Secrets révélés

Le « Collège Invisible » et l’apport de Jacques Vallée sur le « concept extranéen »

« Chicago, 9 novembre 1963.
Mon but à présent est de créer une petite équipe d’élite autour de laquelle un véritable effort scientifique pourrait être organisé. Cette idée me ramène à Michel et à Guérin ». Jacques Vallée, Science Interdite, p.82.

« J’ai parfois l’affreuse sensation d’être le seul humain qui ne sache pas ce que sont les Ovnis ».
Entretien avec M-T. de Brosses.

La recherche clandestine du « Collège Invisible »

Dès le début des années 60, certains ufologues vont constituer un réseau discret d’échange d’informations et de recherches coordonnées qui portera le nom de « Collège invisible ». Les chevilles ouvrières et fondatrices en sont les français Jacques Vallée et Aimé Michel.

Les hommes se connaissent et considèrent encore et non sans une certaine naïveté teintée d’orgueil, qu’une étude scientifique sérieuse, en marge de leurs activités professionnelles respectives, viendrait à bout de l’énigme des ovnis.

L’américain Joseph Allen Hynek, les Français Pierre Guérin et Claude Poher vont « appartenir » à ce groupe informel. Les débuts de l’informatique laissent augurer des traitements statistiques porteurs, d’autant que les ufologues ont constitué des bases de données rudimentaires qu’ils commencent à s’échanger.


Ils sont notamment persuadés, comme Michel, qu’il existe un ordre dans le chaos des manifestations d’ovnis, que des vagues se distinguent déjà sur diverses régions et qu’il serait de la sorte possible de prouver que la Terre est l’objet d’une campagne systématique de « contrôle » et qu’une conscience intelligible – et unique – se dissimule derrière le fait ovni.

L’enjeu est évidemment d’importance, puisqu’il s’agit par là même de démontrer la nature exotique et intelligence des ovnis, d’apporter enfin une première preuve scientifique valide.

Ils sont également convaincus qu’il y a une certaine urgence à étudier les faits, à échanger voire orienter dans un sens commun des recherches disparates, mais également à collationner les observations, leur attribuer une classification, de crainte qu’ils ne disparaissent dans l’oubli que les pouvoirs publics, la science et la presse « respectable » lui préparent.

Les raisons du quasi-secret de l’organisation sont complexes. Il est indéniable que le fait de s’intéresser à ce type de sujet, dans le monde scientifique très rationaliste de l’époque, correspondait à un « suicide professionnel ». Guérin et d’autres expérimentèrent très concrètement cette réclusion. Mais cette considération n’était pas la seule cause de la furtivité du collège invisible. Leurs membres étaient loin de considérer comme un objectif la reconnaissance officielle du sujet :


« [1]Cette reconnaissance ne me semble guère souhaitable. Il s’y associerait des procédures bureaucratiques, de longs délais, des comités à propos de tout et rien. Les responsables chargés de superviser la recherche et de contrôler les budgets seraient les mêmes savants qui ont nié absolument la réalité du problème et ont traité Aimé Michel d’escroc. Notre recherche serait émasculée par leur manque d’imagination, leur besoin de réduire tout à ce triste état qu’ils nomment, fort mal à propos, le « rationalisme », et qui n’a rien à voir avec la Raison ».

La confidentialité du Collège Invisible n’est donc pas uniquement due à la volonté de ses animateurs d’échapper aux foudres de leurs pairs scientifiques et d’avoir à en souffrir en terme de carrière, c’est aussi une volonté de voir la recherche sur le sujet s’organiser en toute liberté.

En 1975, quelques années après que le CUFOS (Center for UFO Study) de Hynek ait incorporé Jacques Vallée et l’essentiel des savants américains impliqués dans le « Collège Invisible », Vallée publie un livre éponyme justement consacré « (…) aux quelques scientifiques qui enquêtent sur les faits paranormaux (…) ».

« [2]Les travaux du « Collège Invisible » sont révolutionnaires parce que les savants qui le composent (une centaine dans cinq ou six pays) défient une certaine conception de l’autorité scientifique lorsqu’ils affirment que ces observations étranges méritent d’être étudiées, et que nulle théorie à leur sujet, même fantastique, ne doit être rejetée sans analyse. Depuis un quart de siècle, ils consacrent à cette tâche leur temps et leur énergie. Discrètement, ils apportent leur appui aux organisations d’amateurs qui rassemblent les données qui ne passent pas par les circuits officiels, et ils gardent intactes ces collections précieuses. De temps à autre, ils réussissent à porter la réalité du phénomène à la connaissance du public, et l’informent de l’existence d’un sérieux effort de recherche ».

Cette collaboration se fait dans une jubilation, – sans doute liée à la conviction des origines que les efforts conjugués de scientifiques ouverts d’esprit allaient venir à bout des ovnis -, dont Aimé Michel, homme dont nous avons vu qu’il appréciait et cultivait les réseaux, nous fait le récit :

« [3]Si la publication de mon livre m’apportait une cuisante déception en me révélant le mépris du public pour le problème qui, moi, me passionnait, elle me donna en revanche la clé d’un univers nouveau et fascinant : celui de la recherche clandestine. En moins d’un an, je me trouvai en relations épistolaires avec une foule d’hommes de science de France et de l’étranger (surtout des pays anglo-saxons), astronomes, physiciens, biologistes, psychologues, botanistes, géologues, que sais-je? Leur première lettre débutait régulièrement par la même clause de style : il ne fallait pas que l’on sache qu’ils avaient des rapports avec moi.

Je découvrais donc avec l’étonnement du néophyte les petites joies de la clandestinité. Mais j’étais loin de me douter jusqu’où cela pouvait aller. Les lettres échangées, les visites estivales (l’été est la saison des congrès scientifiques, et chacun sait que ces congrès sont surtout l’occasion de contacts sans rapports avec la manifestation elle-même), tout cela, je mis plusieurs années à en mesurer la portée, et même la signification. Je m’imaginais être le centre d’un petit réseau mondial d’esprits de toutes disciplines et de tous pays intéressés à la solution du problème Soucoupe. J’écrivais ici et là, je mettais en rapport un Anglais avec un Argentin, ou bien c’est moi qu’un Danois mettait en rapport avec un Suisse. C’était en somme (pensais-je) la petite internationale de la soucoupe, comme il y a celle du timbre-poste et celle des radioamateurs.

Il est vrai que cette internationale groupait surtout des hommes de science et que, dans cette mesure, elle était clandestine ».

L’organisation n’abritait pas que de simples chercheurs, se livrant clandestinement à la passion ufologique. On y inclut également – et sans doute un peu abusivement – de hautes personnalités comme le physicien Yves Rocard, qui fut dans les années 50 le responsable du programme d’armement nucléaire de la France, et dont l’intérêt pourtant discret pour les ovnis, puis pour la radiesthésie à la fin de sa vie, lui coûta les honneurs de l’Académie des Sciences.

Au début des années 60, alors que Vallée songe déjà à quitter la France, Michel intercède auprès de Rocard pour qu’il lui trouve un poste qui lui permettrait de poursuivre discrètement ses recherches.

Professeur à l’Ecole Normale Supérieure, Rocard bénéficie de ses entrées au plus haut niveau de l’Etat. En 1966, Vallée le rencontre une nouvelle fois par l’entremise d’Aimé Michel. Il lui remet un dossier contenant les « vingt meilleurs cas » tirés essentiellement du projet Blue Book et tente de le gagner à l’idée de poser la question des ovnis devant les Nations Unies.

