Cédric, Rowena, le blessé Ivanhoé, Rebecca et son père Isaac au château de Torquilstone, où, après un assaut passionnant du roi Richard et d’une bande de hors-la-loi saxons dirigée par Locksley (Robin Hood – Robin des Bois), les prisonniers sont sauvés – tous sauf Rebecca, dont Bois-Guilbert tombe amoureux et l’emmène vers la commanderie templière de Templestowe.

Nous relatons le reste de l’histoire selon les termes de The Oxford Companion to English Literature (livre de Dinah Birch) (Drabble 1985, p. 499) :

Ici l’arrivée inattendue du Grand Maître de l’ordre, tout en soulageant Rebecca des avances déshonorantes de Bois-Guilbert, l’expose au chef d’accusation de sorcellerie, et elle n’échappe à la peine de mort qu’en exigeant la clause du « jugement par combat ». Ivanhoé, dont elle a gagné la gratitude en le soignant lorsqu’il a été blessé au tournoi d’Ashby, apparaît alors comme son champion, et dans la rencontre entre lui et Bois-Guilbert (qui fut choisi comme champion du tribunal), ce dernier tombe raide mort, non touché par la lance de l’adversaire, mais victime de ses propres passions. Suite à l’intervention armée de Richard Coeur de Lion, Ivanhoe et Rowena, sont enfin réunis, et Rebecca, réprimant son amour pour Ivanhoé, quitte l’Angleterre [pour l’Espagne] avec son père.

Lorsque le livre est publié pour la première fois en 1819, beaucoup l’ont critiqué, le sens de l’histoire étant erroné. Il n’aurait pas dû opposer les Saxons indigènes aux envahisseurs normands à une époque si tardive, car au XIIe siècle, les deux peuples étaient déjà bien assimilés. Il n’y avait pas de résistance de l’arrière-garde saxonne, et Robin des Bois appartenait à une autre époque, le quatorzième siècle.

Scott a anticipé ses détracteurs avec une épître dédiée au noble antiquaire « le Révérend Dr. Dryasdust », datée de 1817. Il a également équipé les éditions ultérieures d’Ivanhoé, d’une longue introduction, défendant son thème et son mode de fonctionnement fictif (p. vii) :

La période du récit adopté a été le règne de Richard Ier, non seulement en abondance avec des personnages dont les noms ne manqueront pas d’attirer l’attention générale, mais aussi en contraste frappant entre les Saxons, par qui la terre était cultivée, et les Normands, qui y régnaient encore comme conquérants, réticents à se mêler aux vaincus, ou à se reconnaître de la même souche.

Il est donc clair qu’Ivanhoé est un roman qui parle de l’identité nationale et de la notion de « l’Autre » en tant qu’ethnie. De peur que le point ne soit perdu, Scott sous le pseudonyme de Laurence Templeton, s’excuse dans cette épître, d’avoir déserté les fables faciles de l’Écosse pour s’aventurer sur le terrain de l’univers bien plus traître du mythe anglais :

En Angleterre, la civilisation a été si longtemps clôturée, que les idées de nos ancêtres ne sont plus que des archives et des chroniques moisies, dont les auteurs semblent avoir perversement conspiré pour supprimer de leurs récits tous les détails intéressants, afin de conserver un espace pour les subtilités de l’éloquence d’un moine, ou les réflexions banales sur la morale. Le but étant de trouver une quelconque correspondance entre un Anglais et un écrivain écossais dans cette tâche rivale d’incarner et de faire revivre les traditions de leur pays respectif. … au plus haut degré d’inégalité et d’injustice [p. xvii],

Scott, par conséquent, racontera la véritable histoire de la nation anglaise, ce qui ne se trouve dans aucun des livres d’histoire. Son récit inclut non seulement les nobles mais aussi les chaleureux Saxons avec la joyeuse bande de Robin des Bois et ses voleurs, mais aussi les Juifs usuriers et les bons et mauvais Templiers, ainsi que des rois indifférents et des juives savantes.

De tous les types ethniques chosis par Scott, c’est Rebecca, une femme et une juive, qui est à la fois « l’Autre », mais en même temps, l’ingrédient par excellence. Quand elle s’embarque pour l’Espagne à la fin du roman, réprimant son amour au moment de sa réhabilitation par le héros Ivanhoé, on sent le départ des juifs des côtes anglaises et l’expérience d’un vide qui ne peut qu’être rempli de nostalgie, d’émerveillement et de culpabilité.

