Secrets révélés

Le secret maçonnique ne serait pas fidèle au texte fondateur de l’ordre

Les maçons prêtent serment en promettant d’observer strictement le « secret maçonnique ». Pour la plupart d’entre eux, cette obligation est inhérente à l’appartenance à l’Ordre.

Pourtant, les « Constitutions d’Anderson » de 1723, texte fondateur universel, n’utilisent jamais le terme. Elles recommandent seulement la prudence.

Pour les anciennes confréries de métier (dites opératives), le seul secret résidait dans le « mot du maçon » qui permettait au manœuvre d’être reconnu sur les chantiers comme un apprenti, de trouver du travail, d’être payé en conséquence.

Une sorte de diplôme oral préfigurant les conventions collectives. L’initiation elle-même semblait réduite à sa plus simple expression, parfois même tout entière concentrée dans la communication du mot [2] Les secrets étaient autant de savoir-faire, de techniques, de méthodes, de modes de calcul.


Le manuscrit Regius de 1390, comme tous les textes du compagnonnage, explicite cette situation qui est une garantie d’emploi et de revenus.

Pour la maçonnerie spéculative, qui ne semble définitivement pas être la continuatrice des opératifs, du moins pour l’Angleterre, il fut donc nécessaire de créer des symboles et des rituels, moins professionnels et plus initiatiques. Le secret des savoir-faire devenait alors le secret de l’initiation.

Tous les écrits du XVIIIe siècle, qu’ils défendent ou qu’ils dénigrent la maçonnerie, soulignent l’importance du secret dans les « mystères » proclamés de l’Ordre.

Pourtant, dès 1738 (les premières loges anglaises datent de 1717, les premières loges écossaises apparaissent en France en 1649, la première Grande Loge de France, ancêtre du Grand Orient de France, se constitue en 1728), le rituel maçonnique, comprenant les diverses procédures d’initiation, est divulgué par le lieutenant de police de Paris René Hérault, dans Le Secret d’un frey-maçon.


En 1744, l’abbé Pérault, qui publie un fameux Secret des francs-maçons indique : « Le secret des francs-maçons réside principalement dans la façon dont ils se reconnaissent. » En 1745, paraît L’Ordre des francs-maçons trahi et leurs secrets révélés puis, en 1751, Le Maçon démasqué. Et la divulgation par diffusion ne cessera plus jamais. Les obédiences elles-mêmes, pour assurer la cohérence de leur recrutement en fédérant les loges, doivent produire et faire imprimer les rituels.

Durant l’occupation nazie, l’application des lois antimaçonniques (qui précédèrent les lois antijuives) permettra la publication au Journal officiel de Vichy de tous les francs-maçons, identifiés par un service des sociétés secrètes squattant le siège du Grand Orient de France à Paris. Le service publiera quatre années durant un bulletin (Les Documents maçonniques) et produira même un film (Forces occultes).

En bref, tout ce qui pouvait être connu de la maçonnerie, de ses modes d’initiation, de ses procédures internes, a été publié moins de dix années après la constitution des obédiences françaises.

Ainsi, en 1737, le chevalier de Raucour s’étonne : « On nous suit à présent dans toutes les rues de Paris, et il n’y a point de garçon de boutique qui ne nous salue en se vantant de nos signes ! » Son interlocuteur à Épernay lui confirmera qu’il en est de même en province [3].

Opposée au secret et au serment maçonniques, l’Église catholique ne tardera pas à mettre la maçonnerie à l’index et à lutter par tous les moyens contre les francs-maçons.

La bulle In eminenti publiée en 1738 par Clément XII ne sera que la première d’une longue série (1751 par Benoît XIV, 1865 par Pie IX et même une encyclique [4] Humanum genus. en 1884 par Léon XIII.

Diversement appliquée dans les pays européens, elle ne sera jamais enregistrée par le Parlement de Paris. En 1801, l’application du Concordat permettait (enfin !) d’excommunier les francs-maçons français. Le Code de droit canon de 1917, révisé en 1983, oublie la franc-maçonnerie, ce qui n’empêche pas la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Sainte Inquisition) de considérer l’adhésion comme un péché grave [5]..

Il faut noter que la maçonnerie anglaise, malgré son quasi-statut officiel, n’est pas à l’abri et que l’Église anglicane l’obligea à rectifier ses rituels à la fin des années quatre-vingt.