Selon Gildas Bourdais, l’idée d’établir un groupe officiel de recherche sur les ovnis en France sera prise en considération à peu près à la même époque, sans que l’on puisse dire clairement si la visite de Vallée y était pour quelque chose[4]. Nul doute que le gaulliste Alain Peyrefitte, ministre de la Recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales (1966-1967), politique rompu aux questions internationales, n’ignorait rien de l’essentiel à ce sujet. Vallée consigne de sa rencontre avec Rocard les notes suivantes :

« [5]C’est un homme brillant sous ses apparences simples ; ses yeux pétillent d’humour et il possède la réserve rusée des grands bureaucrates :
« Dans ma situation, je ne peux pas faire grand-chose, vous comprenez, J’ai bien quelques petits contacts… ».

Tout au long de notre conversation, je devais sans cesse me remettre à l’esprit que j’avais devant moi quelqu’un qui gagnait sa vie en inventant des bombes atomiques. (…).

Une curieuse remarque de Rocard me revient à l’esprit à propos de certaines rumeurs qui circulent dans l’administration parisienne : les services secrets français seraient sur le point d’être réorganisés par de Gaulle. Il espérait que notre genre de recherches, toute cette science interdite, « ne serait pas autant découragée à l’avenir ». Voulait-il dire par là que ces services contrôlaient l’information sur les OVNI en France ? ».

Rocard n’obtiendra apparemment jamais rien de substantiel de ces appuis gouvernementaux et Vallée, Michel et Hynek ne pourront que constater que ne sont toujours pas réunis les éléments d’une grande étude scientifique sur les ovnis, accompagnés de moyens significatifs.

Comme nous l’avons vu avec Rocard, le Collège invisible devait surtout à Vallée et Michel.

Dans l’ouvrage éponyme de Vallée, il est question de la grande conclusion auquel certains ufologues scientifiques sont arrivés, au vu des données du problème, le « système de contrôle », le camouflage du fait ovni, l’hypothèse extraterrestre dite au second degré, vers laquelle beaucoup d’ufologues proches de Vallée finiront par incliner.

Pour évoquer tous ces aspects, il était indispensable de se pencher sur la trajectoire et l’œuvre de Jacques Vallée, assurément le chercheur le plus fameux et sans doute l’ufologue le plus emblématique, car héritier d’une culture ésotérique et mystique dans laquelle l’ufologie française plonge ses racines, tout en demeurant un des rares individus à avoir réellement investigué scientifiquement le phénomène.

[1] Jacques VALLEE, « Science interdite – Journal 1957-1969 », O.P Editions (Observatoire des Parasciences), Coll. « Documents », 1997. (1ère éd. Par « The Vallée Living Trust » – 1992). p.55.
[2] Jacques VALLEE, « Le Collège Invisible », Albin Michel, Coll. Les chemins de l’Impossible », 1975.
[3] Aimé MICHEL, Les tribulations d’un chercheur parallèle, revue Planète, n°20, Janvier-février 1965.
[4] Gildas BOURDAIS, « From GEPAN to SEPRA : Official UFO Studies in France », IUR n° 4, vol. 25, hiver 2000-2001), traduit « Du GEPAN au SEPRA : Les études officielles sur les OVNIS en France ».
[5] VALLEE, Science Interdite », op. cit., pp.197-198.

Les premiers pas en ufologie, la curiosité face au phénomène et au déni scientifique

Jacques Vallée naît en 1939 à Pontoise. Fils d’un magistrat conservateur et assez rigide, il poursuit des études de Mathématiques, d’Astrophysique puis, sur ce qui sera une des grandes révélations de sa vie de scientifique, l’Informatique.

Adolescent, Vallée a été le témoin en 1954 du passage d’un ovni au dessus de la demeure familiale.

« [1]Ce que j’observai était un cigare gris métallique ou peut-être un disque vu par la tranche, avec une bulle transparente sur le dessus. Il avait la taille apparente de la pleine lune et il planait silencieusement dans le ciel au dessus de l’église Saint-Maclou. Je ne me souviens pas de l’avoir vu partir. Ma mère m’a dit que l’objet s’en alla en laissant derrière lui comme des flocons d’une substance blanche. Se souvenant des années de la guerre, elle pensa d’abord que c’étaient des parachutes. J’ai gardé la forte impression que nous devrions répondre, que la dignité humaine exigeait cette réponse, même si elle n’était qu’un aveu symbolique de notre manque de compréhension. J’ai réalisé à cet instant que j’aurais à tout jamais honte de la race humaine si nous ignorions purement et simplement « leur » présence ».

Vallée suivra attentivement la vague de 1954 qui voit un déferlement d’ovnis s’abattre sur l’Europe entière. En 1958, il est enthousiasmé par la lecture du « Mystérieux objets célestes » d’Aimé Michel avec qui il entame une correspondance.

Le jeune Vallée, pas même âgé de vingt ans, est alors une personnalité brillante, relativement exaltée, éprise de science, de morale et de spiritualité. Son attrait pour l’occultisme, et en particulier pour les Rose-Croix, a toujours été assumé tout en demeurant étanche à sa pratique de scientifique. Il n’empêche que cette passion intellectuelle et spirituelle est déterminante et nourrira les discours de Vallée sur le « système de contrôle ».

Des rosicruciens auxquels il adhère en 1960, le jeune Vallée estime alors que « [2]…leurs documents forment un intéressant complément spirituel à mon entraînement scientifique. Chaque mois je reçois par la Poste un paquet de cours qui comprend des lectures théoriques et des instructions pour de simples rituels qui laissent entrevoir des réalités plus élevées »[3].

Mais son véritable échappatoire est indubitablement la littérature, pas si différente chez Vallée, que l’on passe de ses romans de SF à sa trilogie ufologique « Autres dimensions » / « Confrontations » / « Révélations ».

En 1961, il soumet le manuscrit d’un roman, « Sub-Espace », à l’éditeur Georges Gallet directeur de la collection Hachette, « Le rayon fantastique ». L’ouvrage vaudra à son auteur le prestigieux Prix Jules Verne, sous le pseudonyme de Jérome Sériel. L’année suivante, « Le satellite sombre » parait chez Denoël (coll. « Présence du futur)[4].

[1] Jacques VALLEE, Science Interdite, Op. cit., p.27.
[2] Ibid., p.43.
[3] Le terme même de Rose-Croix désigne celui qui est parvenu jusqu’à l’état christique de perfection spirituelle et morale, les rosicruciens s’essayant à atteindre ce degré d’illumination, la nature profonde de la Rose-Croix se situant, à l’instar de l’Alchimie spirituelle, dans l’expérience intérieure individuelle. Bien que l’Ordre de la Rose-Croix ne soit apparu qu’au XVIIème siècle, la tradition fait de Paracelse (1493-1541), médecin et alchimiste emblématique, l’un des premiers Rose-Croix. Ces correspondances avec l’Alchimie se retrouvent également dans les croyances qui leur sont attachées. Ainsi, les rosicruciens distinguent l’âme humaine et l’athanor, c’est-à-dire le corps physique et les corps subtils qui maintiennent ce dernier en vie et assurent le lien avec l’âme, qui procède de Dieu. L’existence humaine est alors pensée comme le terrain de cette élévation de l’homme, une transmutation, qui lui révèle également ses liens étroits avec Dieu et la Nature. Les enseignements rosicruciens interrogent donc la nature véritable du Divin, l’origine de l’univers, la structure de la matière, les concepts de temps et d’espace, les lois de la vie, le but de l’évolution, l’âme humaine et ses attributs, les phases de la conscience, les phénomènes psychiques, les mystères de la mort, de l’après-vie et de la réincarnation, le symbolisme traditionnel et investissent également nombre de techniques anciennes en matière de mysticisme telles que la relaxation, la concentration, la méditation, la création mentale, l’alchimie spirituelle, etc.
[4] Jacques VALLEE, Le Sub-espace, coll. Le Rayon fantastique n°82, éd. Hachette, 1961 (pseud. Jérôme Sériel) / Le Satellite sombre, éd. Denoël, 1962 (pseud. Jérôme Sériel).