Les lecteurs de Scott n’ont pas aimé cette fin : Le caractère de la belle Juive a trouvé tant de faveurs aux yeux de certaines lectrices, que l’écrivain a été censuré parce que, lors de l’organisation du destin des personnages du drame, il n’avait pas assigné la main de Wilfred à Rebecca, plutôt qu’à la moins intéressante Rowena.

Sans compter que les préjugés de l’époque rendaient une telle union presque impossible, l’auteur peut, en passant, observer, qu’il pense qu’ »un personnage d’une telle vertu, dont l’honneur est dégradé plutôt que d’être exalté par une tentative de récompense temporelle de prospérité, nous montre que les devoirs d’abnégation et de renoncement de soi, le sacrifice de la passion aux principes de la morale, sont rarement rémunérés » [ Ivanhoé, pp. xiii-xiv].

Il est intéressant de voir ce que Scott pensait au sujet du genre de préjugés contre les Juifs que ses personnages allaient engendrer parmi les lecteurs. Comme nous l’avons déjà remarqué, il réserve l’apparition de Rebecca, jusqu’au milieu du livre, où son identité juive est d’abord cachée au héros, jusqu’à ce qu’elle le déclare.

Lorsqu’il se remet de ses blessures après la bataille, Wilfred Ivanohé voit la figure de celle qui veillait son lit de malade, tel un rêve de Palestine, une « belle apparition » de l’exotisme oriental… Alors, les écailles tombent des yeux de Wilfred, au simple mot « Juive », tous ses préjugés s’effondrent …

« À sa grande surprise, il se trouva dans une salle magnifiquement meublée, mais où, au lieu de chaises, il y avait des coussins ; grâce à mille autres détails, les habitudes de la vie orientale dominaient tellement dans cette chambre, qu’il commença à se demander s’il n’avait pas été, pendant son sommeil, transporté une seconde fois sur la terre de Palestine. Ce doute devint presque une certitude, lorsque, la tapisserie ayant été soulevée, une forme féminine, richement vêtue d’un costume qui participait plus du goût oriental que de celui de l’Europe, se glissa par la porte, suivie d’un domestique nègre. »

Dans cette confrontation entre ethnies, Scott a frappé l’émotionnel du lecteur, grâce au choix de ses mots : épithète, classe, race, titre, respect, infériorité, dégradation. Ses descriptions d’Ivanhoé et de Rebecca étaient destinées à des lecteurs modernes (de tous les temps), d’où l’évidence de sa remarque ironique sur les « jours plus civilisés ». 

Jetons un bref coup d’œil sur le portrait que Scott fit des Templiers, avant de tirer de quelconques conclusions sur sa notion personnelle de l’histoire du judaïsme britannique.

Ces personnages ont tendance à tomber dans le moule du « bon templier » ou du « mauvais templier », avec quelques âmes torturées entre les deux. Le Grand Maître Lucas Beaumanoir, par exemple, est décrit comme un « bigot ascétique » (p. 325). Front-de-Boeuf torture Isaac avec tous les instruments macabres de l’Inquisition, en présence d’esclaves noirs, « dépouillés de leurs magnifiques vêtements, et vêtus de justaucorps et de pantalons de lin épais, leurs manches étant relevées au-dessus du coude, comme celles des bouchers lorsqu’ils sont sur le point d’exercer leur fonction à l’abattoir » (pp. 187-88). Il prononce des discours comme celui-ci (P-193) : « Chien d’infidèle »,… « ne blasphème pas le Saint Ordre du Temple de Sion, mais pense plutôt à me payer la rançon que tu m’as promise, ou malheur à ta gorge de Juif ! »

Bois-Guilbert, le ravisseur de Rebecca, est le seul à avoir des qualités rédemptrices. Epris de Rebecca, il ne la viole pas en raison des principes de la règle templière, de la loi latine de la terre, ainsi que de la Kabbalah, de l’alchimie et des logiciens musulmans. Au lieu de cela, il l’attache à son cheval et l’emmène à Templestow, où il continue de la courtiser :  « Ecoute-moi, Rebecca, dit-il en adoucissant encore son ton ; « L’Angleterre – l’Europe – ça n’est pas le monde. Il y a des sphères dans lesquelles nous pouvons agir amplement, même pour satisfaire mon ambition. Nous irons en Palestine …. et nous nous liguerons nous-mêmes [avec l’Islam] plutôt que de subir le mépris des bigots que nous condamnons… tu seras reine, Rebecca : sur le Mont Carmel, nous monterons sur le trône que ma bravoure gagnera pour toi [p. 368].

