Cas de conscience

Rien de mieux que les juifs pour ratisser des partisans

"Hüda Par", le parti Kurde d'extrême droite et pro-charia, qui surfe sur la guerre à Gaza

En Turquie, la guerre au Proche-Orient est une opportunité pour les islamistes radicaux, kurdes y compris.

«Le Hamas n’est pas une organisation terroriste, mais un groupe de libération et de moudjahidines qui se battent pour protéger leurs terres et leurs citoyens»a déclaré le président Erdoğan à la suite de l’incursion militaire et des massacres commis en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023.

Ces propos ne sont pas dénués de calcul politique en interne. Ils renforcent le nouvel allié radical du président turc, un petit parti kurde, d’extrême droite et pro-charia, entré au Parlement l’année dernière.

En première ligne du soutien au Hamas, « Hüda Par » (abréviation du «Parti de la cause libre» en turc) peut sembler marginal. Or, avertit le chercheur Adnan Çelik :


«la guerre de Gaza est en train de lui fournir une vitrine, une opportunité de gagner du terrain, ainsi qu’une audience et une visibilité inespérée dans les régions kurdes de Turquie».

 Depuis cinq mois, on retrouve « Hüda Par » derrière presque toutes les manifestations anti-israéliennes, en particulier dans les régions kurdes.

En novembre 2023, Zekeriya Yapıcıoğlu, son président, harangue la foule à Batman (sud-est de la Turquie), exalte la résistance du Hamas et appelle à la reconquête musulmane de Jérusalem.

Sur le podium à ses côtés, des hommes masqués portent l’uniforme des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche militaire du Hamas. Quatre jours plus tard, des militants de « Hüda Par » déploient sur les murailles de Diyarbakır, la «capitale kurde de Turquie», une image géante d’Abou Obaïda, le porte-parole de ces mêmes Brigades Izz al-Din al-Qassam.

C’est encore « Hüda Par » que l’on retrouve derrière le rassemblement de plusieurs milliers de personnes manifestant contre la présence américaine sur la base militaire d’Incirlik à Adana, ainsi qu’à l’initiative de multiples grands rassemblements et de petites manifestations tous les vendredis après la prière, en soutien au «déluge d’Al-Aqsa».


«Hüda Par a su capter à son profit le sentiment de solidarité que de nombreux Kurdes éprouvent pour la cause palestinienne et l’indignation face à la violence dévastatrice que l’armée israélienne déploie à Gaza», confirme Adnan Çelik, chercheur associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC) à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Le précédent du Hezbollah turc

Avant « Hüda Par », il y avait le Hezbollah turc, homonyme sunnite distinct du Hezbollah chiite libanais.

Objectif: remplacer l’État turc laïc par un État basé sur la charia.

Mode opératoire: violence armée et coopération avec l’Iran (entraînement et services secrets). Face au Hezbollah turc, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), procédant également par la violence armée, aspire à l’exact opposé: un État indépendant kurde d’inspiration communiste.

«À l’époque [dans les années 1990], les membres du Hezbollah [turc] considèrent certes les nationalistes kurdes, d’obédience marxiste, comme leur ennemi absolu, mais ils voient également en l’État turc un régime impie (“tağut”)», précise Adnan Çelik.

Adnan Çelik, chercheur associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC) à l’EHESS. | Photographie fournie par Adnan Çelik

Cependant, comme les États-Unis en Afghanistan, l’État turc encourage les sentiments islamistes radicaux pour faire contrepoids à la poussée de l’idéologie marxiste.

Ankara ferme donc l’œil et garantit une certaine impunité aux miliciens du Hezbollah turc :

«avant que ne s’établisse une collaboration organique entre l’organisation et les forces armées turques, qui les entraînent, les arment et leur confient des sales besognes dans la sanglante guerre de contre-insurrection qu’ils mènent dans les régions kurdes contre la guérilla et les sympathisants du PKK» selon Adnan Çelik, qui a consacré sa thèse aux conflits intra-kurdes (Dans l’ombre de l’État – Kurdes contre Kurdes, Brepols, 2022).

L’expert Gareth Jenkins (Political Islam in TurkeyPalgrave Macmillan, 2008) ajoute que s’il y a bien eu coopération entre les forces militaires turques et le Hezbollah turc, les premières ne contrôlaient absolument pas le second.