Mais Vallée a réellement consommé sa rupture avec le monde académique à l’occasion d’une observation d’ovni faite à l’Observatoire de Meudon et qui décida sans doute de la vigueur de sa vocation ufologique.

Lors d’un entretien radiophonique avec la journaliste Marie-Thérèse de Brosses, il relate les circonstances de sa deuxième observation d’ovni, faite au théodolite.

« [1]Alors une nuit on a passé, enfin toute l’équipe est restée sur le plateau pour prendre suffisamment de points pour pouvoir calculer une orbite, parce que cet objet pouvait beaucoup… ça pouvait être un nouveau satellite qui n’était pas déclaré ; ça pouvait aussi être un objet qui ce soit satellisé, un objet tout à fait naturel qui se soit satellisé autour de la Terre, c’est peu probable, mais ça peut arriver, et ce serait bien entendu très intéressant de pouvoir le suivre. Il faut dire pour nos auditeurs que bien entendu on voit des météores, on voit des étoiles filantes toutes les nuits, ce sont des objets qui voyagent dans l’espace, qui traversent l’atmosphère et qui brûlent dans l’atmosphère.
De temps en temps il y a en a un plus gros que les autres qui arrive jusqu’au sol et à ce moment –là c’est une météorite qu’on peut récupérer. (…)

Donc c’était une des hypothèses qu’on suivait, ça nous intéressait de calculer une orbite. Donc on a obtenu onze mesures de « pointé » sur cet objet – qui était très brillant et qui avait la particularité d’être rétrograde –. Or, à l’époque, il n’y avait pas de fusées suffisamment puissantes pour lancer un satellite rétrograde, donc ça nous intriguait beaucoup. Et d’autant plus qu’il y avait d’autres observatoires et d’autres stations en France qui avaient vu la même chose. Et quand on a annoncé cela au directeur du projet, il a confisqué la bande et l’a effacée ».

Vallée s’efforcera, en vain, de briser ce mur du silence :

« Quand même, l’Observatoire de Paris fait des observations et les fait bien, et non seulement on n’en parlait pas au public mais on n’en parlait même pas à nos collègues. Alors j’ai demandé : Pourquoi on n’envoie pas ça aux Américains – puisqu’on envoyait toutes nos données aux Américains et on recevait d’eux des prévisions d’orbites, les calculs d’orbites, etc., intégrés. Donc on envoyait ça par télétype à la Marine américaine à Paris, qui se chargeait de l’envoyer au Smithsonian, aux États-Unis. Et c’était dans le cadre, encore une fois, du projet international de coopération scientifique. Et la réponse a été : Les Américains se moqueraient de nous.

Des années plus tard, travaillant avec le Pr. Hynek, j’ai trouvé dans ses dossiers des photographies qui avaient été prises à la même époque par des systèmes de « tracking » américains du même objet, qu’ils avaient classés comme non identifié ».

[1] Entretien de Jacques Vallée avec M-T. de Brosses, émission « La vague d’ovnis », Radio Ici et Maintenant, mardi 14 février 2006. Retranscription de l’ntretien : http://rimarchives.free.fr/Vallee-MTB.pdf – [Site consulté le 1er février 2009].

L’épopée américaine et la rencontre fondatrice avec Hynek

Cet épisode va donc l’affranchir définitivement sur le traitement du phénomène ovni par la communauté scientifique et singulièrement par le microcosme rationaliste dominant à l’époque en France.

Il n’en est donc que plus convaincu de s’expatrier et rejoint Gérard de Vaucouleurs, spécialiste de l’étude des galaxies, chairman du département d’astronomie de l’Université du Texas, – prestigieuse institution en cosmologie et en mathématiques dotée d’un remarquable centre de calcul-, lequel cherche alors des astronomes qui soient également des informaticiens.

Vallée contribue à y développer la première carte informatisée de Mars pour la NASA mais dispose surtout de toute la latitude possible pour exploiter les puissants ordinateurs de l’Université du Texas aux fins de la recherche sur les ovnis. Quoique sceptique, Vaucouleurs n’ignorait rien des convictions ufologiques de Vallée et ne les avait nullement découragées, mettant tout au contraire à sa disposition les moyens techniques de son laboratoire.

En 1963, après avoir enfin fait la rencontre de Joseph Allen Hynek, conseiller scientifique de l’armée de l’Air sur les ovnis depuis 1947, Vallée accepte le poste de programmateur de systèmes à l’Institut de Technologie de l’université du Northwestern où il entame un doctorat en Informatique. En réalité, aux cotés d’une autre étudiante nommée Nancy Van Etten, il devient l’assistant de Hynek et travaille rapidement à plein temps sur les ovnis.

C’est vers la fin de l’année 1963, après avoir conduit les premières simulations informatiques d’ampleur, qu’il sera amené à réfuter la théorie des alignements orthoténiques, dont nous avons pourtant vu quelle fut sa postérité.

Au vu des données et des cas qu’il compulsait chaque jour à l’Université du Northwestern, Vallée plaidait déjà auprès d’Hynek pour que la dimension psychique et paranormale du fait ovni soit prise en compte.

Hynek ne possédait pas la culture ésotérique de son disciple et accueillit avec intérêt cette idée neuve, à ses yeux.

C’est que Vallée refusait de ne pas tenir compte de certains récits extraordinaires de rencontres rapprochées, de phénomènes parapsychologiques et d’enlevés ou de contactés qu’Hynek et beaucoup d’ « ufologues institutionnels » comme McDonald ou Keyhoe avaient évacué pour ne pas contrarier l’intérêt scientifique récent pour la question. En outre, il est empreint de cette littérature naissante, néo-évhémériste notamment, que nous avons évoquée et qui ne fera pas souche aux Etats-Unis avec le même écho qu’en France.

« [1]Dans les discussions récentes avec Hynek, je lui ai fait remarquer que la question des soucoupes peut bien faire partie d’un ensemble complexe de réalités scientifiques, mais qu’elle a aussi des racines profondes dans les théories mystiques et psychiques.
Je l’ai trouvé très réceptif à cette idée. Nous devons aussi nous poser la question de savoir si une intervention extraterrestre a pu être un facteur au début de l’histoire de l’homme, dans le développement de la civilisation et dans les événements bibliques.

Comme Paul Misraki l’a montré dans son livre[2], l’immense machinerie des anges et des messages divins dictés par Jéhovah au milieu des éclairs et du tonnerre pourrait être interprétée comme une manifestation céleste plutôt que divine. Certains « supérieurs inconnus » sont-ils à l’origine de nos croyances ? Auraient-ils décidé de nous faire une piqûre de rappel ?

Une autre question se pose : l’état spirituel futur de l’homme a-t-il déjà été partiellement réalisé par certains individus ? Certains ont-ils reçu le don de réussir le contact, sur un certain plan, avec ceux qui guident peut-être notre évolution psychique ? ».

Auprès d’Hynek en 1964, il est appelé à rencontrer le major Quintanilla et l’équipe « Blue Book » lors d’une visite dans la FTD (Foreign Technology Division) de la base de l’Air Force de Wright-Patterson.

Il y déplore l’attitude méprisante des officiels, exhibant quelques vagues pièces de métal récupérées sur des lieux présumés d’observations, laissant à penser que le phénomène n’a rien de sérieux ni de substantiel. Il y découvre également la gigantesque nébuleuse de l’Air Force, soucieuse de s’activer pour répondre aux demandes du congrès ou ne pas déplaire aux grandes firmes industrielles.

C’est la même année que Vallée rédige deux ouvrages, « [3]Anatomy of a phenomenon » préfacé par Hynek et « Les phénomènes insolites de l’Espace », qui sera traduit en anglais par l’ufologue et diplomate britannique Gordon Creighton, « pilier » de la « Flying Saucer Review ».

Il y développe déjà ce qui seront des thématiques fortes de son œuvre, la présence ancienne du phénomène et ses manifestations, la densité et les spécificités du phénomène ovni, les pistes d’étude scientifique qu’il conduit aux cotés du Collège Invisible ainsi que les modèles de classification qu’il entreprend dès cette époque.