Voici donc plus d’un quart de millénaire que les rituels maçonniques ont été publiés, pourtant le secret supposé suscite toujours autant de fantasmes. Car derrière le secret maçonnique, ce qu’on cherche ou feint de découvrir, c’est la « société secrète ».

Engagés dès la création des ateliers maçonniques dans des pratiques insupportables pour les intégrismes politiques et religieux, ouvrant l’espace de la loge aux débats tabous à l’extérieur, les francs-maçons apparaissent comme autant de comploteurs en puissance.

Pourtant, cette maçonnerie des origines fut plus celle des tavernes que des cavernes. Dans une Angleterre déchirée par les guerres civiles, de religions, de conquêtes au nord et à l’ouest, où toute réunion de quelques personnes était interdite et qui fourmillait d’espions, comment inventer une société secrète?

Les amis de Newton, de la Royal Society, se réunissent justement dans des lieux publics. Le secret de la création de l’Ordre en Angleterre fut ce magistral courage d’interdire les débats religieux en loge, d’y accueillir chaque maçon pourvu qu’il ne soit ni « athée stupide, ni libertin irréligieux » sans exiger de croyance particulière, de demander au noble de partager le port du baudrier ou de l’épée, en tenue, pour écarter toute distinction de classe ou de niveau.

En France, ce fut l’imposition par les loges de province contre celles de Paris de la démocratie pour l’élection des Vénérables, et pour des mandats courts, qui constitue la marque de fabrique du Grand Orient de France.

La maçonnerie traditionnelle, très engagée, pratiquera un secret très relatif. Souvent les loges défilaient derrière leurs bannières lors des fêtes des villes et villages. En 1848, les maçons du gouvernement révolutionnaire se réunissent avec leurs décors. Durant la Commune, ils défilent sur les barricades. Souvent les loges sont installées, en province, dans des rues au nom évocateur (rue de la Loge, du Maçon, de la Maçonnerie, de l’Acacia…).

Avant-guerre, nombre de journaux de province publiaient même le programme d’activité des loges dans leurs colonnes. Bref, la maçonnerie ne fut jamais clandestine, à l’exception notable de la période de l’occupation nazie.

Les « Constitutions d’Anderson » elles-mêmes imposent au maçon, dès l’article 2, de « … ne jamais s’engager dans des complots ou des conspirations contre la paix et le bien-être de la Nation, ni de se conduire de manière irrespectueuse devant les magistrats… ».

Pourtant, il existe bien un secret maçonnique, et le seul identifiable. C’est le secret intime de ce qui est vécu durant l’initiation.

Ne possédant pas de clergé et n’exerçant aucun sacrement, la maçonnerie, dans ses pratiques initiatiques, ne prépare pas à l’inéluctable. Elle permet de renaître en étant toujours vivant. La loge est d’abord une espérance. La maçonnerie n’est pas une Église. Elle ne proclame pas seulement aimer les hommes mais cherche à les améliorer. Dès lors, elle doit dévoiler immédiatement le contenu de ses promesses qui ne peuvent être renvoyées à l’attente du paradis, du purgatoire ou des enfers. Il faut immédiatement commencer à expliquer et à instruire sur des « secrets » qui ne peuvent être préservés au nom de la préparation à l’au-delà.

La maçonnerie a créé elle-même les conditions de l’impossible préservation du secret maçonnique, du changement subi par le profane au moment de son initiation. Souvent décrit par les nouveaux initiés, le sentiment vécu semble indescriptible et souvent non reproductible. En bref, ce secret est tellement puissant que même ceux qui le connaissent et qui doivent en parler ne peuvent l’exprimer. Et que ceux qui ont lu les expériences précédentes garantissent ne pas retrouver dans leur propre initiation ce que leurs aînés leur ont révélé.

Une autre partie du secret maçonnique relève de la discrétion sur les appartenances. Le traumatisme de l’Occupation (29 000 maçons en 1939, 5 500 en 1945), les humiliations, les persécutions, les assassinats et les déportations, rendirent les francs-maçons particulièrement prudents.