Son amoureux chrétien, tente, bien sûr, de la convertir, mais Rebecca insiste avec fierté. sur la gloire et la grandeur de son peuple : « Vous venez de peindre le juif, reprit Rébecca, tel que l’a fait la persécution de ceux qui vous ressemblent. Le Ciel, dans sa colère, l’a chassé de son pays ; mais l’industrie lui a ouvert le seul chemin à l’opulence et au pouvoir que l’oppression n’ait pu lui fermer. »

« Lisez l’histoire passée du peuple de Dieu, et dites-moi si ceux par qui Jéhovah a fait tant de miracles parmi les nations étaient alors un peuple d’avares et d’usuriers ? Sachez aussi, orgueilleux chevalier, que nous comptons parmi nous des noms glorieux près desquels la noblesse du Nord est comme l’humble courge comparée au cèdre ; des noms qui remontent à ces temps radieux où la présence divine faisait trembler le siège de la miséricorde entre les chérubins. La splendeur de ces noms illustres ne tire son origine d’aucun prince terrestre, mais de cette voix auguste qui a ordonné à leurs pères de s’approcher de la vision céleste. Tels étaient les princes de la maison de Jacob ».

Lire le pdf en français du livre de Scott

Les lecteurs de Scott ne peuvent pas manquer de voir que les enfants d’Israël, décrits dans les discours passionnées de Rebecca, portent le même nom que les Jacobites du langage populaire des Écossais, avec leurs rois Davidiques, les Stuart. Les mots « Sons of Jacob » (fils de Jacob), employés par Rebecca, renforcent le texte sous-entendu du roman qui valorise la nationalité écossaise.

Le point culminant de l’histoire se déroule alors que Rebecca est condamnée à être brûlée sur le bûcher comme sorcière.

Réponse de Rebecca à la question du Grand Maître, « Qui sera le champion ? d’une Juive ? », c’est ironique : « Il ne peut être que dans cette Angleterre joyeuse, hospitalière, généreuse, empreinte de liberté, où tant de personnes sont prêtes à mettre leur vie en danger pour l’honneur… N’y en aura pas un pour se battre pour la justice ». [p. 423-24],

C’est alors qu’Ivanhoé trouve un cheval et une armure, et devient son champion. Son adversaire Bois-Guilbert meurt « victime de ses propres passions contradictoires »... Ivanhoé s’excuse de le tuer, préservant ainsi l’intégrité morale des deux hommes, et le roi Richard monte sur scène en tant que chevalier noir et restaure l’ordre, hors du chaos. Tout va bien dans le meilleur des mondes. N’est-ce pas ?

Faux. Rowena, devenue « La Dame d’Ivanhoé », reçoit la visite de Rebecca, qui embrasse l’ourlet de sa robe et remercie sa championne. Elle bénit le mariage de Rowena avec Wilfred. Mais quand elle dit, « je vais partir maintenant », Rowena tente de la faire changer d’avis, en disant à Rebecca à quel point son peuple est bien protégé en Angleterre :

« – Je n’en doute pas, noble dame ; mais le peuple d’Angleterre est une race fière, querelleuse et toujours prête aux troubles
intérieurs ; un tel pays n’offre pas un asile sûr aux enfants de mon peuple. Ephraïm est une colombe timide ; Issacahr est un serviteur trop surchargé, qui succombe sous un double fardeau. Ce n’est pas dans une terre de sang et de carnage, entourée de voisins hostiles et déchirée de factions intestines qu’Israël peut espérer de trouver le repos pendant qu’il erre d’un pays à l’autre ».

Rowena tente alors de tenter la Juive à se convertir, mais Rebecca répond :

« je ne puis pas changer la foi de mes pères comme un vêtement qui ne convient plus au climat sous lequel je cherche une nouvelle demeure ; non, je ne serai pas malheureuse, noble dame ; celui à qui je consacrerai ma vie sera mon consolateur, si j’accomplis sa volonté ».

Nous voyons que le personnage de Rebecca la Juive correspond à un élément de résolution dans le conflit ethnique du roman. « L’histoire de Scott aux origines raciales heureusement mélangées [ne peut pas] être entièrement sympathique, si les Juifs anglais tels que Rebecca et son père sont laissés pour compte. du jeu de l’appartenance nationale » (Wee 1997, p. 203).