Son second livre ufologique, pudiquement intitulé « Les phénomènes insolites de l’espace »[4] et co-écrit avec Janine Vallée, se présente comme une somme où les auteurs font état de l’ensemble des études scientifiques conduites depuis quelques années, de l’analyse des cas français des années cinquante parmi les plus sérieux jusqu’à la vague américaine de 1964.

Une large part de l’ouvrage évoque la théorie des alignements chère à Aimé Michel, dont nous avons vu qu’il sera l’amical fossoyeur. Il y fait également part d’une rigueur et d’une prudence intellectuelle qui en font d’emblée un cas atypique dans la littérature ufologique.

L’hypothèse interplanétaire n’est pas la seule envisageable à ses yeux et il lui trouve déjà de nombreuses failles.

Enfin, il formule pour la première fois des considérations et critiques méthodologiques fort pertinentes en proposant de nouvelles pistes de recherche.

Vallée reconnaît ainsi que « [5]Le phénomène « M.O.C »[6], n’a fait l’objet, jusqu’ici, d’étude sérieuse qu’aux États-Unis, où l’Air Force d’une part, a créé une organisation chargée de l’investigation des rapports, et où d’autre part certains savants, agissant à titre individuel, ont examiné les dossiers et fait connaître leur opinion.

Ces études nous semblent critiquables, en ce qu’elles ont pris pour base un ensemble de données où aucun effort de classification n’avait été fait, où les observations valables sont restées noyées dans la masse des erreurs et des misinterprétations manifestes, où les faits sont très malaisément localisables et où la machine officielle a introduit des effets de sélection évidents que l’on a pas cherché à corriger ou même à décrire ».

Cette proximité avec Hynek va l’amener à être un acteur, et un observateur attentif de l’Air force et du gouvernement face aux ovnis, du fiasco de Blue Book, au tollé provoqué par l’affaire du « gaz des marais » qui fit de Hynek, – qui avait pourtant toujours appelé à une étude scientifique ouverte et sereine -, le symbole de la mauvaise foi des autorités concernant le phénomène ovni. Il travaille, pour le compte de l’Université de Northwestern au contrat d’analyse de données que l’Air Force confie conjointement à l’équipe d’Hynek et à l’Institut Battelle[7], centre de recherche privé que l’Armée consultait au sujet des ovnis depuis les années 50.

Les activités de Vallée sont denses et hétérodoxes. Il investigue tous les aspects du phénomène ovni, écrit des articles et rédige déjà l’ébauche de ce que seront ses premiers ouvrages. Il poursuit parallèlement ses études en programmation informatique.

En 1966, alors qu’il achève sa thèse de doctorat, il est l’envoyé spécial d’Hynek à une conférence sur les ovnis en Occident du Congrès de l’Union Mondiale des Mathématiciens à Moscou. A la même époque, il rencontre également U Thant, secrétaire d’Etat birman élu Secrétaire général de l’ONU en 1962, avec qui il s’entretiendra de nouveau en 1966. Thant considérait alors les ovnis comme le problème le plus important auquel les Nations Unies avaient à faire face après la guerre au Vietnam selon Timothy Good[8]. Auprès de Rocard, il plaide pour que la France cautionne une étude scientifique internationale sur les ovnis.

En 1967, Vallée obtient sa thèse de doctorat en Informatique à l’Université de Northwestern, intitulée « Stratégies de recherches informationnelles et langages d’interrogation ». Elle traite du dialogue entre langage naturel et bases de données.

A la même époque, Vallée est étroitement lié au projet de la NSF de réseau d’ordinateurs, qui aboutit au premier système de conférence sur l’Arpanet[9], prédécesseur de l’Internet. Il est également l’auteur de systèmes de classification[10] des observations d’ovnis, le second système paru en 1990 dans son livre « Confrontations », reste à ce jour la référence en la matière.

L’homme n’est définitivement pas prolixe – exception faite pour son journal qu’il tient secrètement et qu’il publiera bien plus tard – à la différence de son mentor Hynek qui a souvent vu ses propos aux médias déformés et caricaturés.

Dès cette époque, extrêmement réservé sur le traitement réservé au phénomène ovni par la presse, Jacques Vallée est assez rare sur les médias, préférant les entretiens intimistes aux émissions trop souvent polémiques ou caricaturales, où sa pensée n’aurait pas manquée d’être trahie.

Il serait trop simple de n’y voir que de l’orgueil, même si le jeune Vallée n’en est pas dépourvu. Il ne croit plus que les conditions soient réunies pour une prise de conscience globale et une prise en charge du dossier par les scientifiques. Il a plus que des raisons de se méfier des tentatives de désinformation des différentes instances gouvernementales et scientifiques américaines qu’il a vues à l’œuvre.

Sa quête est donc essentiellement solitaire et il poursuit le dialogue scientifique entrepris avec son réseau de correspondants ufologiques du Collège Invisible. Même son profond respect pour Hynek s’effiloche à mesure que celui-ci se médiatise et néglige la recherche et l’analyse des données.

En 1966, il écrit déjà : « Je voudrais que l’on me laisse poursuivre mes recherches. Je n’ai rien à dire au monde. Pas de message. J’ai publié mes données et ceux qui savent lire peuvent les trouver dans mes livres. Maintenant, c’est en moi-même que je veux chercher la vérité. Je me fiche que les autres approuvent ma démarche ou même simplement la comprennent. (…) Il n’y a pas de véritable science sans pensée visionnaire[11] ».

[1] Jacques VALLEE, Science Interdite, Op. cit., p.87.
[2] Note de l’auteur : Paul MISRAKI, « Des Signes dans le Ciel » (sous-titré : « Les Extraterrestres »), Ed. Labergerie, 1968. (La première édition du livre de Misraki remonte à 1962, avec pour titre : «Les Extraterrestres ».)
[3] Jacques VALLEE, Anatomy of a phenomenon : unidentified objects in space – A scientific apraisal, Ed. Ace, 1965.
[4] Jacques & Janine VALLEE, Les phénomènes insolites de l’Espace, Ed. de la Table Ronde, Coll. « L’ordre du jour », 1966.
[5] Ibid., p. 12.
[6] Note de l’auteur : Mystérieux objets célestes (M.O.C.) selon la terminologie d’Aimé Michel.
[7] Institution de recherché privée, très proche de l’administration fédérale, créé en 1929 à Colombus, Ohio. L’Institut Battelle fut plusieurs fois lié à l’étude officielle sur les ovnis, notamment dans la Commission Robertson, le rapport Stork et le projet Blue Book.
[8] Timothy GOOD, Above Top Secret : The worldwide UFO cover-up, Sidgwick and Jackson, (GB), 1987.
[9] ARPANET, acronyme anglais de « Advanced Research Projects Agency Network », est le premier réseau à transfert de paquets développé aux États-Unis par la DARPA, le projet fut lancé en 1967 et la première démonstration officielle date d’octobre 1972. Il est le prédécesseur d’Internet.
[10] Second Système Vallée.

En 1990, dans son livre Confrontations, Vallée propose un nouvelle classification incluant celle d’Hynek et les dimensions paranormales des phénomènes observés.

Ce système de classification est unanimement reconnu comme étant l’un des plus détaillés et pertinents.

[Source : Jacques VALLEE, Confrontations, Robert Laffont, Coll. Les énigmes de l’Univers, 1990.]