À la fin de la décennie 1990, le Hezbollah turc étend ses opérations à Istanbul. La police procède à de nombreuses arrestations avant que l’État turc ne décide une purge totale. Hüseyin Velioğlu, le fondateur de l’organisation, est tué le 17 janvier 2000. À la fin de cette année-là, de nombreux miliciens et militants du Hezbollah turc sont détenus.

Des relations «très étroites» entre Hüda Par et le Hamas

L’arrivée du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) au pouvoir en 2002 change la donne. En juillet 2003, des centaines de membres du Hezbollah turc sont libérés et bénéficient d’une amnistie générale.

Le mouvement décide de renoncer à la lutte armée et crée de nombreuses associations religieuses ou sociales, des chaînes de radio ou de télévision, des maisons d’édition, des sites web, une agence de presse (Ilkha), des «cours de Coran».

En février 2006, il réunit à Diyarbakır plus de 100.000 personnes en réaction aux caricatures danoises représentant le prophète Mahomet, dont la naissance est désormais commémorée chaque année depuis 2007.

Il semblerait que ce soit sur le conseil de Khaled Mechaal, alors chef du bureau politique du Hamas, en exil en Turquie, qu’un parti politique, Hüda Par, est lancé début 2012.

«Les relations entre Hüda Par et le Hamas ont d’emblée été très étroites, d’après Adnan Çelik. Alors que les plus radicaux de ses militants ont rejoint Al-Nosra et Daech en Syrie, Hüda Par asseoit peu à peu sa légitimité politique, sous l’aile indulgente et protectrice de l’AKP de Recep Tayyip Erdoğan.»

Quel programme?

Hüda Par ne considère plus l’État turc comme un régime tağut à combattre et à éliminer. C’est la grande différence avec son prédécesseur, le Hezbollah turc.

«Pour le reste, Hüda Par appelle toujours de ses vœux une administration islamique de l’État et considère la loi religieuse, la charia, comme supérieure à la loi positive. Son “programme”: une justice sociale reposant sur les lois de l’islam; la fraternité turco-kurde sous la bannière de l’islam; un retour à la famille comme noyau essentiel de la vie sociale et communautaire, que le respect à la lettre des règles de l’islam doit protéger des idéologies corruptrices du monde moderne», décrit Adnan Çelik qui, fin novembre 2023, présentait son travail de terrain sur ce parti radical lors d’un colloque de l’Université Paris 1 réuni autour du livre collectif Le Gouvernement des Kurdes (Karthala, 2023).

Un peu par affinité idéologique, mais surtout pour achever d’affaiblir le mouvement kurde autonomiste, l’AKP a beaucoup fait pour la promotion de Hüda Par.

Ce dernier est «devenu un partenaire privilégié des administrateurs nommés par le pouvoir pour remplacer les maires kurdes [de gauche autonomiste, ndlr] arrêtés et emprisonnés. Il a bénéficié d’importants moyens pour asseoir son implantation et participer à l’exercice du gouvernement local», explique Adnan Çelik.

Malgré ses échecs électoraux, Hüda Par a été propulsé au niveau national par l’AKP, lequel lui ouvre ses listes en 2023, permettant ainsi à quatre députés Hüda Par de siéger au Parlement.

«Hamasisation» de la question kurde

De l’autre côté du spectre kurde, quoique engagé dans la cause palestinienne depuis la fin des années 1970, le PKK :

«a adopté une position prudente et plutôt discrète dans l’escalade actuelle du conflit qui embrase Israël et la Palestine, contrastant avec le soutien public que Hüda Par et l’AKP Erdoğan clament haut et fort envers le Hamas et la cause palestinienne», relève Adnan Çelik.

Cette nouvelle image de Hüda Par, hérault de la cause palestinienne, inquiète le mouvement kurde autonomiste.

Ce dernier juge que l’AKP profite de la guerre à Gaza pour :

«hamasiser la question kurde en Turquie», c’est-à-dire «accentuer le caractère islamiste des positions et revendications du mouvement de libération kurde, afin de désamorcer et miner son caractère traditionnellement laïc et ancré à gauche», conclut Adnan Çelik.

L’Iran, en revanche, regarde très positivement le fait que Hüda Par rejoigne «l’Axe de la résistance» que Téhéran chapeaute contre Israël, car il l’enrichit ainsi d’une composante sunnite, kurde.

Grâce au Hamas, puis maintenant à « Hüda Par », Téhéran peut prétendre que la lutte contre Israël mobilise bien au-delà du seul espace chiite perse et arabe.


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