La culture juive (pas nécessairement identique à la religion) est donc présentée comme le cadeau secret de la Grande-Bretagne ; c’est aussi le cadeau secret du pays. la honte secrète, sa culpabilité nationale.

Quant aux personnages juif d’Isaac, il oscille entre l’amour de ses shekels et l’amour de sa fille ; c’est un Shylock d’aujourd’hui.

Nous avons déjà noté à quel point Rebecca est l’héroïne surprise. Elle guérit Ivanhoé, apporte la paix, et même adoucit le cœur dur d’un fier Templier. Mais elle ne peut pas l’emporter tant que le « Verbe Unique » s’accroche à elle.

Dans la lecture des critiques, Scott soulève « la question juive » comme une question de conversion ou de résistance à la conversion.

« Le maître mot de « conversion » devient une figure cruciale utilisée par les écrivains de l’histoire anglaise pour construire, réglementer, maintenir et effacer les différentes identités raciales et nationales » (Ragussis 1995, p. 93). Dans la rhétorique de l’Angleterre impériale au cours du XIXe siècle, elle devait devenir une mission absorbante et finalement futile.

Mot de la fin

Trop souvent, semble-t-il, l’histoire des Juifs a été racontée uniquement en termes de persécution.

De ce point de vue myope, l’histoire juive ne devient rien de plus que la chronique stérile de l’antisémitisme (un mot inventé seulement à l’époque victorienne).

Après l’extermination des Juifs allemands sous Hitler, il y a eu une ruée pour démontrer que tel ou tel auteur britannique – Matthew Arnold, Shakespeare, Dickens, Joyce, Eliot, Eliot, voire Chaucer – était antisémite. Une avalanche d’articles universitaires a pris la teinte et le cri, et la pauvre figure de Shylock a été traquée à travers le canon de la littérature anglaise et américaine. Les désaccords sont devenus rancuniers. Certains ont prétendu qu’Eliot était plus antisémite. que Pound ; d’autres le contraire.

Les études amérindiennes sont un bon parallèle. La situation critique de l’Indien est la question centrale. Les principaux événements à l’arrière-plan sont une série d’événements de traités, d’enlèvements et d’extinctions. Le sujet est plutôt traité comme un sujet juridique impliqué. que comme  la biographie d’un peuple.

Si les études judaïques sont devenues la quasi-exclusivité de ce que Scott a appelé :le Révérend Dr. Dryasdusts, il n’est pas surprenant que « personne n’ait remarqué » les Juifs écossais. Ils n’étaient pas à l’ordre du jour culturel.

Au cours des 1500 dernières années, les seuls conflits religieux en Ecosse ont été entre chrétiens. L’antisémitisme ne se trouve ni dans l’une ni dans l’autre histoire ou littérature écossaise. Au contraire, le philo-sémitisme est un thème fort, et nous l’avons vu dans Ivanhoé où ses personnages sont une vision sublimée du pedigree national.

Ainsi que les études anthropologiques récentes nous le rappellent, dans le cas de la tribu juive africaine des Lembas et d’autres tribus « redécouvertes » (Hall et du Gay 1996, Brodwin 2002, Elliott et Brodwin 2002), l’identité ethnique dans le discours public provoque souvent un débat entre les essentialistes et les existentialistes – entre ceux qui croient que l’ethnicité est un attribut fixe largement déterministe de notre comportement et de nos prédispositions, d’une part, et ceux qui prétendent qu’elle découle plutôt du travail individuel de sa propre identité par la performance sociale, de l’appartenance à un groupe et de la lutte politique et économique des classes.

La connaissance émergente des racines d’un peuple peut couper dans les deux sens, tout comme le traçage de l’identité génétique peut entraîner plus de problèmes qu’il n’en résout (Elliott et Brodwin). Elle peut confirmer ou dissiper les différences, unir et diviser.

Une controverse porte sur la question de savoir qui décide qui est juif, qui est africain, qui est amérindien et à quelles fins? Qui est chargé de déterminer les nouvelles revendications de nationalité ou d’ethnicité? Dans quelle mesure la voix de la science fait-elle autorité et les règles gouvernementales sont-elles contraignantes? ou les directives religieuses? Quels sont les enjeux et les intérêts en jeu, et qui bénéficient des décisions?

Sans se ranger du côté de l’essentialiste ou de l’existentialiste, nous croyons que Scott a tissé de telles questions dans le récit d’Ivanhoé.