Anomalie (AN)
– Type I : Observation : Lumière ou explosion mystérieuse
– Type II : Effets physiques : Poltergeists, agroglyphes
– Type III : Entités : fantôme, extra-terrestre, animal cryptozoologique (Yéti, Loch Ness, etc.)
– Type IV : Transformation de la réalité : NDE, vision ou hallucination à caractère religieuse
– Type V : Blessure ou mort : combustion humaine spontanée, stigmates, etc.
Vol rapproché (FB)
– Type I : Observation : Trajectoire continue de l’ovni
– Type II : Effets physiques : ovni laissant une trace physique
– Type III : Entités : observation d’êtres (RR3)
– Type IV : Transformation de la réalité : le(s) témoin(s) ont une impression de déformation de la réalité
– Type V : Blessure ou mort : blessure ou décès causés par un ovni (RR6)
Manœuvres (MA)
– Type I : Observation : trajectoire discontinue de l’ovni
– Type II : Effets physiques : ovni laissant une trace physique
– Type III : Entités : observation d’êtres (RR3)
– Type IV : Transformation de la réalité : le(s) témoin(s) ont une impression de déformation de la réalité
– Type V : Blessure ou mort : blessure ou décès causés par un ovni (RR6)
Rencontre Rapprochée (CE)
Type I : ovni est proche (RR1)
Type II : Effets physiques : ovni laissant une trace physique (équivalent à une RR2)
Type III : Entités : observation d’êtres (RR3)
Type IV : Transformation de la réalité : Enlèvements (RR4)
Type V : Blessure ou mort : blessure ou décès causés par un ovni (RR5)

[Source pour le premier Système Vallée : Jacques & Janine VALLEE, « Challenge To Science: The UFO Enigma », Henry Regnery Company, 1966].
[11] Jacques VALLEE, Science Interdite, Op. cit., p.227.

Pentacle

Le 18 juin 1967, alors qu’il s’emploie à ranger l’imposante documentation d’Hynek à son domicile, Vallée tombe sur une copie carbone d’un mémorandum estampillé « Secret » du 9 janvier 1953, émanant de l’Institut Battelle et adressée au service technique de l’armée de l’Air pour transmission au capitaine Ruppelt, responsable de la commission « Livre Bleu ».

Le texte formulait diverses recommandations concernant la fameuse commission scientifique (Scientific Advisory Panel) devant se réunir à Washington du 14 au 18 janvier 1953 sous l’égide de la CIA, la fameuse « Commission Robertson » (Robertson Panel). Gildas Bourdais a analysé la controverse née de cette découverte et de la publication de ce mémo dans son journal « Science Interdite ».

« [1]Vallée souligne d’abord que ce document fait allusion aux « milliers de rapports » déjà analysés (Par qui ? Par un groupe de recherche de haut niveau, responsable du mystérieux « Projet Stork »), qu’il recommande ensuite d’annuler ou de reporter la réunion de la commission Robertson tant que l’étude en cours ne sera pas terminée, ou au moins de convenir préalablement de ce qui peut ou ne peut pas être discuté à Washington dans le cadre de cette commission. L’auteur recommande ensuite de mettre en place une observation systématique des ovnis dans certaines zones favorables, et d’y mettre en scène secrètement différents types d’activité aérienne.

Ainsi, commente Vallée : « Ce que ces gens recommandaient n’était rien de moins qu’une simulation soigneusement calibrée et manipulée d’une vague d’ovnis tout entière ». « Pour qui travaillait Pentacle ? », s’interroge Jacques Vallée, « A quel genre de jeu jouait-on ? ». Ces commentaires datent de 1967. Dans son épilogue, rédigé avant la parution du livre en 1992, Vallée persiste dans son analyse, parlant même du « scandale intellectuel du document Pentacle », qu’il qualifie de « document menaçant », (« ominous document »), qui prouve qu’on avait caché des faits importants à la commission Robertson, et qu’on avait sans doute mis en scène, à la suite de ces recommandations, de fausses apparitions d’ovnis dans le but de manipuler nos « systèmes de croyances ».

Une enquête du CUFOS et les prises de position d’ufologues américains estimés ne tardèrent pas à tempérer l’émoi de Vallée, tant sur l’importance du document que sur son interprétation.

Dès avril 1993, sous l’impulsion du CAUS (Citizen Against UFO Secrecy – « Citoyens contre le secret relatif aux ovnis »), le texte circulait librement sur Internet et les conclusions de l’enquête du CUFOS parurent dans un numéro spécial de l’ « International UFO Reporter »[2].

Plusieurs membres de l’organisation ufologique, dont Jennie Zeidman qui fut la dernière assistante d’Hynek, retrouvèrent et interviewèrent trois des ingénieurs de l’Institut Battelle qui avaient été destinataires du mémo. Ils s’étonnèrent à la fois du crédit dont jouissait la théorie de Vallée selon laquelle le mémo Pentacle était la preuve d’une manipulation à grande échelle du phénomène ovni par le gouvernement, et de ce que ce texte avait pu être interprété par Vallée d’une façon si sensationnelle alors qu’il n’était finalement qu’un document anodin.

La clef de cette controverse, comme le rappelle l’historien de l’ufologie américaine Jérome Clark, se situe dans le contexte historique. L’Institut Battelle bénéficie de la pleine et entière confiance de l’Air Force qui l’engage pour une étude statistique et pour formuler des recommandations opérationnelles.

Dès janvier 1952, le rapport n°3 du « Project Grudge » de l’Air Force, a relevé une notable concentration de cas d’observations d’ovnis dans certaines zones géographiques, notamment White Sands et Albuquerque au Nouveau-Mexique, mais également dans l’Ohio. Le capitaine Ruppelt envisage sérieusement de placer dans ces zones du matériel d’enregistrement pour bénéficier de matériaux tangibles.

Il semble que la Rand Corporation, autre organisme privé très lié aux activités militaro-industrielles ait également préconisé l’installation de caméras d’objectifs à longue focale et d’une grille de diffraction pour obtenir des spectres lumineux sur les terrains de la base d’Holloman, site militaire très lié au phénomène ovni. D’autres initiatives de ce type connurent apparemment des réalisations concrètes mais malgré l’annonce officielle de l’absence de résultats, certains ufologues affirmèrent que des enregistrements, parfois simultanés, constituaient des preuves concrètes de l’existence des ovnis et avaient été soustraites à la connaissance du public.

Il n’en reste pas moins que, dans ce contexte, l’idée d’une surveillance renforcée dans une zone « favorable », n’avait rien d’étonnant.

Avec les événements du carrousel de Washington en 1952, où des formations de nombreux ovnis survolèrent la capitale à deux reprises, la CIA s’intéressait particulièrement aux ovnis, mais essentiellement du point de vue des questions de sécurité nationale, le Renseignement américain craignant surtout les risques d’ « intoxication » orchestrés par un pays étranger et de saturation des réseaux de communications.

Avant même que l’Institut Battelle ne rende ses conclusions, la CIA actionne la commission Robertson qui inaugure la politique de négation systématique de la question par les autorités américaines.

Ainsi lorsque le mémorandum évoquait « (…) ce qui peut et ce qui ne peut pas être discuté… », il ne s’agissait que d’un loyalisme de l’Institut Battelle vis-à-vis de son client l’Air Force, à interpréter dans ce contexte de « compétition » avec la CIA. Plus loin, lorsque le document suggère que « De nombreux types différents d’activité aérienne devraient être secrètement et systématiquement organisés à l’intérieur de la zone », il s’agit seulement de tester les capacités d’enregistrement des équipes et du matériel ovni, dans les conditions du réel et donc, sans prévenir du test les personnes impliqués dans le projet, ce afin d’évaluer les capacités réelles du dispositif.

En fait, ce document avait été apparemment évoqué par Hynek lui-même et aussi par l’ufologue et historien David Jacobs[3], sans que ces derniers s’émeuvent de ses termes.
Il reste que le mémorandum Pentacle acheva de convaincre Vallée de la duplicité de l’Etat américain et sensibilisera le jeune ufologue aux possibilités de manipulation mentale s’appuyant sur le phénomène ovni. La pertinence de l’enquête du CUFOS de 1993 ne semble pas l’avoir fait changer à ce sujet et n’a heureusement – car l’affaire est un détail dans l’œuvre de Vallée – pas entamé le juste magistère que Jacques Vallée occupe sur la scène ufologique internationale.