Pour autant, les traditions et les règlements n’interdisent pas de proclamer son appartenance personnelle à l’Ordre. Il est simplement interdit de dévoiler un frère ou une sœur qui ne l’aurait pas expressément souhaité. Comme les organisations syndicales ou les organisations politiques, les obédiences maçonniques ne diffusent pas la liste de leurs membres, mais diffusent les noms de leurs responsables élus. De même, le Conseil de l’Ordre ou les instances exécutives se rassemblent rarement à huis clos. La plupart des francs-maçons peuvent assister aux réunions. Elles sont donc aussi discrètes que n’importe quel conseil d’administration de grande entreprise ou conférence de rédaction de médias nationaux.

La troisième partie du secret apparaît lorsque est posé le problème du dévoiement du principe de solidarité qui constitue une part essentielle de l’appartenance à la maçonnerie.

Ainsi, parce qu’il est exprimé en termes très généraux, ce principe fondateur a pu parfois servir à la création de réseaux affairistes, à la protection de corrupteurs ou de corrompus, à la défense de personnages douteux. Quantitativement, ils sont peu nombreux (moins d’une trentaine sur 43 000 au Grand Orient de France). Tous sont poursuivis, suspendus ou exclus, et depuis longtemps. Mais avec une discrétion qui pouvait sembler, pour l’extérieur, une sorte de complicité passive.

Depuis plusieurs années, cette dimension du secret a été de fait supprimée, et les instances judiciaires de la maçonnerie assument le plus souvent leur mission « Tabliers propres » marquant ainsi la différence entre l’immense majorité de maçons intègres et honnêtes et ceux qui, comme dans toute société humaine, se servent plutôt qu’ils ne servent. Le plus souvent, les Fraternelles, qui regroupent directement des maçons par affinités idéologiques ou professionnelles, hors du contrôle des obédiences maçonniques [6], ont permis à ces réseaux de se constituer et font l’objet de l’attention suspicieuse de toutes les Obédiences.

Une autre dimension, plus complexe, du secret maçonnique est avancée par Jean Mourgues [7]. Il rappelle que : « nul n’a droit qu’à la vérité qu’il a su découvrir ». Le secret serait alors simplement un mode d’instruction, un outil progressif de compréhension de la connaissance.

Ainsi, un schéma de circuit intégré ou un programme informatique, parfaitement publics, peuvent-ils apparaître comme autant de mystères insondables à qui n’est ni technicien ni informaticien. « Quelle différence alors entre un secret que personne ne connaît et un secret qui n’existe pas ? »

Ainsi, le secret serait d’abord une discipline visant à déterminer les qualités du postulant.

À la différence des sectes, il est difficile d’entrer dans la franc-maçonnerie, facile d’en sortir, et le coût est moins élevé que l’abonnement au câble ou au satellite.

Il s’agit donc de créer une mise en condition, par une certaine théâtralité, au moment même de la demande, puis lors de l’initiation. Les enquêtes et le passage sous le bandeau sont des éléments qui renforcent l’idée de l’existence d’un secret.

Le secret serait également un moyen de valider le niveau du candidat, y compris dans sa capacité à travailler pour comprendre à terme ce qu’il ne peut percevoir immédiatement. Les symboles apparaissent alors comme autant d’outils et doivent être intériorisés dans une démarche qui dépasse l’apprenti et qui l’oriente vers sa propre émancipation. L’initiation est alors une libération qui passe par des parcours complexes qui révèlent les modes d’emploi au fur et à mesure. Ce secret-là est tout de dévoilement progressif.

Ainsi, le secret maçonnique est un concept multiple, évolutif et souvent incompris par ceux-là mêmes qui en défendent le principe.

L’histoire de la maçonnerie démontre à quel point le respect de cet engagement est fortement accepté par tous les maçons, alors même qu’il n’est pas facile d’en distinguer les contours. Mais il faut toujours se rappeler, en maçonnerie, que le serment sur le respect du secret est librement accepté par des hommes et des femmes qui savent que leur obligation est d’abord un contrat avec eux-mêmes.

On peut toutefois s’interroger sur la surenchère actuelle à la transparence qui ressemble à un hygiénisme social appliqué aux autres, oublieux de ses propres secrets intimes, et forcément porteur d’une possible dérive totalitaire où la vie privée ne pourrait être que publique, niant ainsi la première des libertés.

C’est Oswald Wirth, un des grands penseurs de la maçonnerie du siècle dernier, qui conclura probablement le mieux cet essai, lui qui expliquait à ses pairs, à propos du secret maçonnique :

« Nous n’avons rien à redouter à révéler la vérité, personne ne la croit. »

Alain Bauer


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