Sa réinvention de l’ethnicité britannique s’est produite à un moment fortuit, et il n’était pas pertinent pour lui d’inclure le peuple juif dans la conscience nationale britannique. C’était un moment de l’histoire où les familles et les individus Crypto-juifs, longtemps cachés, pouvaient se cristalliser en ce qu’ils étaient vraiment.

Lord Gordon, par exemple, a choisi la solidarité avec les autres Juifs, tandis que d’autres ont choisi de s’assimiler dans une sorte de conformité étudiée, de se fondre dans la société, de sublimer ou d’adopter un certain nombre de positions et d’identités coutumières, y compris l’ambiguïté et l’anonymat.

Pour beaucoup de Juifs écossais, cette nouvelle opportunité sociale a dû être déroutante.

« Certains juifs, lisons-nous, ont cessé de pratiquer les rites du judaïsme, sans nécessairement abandonner leur identité juive, c’est-à-dire sans se convertir ou se marier entre eux, et sans développer une justification intellectuelle de leur rupture avec le passé. Beaucoup d’autres en sont venus à adopter une attitude désinvolte et sélective à l’égard des mitzvot, continuer à observer certaines mitzvot et à en ignorer d’autres.

Un individu peut fermer son magasin le jour du sabbat, mais mangez de la nourriture non kasher lorsqu’il randait visite à des amis chrétiens. Il pouvait aller à la synagogue le jour de sabbat et rester à la maison le lendemain. Il ne fait aucun doute que Les caprices de la personnalité …. ont été parmi les facteurs décisifs dans chaque cas (Endelman 1979, p. 132).

Le cas d’un boucher écossais à Londres est particulièrement poignant :

En 1783, John Watson, un boucher juif, a étonné un juge anglais en ayant juré sur un Nouveau Testament et ensuite, prêté serment sur une Bible hébraïque, sans se couvrir la tête. Le juge a trouvé son comportement incompréhensible, comme le révèle l’échange suivant :

  • Cour : Qu’entendez-vous par prêter serment comme vous l’avez fait?
  • J.W. : Je n’ai jamais prêté serment de ma vie….
  • Cour : Priez l’ami, ne savez-vous pas que lorsque les gens de votre confession prêtent serment ils mettent toujours leur chapeau?
  • J.W. : Je travaille parmi les Anglais, et j’ai toujours été parmi les chrétiens.
  • Cour : Vous voulez dire prêter serment en tant que Juif ou en tant que chrétien?
  • J.W. : Je peux me qualifier de chrétien, parce que je ne suis jamais parmi les juifs.
  • Cour : Comment vous appelez-vous, êtes-vous juif ou chrétien ?
  • J.W. : Je ne sais pas, s’il vous plaît votre honneur ; quoi qu’il vous plaise de m’appeler.
  • Cour : J’aimerais que vous compreniez que c’est une chose extrêmement indécente en vous, ou n’importe quelle autre chose.
    de venir ici pour jouer avec n’importe quelle religion comme vous le faites.
  • J.W. : Je suis pas plus les voies chrétiennes que les voies juives.
  • Cour : Vous êtes un bon à rien, j’ose dire, quoi que vous soyez. Baissez vos armes – Endelman 1979, pp. 141-42].

Si les identités religieuses étaient si confuses pour les individus eux-mêmes, et si même les huissiers de justice contemporains ne pouvaient pas déterminer l’affiliation d’un Crypto-Juif, comme Watson semble l’avoir certainement été, comment décider d’un retour de centaines d’années?

La réponse consiste à rassembler et à évaluer toutes les preuves, y compris les indices génétiques, ainsi qu’à créditer les vestiges de traditions vivantes qui survivent, même sous terre.

« La redécouverte de l’ampleur et de la profondeur de l’intérêt des Anglais pour les Juifs est en train de générer une réécriture de l’histoire littéraire et culturelle anglaise du début de la période moderne jusqu’au début du XXe siècle « , dit un critique (Ragussis 1997, p. 289). « Cette redécouverte est d’abord et avant tout un acte de rétablissement. La récupération des archives de documents et d’événements qui ont été négligés pour la compréhension et e développement de l’histoire, de la culture et de la littérature anglaises. »

Nous espérons que notre livre a contribué à cette récupération et cette redécouverte pour l’Ecosse et ses Juifs.

A suivre…

Voir tous les chapitres du livre : Quand l’Écosse était juive


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