[1] Gildas BOURDAIS, « Jacques Vallée et le « Mémorandum de Pentacle », texte disponible sur le blog ufologique de G. BOURDAIS – http://bourdais.blogspot.com/2001/04/jacques-valle-et-le-mmorandum-de.html
[2] Numéro spécial de la revue International UFO Reporter (IUR), « The Pentacle letter and the Battelle UFP Project », Mai/Juin 1993. CUFOS.
[3] David JACOBS, « UFO controversy in America », Indiana University Press, 1975.

Le système de contrôle

En 1969, la parution de « Passport to Magonia[1] », dont le titre sera malheureusement travesti par la traduction française (Le titre français de l’ouvrage « Chronique des apparitions extraterrestres » laisse à penser qu’il ne s’agit que d’une collecte de cas anciens et que l’auteur est convaincu que l’origine des ovnis est « extraterrestre »), précise plus encore ce qui est sa grande intuition quant à l’interprétation du phénomène.

L’ovni, comme certains récits folkloriques, mythiques ou religieux de l’Histoire, renvoie à la même réalité perçue par la civilisation humaine au fil des siècles, celle d’un système de contrôle opérant essentiellement, et dans un but incertain, sur la psyché humaine.

Ce livre s’appuie assez franchement sur les travaux d’un érudit spirite, Walter Ewans Wentz, auteur d’une thèse sur la tradition celtique en Bretagne, publiée en 1911[2]. Il y pointe les fréquentes similitudes dans les récits folkloriques et ceux plus contemporains, mettant en cause les ovnis. Il y évoque la vague de 1896-1897 aux Etats-Unis, dont certains épisodes sont parfaitement similaires à des anciennes chroniques médiévales. Vallée dévoile également dans ce livre le contenu de la base Magonie[3], 923 cas sélectionnés par l’auteur à la fois pour leur étrangeté et leur crédibilité, couvrant un siècle d’observations entre 1868 et 1968.

Si le caractère scientifique de la démonstration peut être aisément mis en cause, les bizarreries de certains rapports entre ufonautes et témoins s’en trouvent au moins éclairées sur un point, les récits folkloriques anciens renvoyaient déjà au contenu de ce type de rencontres et les mécanismes qui avaient fait naître ces différentes croyances étaient les mêmes, le fait ovni étant conçu comme un folklore en formation.

En évoquant les récits du pays des fées ou les traits de la « gentilhommerie » irlandaise, et en évaluant ses matériaux au regard de tous les « points durs », les failles béantes et les incohérences des récits ufologiques, Vallée propose une hypothèse sur la nature fondamentale des ovnis, positivement révolutionnaire et qu’il ne quittera plus.

« [4]Le phénomène OVNI existe. Il a été avec nous tout au long de l’Histoire. Il est de nature physique et reste inexpliqué pour la science contemporaine. Il représente un niveau de conscience que nous n’avons pas encore reconnu et qui est capable de manipuler des dimensions qui dépassent le temps et l’espace tels que nous les représentons. Il affecte notre propre conscience humaine d’une manière que nous ne comprenons pas et il se comporte globalement comme un système de contrôle.

Parce qu’il peut manipuler notre conscience de manière inconnue, le phénomène produit aussi des effets que nous ne pouvons décrire que comme paranormaux (…).

Le phénomène OVNI joue un rôle important dans de nombreuses traditions mythologiques. Il a affecté nos religions et nos vues modernes sur l’univers. Il se peut qu’il nous trompe par les images qu’il nous présente, masqué comme il l’est sous différents déguisements dans différentes cultures : Dieu pour les anciens Hébreux ou pour les Mésopotamiens, elfe ou sylphe pour les chroniqueurs médiévaux, démon pour les Inquisiteurs chrétiens.

Il a pu également se manifester sous la forme de fantôme ou d’esprit frappeur devant nos grands pères à la fin du XIXe siècle ou sous l’aspect de la Vierge Marie pour les dévots catholiques. Aujourd’hui au sein de la civilisation technologique de la fin du XXe siècle, nous observons un phénomène qui surpasse nos astronautes et leurs brillantes combinaisons ou encore les nains à grosse tête de la science-fiction classique ».

Contrairement à ce qui sera prêté à de nombreuses reprises à l’auteur, Vallée ne niait pas la réalité physique du phénomène ovni, interagissant avec notre environnement. Il ne prétendait d’ailleurs pas plus révéler ce qu’étaient les ovnis. Il évoquait un modèle capable d’intégrer les modifications de forme au fil des siècles, – étrangement liées au rapport à la culture, à l’imaginaire et à l’état d’avancement technologique de la période dans laquelle il s’inscrivait -, la permanence historique, le caractère surnaturel ou paranormal de certains cas, les manifestes manipulations de l’espace et du temps liées au phénomène.

Prenant acte du phénomène ovni tel qu’il nous apparaît singulièrement dans les rencontres rapprochées avec un ovni et une entité, du mécanisme de l’apparition, similaire en cela à la dynamique du miracle religieux, de la multitude de types d’ufonautes observés, du nain négroïde velu semblable aux gnomes de la tradition médiévale à l’humanoïde de grande stature, et de l’absurdité de certains traits de l’équipage de l’ovni comme de leurs préoccupations ou propos tels que relatés par les témoins, Vallée note que « [5](…) cette attitude absurde a eu pour résultat d’écarter les hommes de science professionnels de l’endroit où cette activité avait lieu. Il a aussi servi à donner au mythe des soucoupes, ses harmoniques religieuses et mystiques ».

Dès sa sortie, l’ouvrage connaît des critiques violentes de ceux qui ne voient dans la théorie de Vallée qu’un retournement d’inspiration socio-psychologique.

Le crime intellectuel est en effet d’envergure. Vallée vient rien moins que de mettre en doute ce qui constitue déjà un nouveau paradigme chez les ufologues, l’hypothèse extraterrestre.

L’auteur, encore hésitant, formulera et affinera plus avant sa théorie dans les ouvrages qui suivront.

Les fondamentaux sont néanmoins énoncés. Les effets des ovnis dépassent très largement et trop souvent le cadre d’une hypothèse extraterrestre classique – une civilisation venue à l’aide d’un engin matériel d’un point distant dans l’univers – et contiennent une apparence paranormale plus globale.

La motivation de ces effets induits par le phénomène serait un puissant et mystérieux instrument de conditionnement.

Dans « Le collège invisible », il évoque ce système de contrôle et les différentes stratégies de camouflages qu’il adopte : « Je crois que le stade suivant du phénomène OVNI est l’implantation d’une croyance générale aux Extra-terrestres. (Cette croyance est déjà si forte que lorsque j’écrivis un livre aux Etats-Unis pour mettre en garde contre cette hypothèse simpliste, l’ouvrage que j’avais intitulé Passeport pour la Magonie fut traduit en français contre mon gré sous le titre : Chronique des Apparitions Extra-terrestres !

L’idée des visiteurs interplanétaires est donc déjà ancrée dans les esprits populaires, d’autant plus solidement que les savants sceptiques l’ont plus longtemps rejetée.)
Je crois donc que la croyance aux visiteurs extra-terrestres que l’on trouve chez les amateurs de « soucoupes volantes » est encore un piège par lequel le phénomène va donner de lui-même une explication acceptable, tout en masquant la nature infiniment plus complexe et peut-être inimaginable pour l’homme actuel, de la technologie qu’il met en œuvre ».

Dans ce même ouvrage, il évoque le triple camouflage auquel se livre le phénomène ovni.

Le premier camouflage serait, selon Vallée, le découragement des témoins par le biais des diverses pressions sociales et de l’attitude systématique de dénégation des autorités publiques. Le second camouflage consiste en la propension des pouvoirs publics à imposer une explication normative, fut-ce au détriment de l’intelligence et de la vérité. Le troisième et dernier camouflage serait inhérent au phénomène lui-même, qui susciterait directement les conditions de sa non prise en compte et apparaîtrait parfois sous des formes volontairement trompeuses.

Ce système de contrôle qu’évoque Vallée en filigrane derrière la théorie des trois camouflages sera la grande intuition de son existence, à laquelle il n’a jamais cessé de souscrire et avec lui de nombreux ufologues, malgré des contestations véhémentes des tenants d’une hypothèse extraterrestre plus « directe », dénuée en tous les cas de la composante paranormale, comme l’ufologue Gildas Bourdais.

Elle se fonde sur un socle de postulats qui se trouvent résumés dans un article[6] reproduit en annexe de l’édition française de son livre « Révélations »[7].

Vallée rejette les deux alternatives traditionnelles expliquant le phénomène ovni, l’inexistence du phénomène et l’hypothèse extraterrestre, sur la base de cinq arguments fondamentaux issus de ses recherches entamées dans les années 60.

Le premier argument est la fréquence des rencontres rapprochées, dont le nombre entre 1969 et 1990, était estimé par Vallée comme n’étant pas inférieur à cinq mille cas.

Ainsi, l’auteur s’interroge : « il est difficile d’imaginer des voyageurs de l’espace ayant besoin de se poser cinq mille fois sur une planète pour en analyser le sol, prélever des échantillons de la faune et de la flore, et en dessiner une carte complète ».

Notant que les observations d’ovnis signalées et rendues publics ne rendent compte que du dixième des observations réellement faites par la population, il estime que les chiffres « réels » se trouvent sans doutes fortement minorés.

Considérant divers travaux ufologiques établissant que le phénomène est majoritairement nocturne, apparaît principalement dans des zones faiblement peuplées, il en résulte selon Vallée que des ovnis se seraient posés environ quatorze millions de fois sur la Terre en quarante ans.

Deux objections sont à poser à ce premier argument. Postuler la validité de l’ensemble des observations d’ovnis telles que relatées par les témoins et même investiguées par les ufologues ne garantit pas que celles-ci renvoient à d’authentiques ovnis. Bien des cas apparemment inexpliqués et étranges ont reçu depuis des explications ou des hypothèses alternatives et conventionnelles recevables. Bien des enquêtes ultérieurement investiguées font émerger des scénarii normatifs parfaitement crédibles.

Sans réduire les ovnis à leur dimension socio-psychologique, il est impossible de ne pas admettre que bien des cas d’observations rapprochées, fussent-ils emblématiques, peuvent relever de la psychologie de la perception, de stimuli neurologiques ou de mésinterprétations.

Le chiffre assez abstrait donné par Vallée est donc plus que sujet à caution. Supposer ensuite que les ovnis ne soient là que pour explorer la planète et recueillir des échantillons est un raccourci que rien n’autorise. Faute d’avoir identifié la nature du phénomène, comment pourrait-on sérieusement déterminer la finalité ou les buts poursuivis, pour peu qu’il n’y en ait qu’un, des ovnis et de leurs éventuels occupants ?

Le second argument développé par Vallée est celui de la physiologie des ufonautes ou entités observées dans le cadre d’une rencontre rapprochée ou d’un enlèvement. Leur forme quasi systématiquement humanoïde exclurait l’HET par sa trop grande fréquence. Des arguments contredisent également cette vue.

Gildas Bourdais note par exemple que « [8]l’astrophysicien britannique Fred Hoyle avait fait une brillante démonstration de la rationalité de la forme humanoïde, dans son petit livre Hommes et galaxies (Dunod, 1969). Voici par exemple ce que dit Hoyle pour la tête (p. 37) :

« Remarquons ensuite que le cerveau est un fragile instrument qui doit se trouver encastré dans une sorte d’armure protectrice – des os, pourquoi pas ? Remarquons aussi que l’œil occupe le meilleur emplacement à une hauteur maximale au-dessus du sol, ce qui lui procure le champ de vision le plus étendu. Remarquons que cet œil doit être situé près du cerveau pour que les informations optiques y arrivent dans le minimum de temps. Qu’est-ce que cela donne ? Une tête, nécessairement ! ».

Bourdais évoque également le concept de « convergence des formes » en biologie, qui postule que l’adaptation statistique ou physiologique et éthologique dans le monde du vivant se traduit par une convergence des formes des organismes dans des milieux semblables ou des organes ayant en charge de remplir la même fonction, mais appartenant à des lignées différentes.

La forme humanoïde comporte indéniablement certains atouts, position verticale, organes de préhension et de locomotion, très bonne maniabilité des membres supérieurs, support de la tête pour avoir un crâne plus gros et lourd, etc. Il se peut donc que cette forme soit la plus aboutie, la plus fonctionnelle et ergonomique pour un développement intelligent à la surface d’une planète par exemple, bien qu’aucune théorie scientifique sérieuse à ce sujet ne vienne significativement éclairer le débat.

Le troisième argument constate que « le comportement rapporté dans des milliers de récits d’enlèvements est en contradiction avec l’hypothèse d’expérimentations génétiques ou scientifiques menées sur des humains par une race plus avancée ».

Selon l’auteur, le contenu médical ou prétendument génétique du scénario type des enlèvements cadre mal avec l’avancée technologique que semble mettre en oeuvre le phénomène.

Si pour Bourdais, « Toutes ces aventures font plutôt songer à un programme, soigneusement étudié, de dévoilement progressif, d’accoutumance à la présence de ces extraterrestres et à leurs agissements, comme s’il fallait nous y résigner », il convient d’être prudent sur la matière des enlèvements eux-mêmes.

Si les travaux du psychiatre John Mack ont pu laisser croire à une caution scientifique du phénomène, de sérieuses objections sur la réalité du phénomène demeurent recevables. Des ufologues comme Jacques Bernot et Michel Granger[9]considèrent que de nombreux facteurs peuvent expliquer l’ « épidémie », essentiellement américaine, des enlèvements extraterrestres.

Considérant la qualité des narrateurs – tels que Whitley Strieber, John Fuller ou Budd Hopkins – et la force émotionnelle des récits d’abductions, les théories de John Mack jugées contestables par les auteurs, la haute suggestibilité des récits obtenus sous régression hypnotique – fait unanimement reconnu par les spécialistes de la psychologie et de l’hypnose -, le scénario type de l’enlèvement, les distorsions mémorielles ou faux-souvenirs, le phénomène semble ressortir, selon Bernot et Granger, d’une mythologie moderne en formation comme le psychanalyste Carl Jung le suggérait en 1958[10].

Si des doutes sérieux demeurent sur la réalité physique du phénomène des abductions, l’argument de Vallée ne peut être déterminant en l’état actuel des connaissances, même si le questionnement est parfaitement légitime si l’on considère les milliers de témoignages évoquant cette même trame.

L’ancienneté historique du phénomène constitue le quatrième argument de Jacques Vallée contre l’hypothèse extraterrestre.

« S’il est possible d’établir que le phénomène s’est réellement manifesté tout au long de notre histoire, se bornant à adapter son apparence, mais non sa structure sous-jacente, aux concepts propres et aux cultures visitées, alors il y a bien peu de chances que nous ayons affaire à des extraterrestres étudiant la Terre ».

Outre que la présence, à l’échelle de l’histoire d’une civilisation, peut s’expliquer si l’on considère avec Vallée que l’intelligence en œuvre derrière les ovnis « accompagne » notre évolution ou se tien au fait de son avancée, il convient une fois de plus d’être extrêmement prudent avec les récits manipulés par Vallée et avec lui les néo-évhéméristes que nous avons évoqué.

Il ne s’agit nullement de ne pas prendre acte des ces faits anciens comme constituant un faisceau d’indices concordants, à considérer au regard de ce que nous savons des modernes observations d’ovnis. On constate d’ailleurs de façon indiscutable, que le phénomène apparaît bien avant son « éclosion médiatique en 1947.

Nous en sommes si persuadés et nous mesurons à ce point l’enjeu de ce simple constat que nous avons consacré un livre[11] à cette question des observations pré-arnoldiennes, selon la formule consacrée, c’est-à-dire celles précédant 1947.

Néanmoins, si l’on peut considérer avec un certain regard les dizaines d’articles concordants de la vague de 1896-1897 aux Etats-Unis ou la vague scandinave de 1946, il n’en est pas de même pour les phénomènes célestes relatés dans les anciennes chroniques.

Malgré toute la pertinence des similitudes relevées par Vallée entre certains récits folkloriques et certains autres récits de témoins d’ovnis, ces sources anciennes sont difficilement exploitables et ne constituent pas une « preuve » définitive de l’existence ancienne des ovnis.

C’est le cinquième argument qui se révèle être finalement le plus décisif et il apparaît comme l’aboutissement des constatations de Vallée lui-même, résolument persuadé que « l’apparente aptitude des ovnis à manipuler l’espace et le temps suggère des hypothèses radicalement différentes et plus riches… ».

Plus loin, Vallée synthétise les perspectives ouvertes par sa théorie :

« Au milieu des années 70, j’ai émis l’idée que les ovnis pouvaient être un système de contrôle, sans me prononcer sur sa nature possible (humaine, extra-humaine ou simplement naturelle).

Les exemples de systèmes de contrôle, qu’ils agissent sur le monde physique ou sur les sociétés, abondent autour de nous. On en trouve dans les mécanismes régulateurs de l’équilibre de la planète, ainsi que des processus écologiques et économiques. Certains d’entre eux sont très bien compris par la science.

Cette théorie présente deux variantes intéressantes :

1) une intelligence non-humaine, peut-être installée sur Terre, pourrait nous entraîner vers un nouveau type de comportement. Ce pourrait être le « phénomène Visiteurs » que décrit Strieber (1987)[12], ou une quelconque forme de « super-nature ».

2) Ou bien, dans une interprétation jungienne du même thème, l’inconscient collectif de l’humanité pourrait projeter une imagerie nécessaire à sa survie à long terme, bien au-delà des conflits sans précédent qui ont ravagé notre siècle ».

Mais l’hypothèse qui retient toute l’attention de Vallée est celle de visiteurs extraterrestres manipulant l’espace-temps, notamment pour voyager dans l’univers et pourquoi pas, dans le temps, ce qui expliquerait bien des aspects et surtout la permanence historique.

Ce qui donne, en tous les cas, pleinement raison à Vallée, est l’apparition au détour des années 90, de nouvelles formes d’ovnis gigantesques, apparaissant au dessus de zones urbaines fortement peuplées et semblant surgir de nulle part, quand ils ne disparaissent pas instantanément de la vue des témoins comme pour la vague belge, le 5 novembre 1990 ou les lumières de Phoenix (Arizona) en 1998.

Ces séquences de matérialisations / dématérialisations liées au phénomène ovni et le gigantisme des manifestations, excluant tout engin conventionnel, sont devenus des constantes des récentes observations d’ovnis.

Que le lecteur ne se méprenne pas sur les objections précédentes que nous avons pu formuler aux hypothèses de Vallée, ces contre-arguments n’enlevant rien à son intuition.

Plus que de nuancer sa démonstration scientifique à ce sujet, il s’agissait surtout de défendre l’agnosticisme en ufologie. Lorsque Vallée prétend être un des seuls ufologues à ne pas savoir ce que sont les ovnis, il rejoint, sans se renier, cette posture agnostique.

Avec les ufologues quoiqu’il en soit, le malentendu fut total. On en oubliait un peu vite qu’il ne s’agissait que de l’origine extraterrestre des ovnis qui était remise en cause par Vallée, et non la réalité physique, le caractère supra-humain et l’exotisme profond des ovnis. Situation paradoxale et délicate du plus grand penseur en ufologie avec Aimé Michel, que d’avoir été unanimement raté par l’essentiel de ses condisciples.

Néanmoins, qu’ils assument ou pas cette paternité, tous les ufologues postulant d’une conscience intelligente en œuvre derrière le phénomène ovni tel qu’il nous apparaît, sont les débiteurs de Jacques Vallée et du « système de contrôle », comme notamment Fabrice Bonvin et sa théorie de la matrice gaïenne[13].

Certains ufologues ont voulu faire de Vallée un debunker ou pire, un agent de la CIA.

L’hypothèse prête à rire lorsque l’on connait un peu les arcanes du renseignement et le personnage de Vallée lui-même. L’expatrié qu’il est n’en reste pas moins irrémédiablement attaché à la France et il est plus que douteux d’imaginer qu’une centrale de renseignement américaine ait confié de telles missions à un français. Il avait par contre le profil parfait de l’honorable correspondant des services extérieurs français, brillant, discret, introduit dans certains milieux scientifiques américains, détenteur d’informations de première main sur l’US Air Force, certaines innovations technologiques et aéronautiques puis sur l’industrie et l’innovation dans sa seconde carrière de capital-risqueur[14] dans la Silicon Valley.

Ce serait évidemment s’avancer fort loin que d’en faire un espion français mais il est néanmoins à peu près certain que l’homme fut approché dans ce sens, ponctuellement ou non, par certains services français.

D’autant que Jacques Vallée est extrêmement célèbre, notamment depuis que Steven Spielberg en a fait le modèle du scientifique Claude Lacombe en charge des ovnis dans son film « Rencontres du IIIème type » (1977), brillamment interprété par François Truffaut.

Il a également été étroitement mêlé aux débats conduits officiellement par l »’ONU en 1978, où il s’est efforcé avec sincérité de susciter une prise de conscience internationale.

Depuis les années 90, Vallée s’est retiré de la scène ufologique, n’intervenant que très ponctuellement sur ces questions. Il est néanmoins conseiller exécutif du NARCAP, National Aviation Reporting Center on Anomalous Phenomena, et conseiller scientifique du NIDS, National Institute for Discovery Science, organisation aujourd’hui rentrée en sommeil.

Président de l’Institute for the Future, un organisme de recherche spécialisé dans les prévisions à long terme des nouvelles technologies, Vallée est également membre du comité scientifique du fond d’investissement française Genopole, basé à Evry et spécialisé dans les génomes et la biotechnologie. Il a fondé sa propre société, SBV Venture Partners, un groupe de la Silicon Valley qui investit dans la haute technologie.

[1] Jacques VALLEE, Passport to Magonia, 1969. Trad. Chronique des apparitions extraterrestres, Paris, Denoël, 1972. rééd. J’ai Lu, 1974.
[2] Walter Ewans WENTZ, « The fairy-faith in Celtic countries » (La croyance aux fées dans les contrées celtiques), London, New York, H. Frowde, 1911 – une partie de l’ouvrage est disponible sur google books.
[3] L’intégralité de la base Magonie est disponible en ligne : http://www.ufoinfo.com/magonia/index.shtml
[4] Jacques VALLEE, « Science Interdite », op.cit., p.400.
[5] Jacques VALLEE, « Chronique des apparitions extraterrestres », J’ai lu, 1974, p.235.
[6] Jacques VALLEE, « Cinq arguments contre l’origine extraterrestre des OVNI », trad. De l’anglais par Joël Mesnard, Journal of Scientific Exploration, Pergamon Press, vol.4, n°1, p105 à 117.
[7] Jacques VALLEE, « Révélations : contact avec un autre monde ou manipulation humaine ? », Ed. Robert Laffont, 1992. (ed orig. 1990). / Réed. J’ai lu, coll. « L’aventure mystérieuse », 1992.
[8] Gildas BOURDAIS, « Les arguments de Jacques Vallée contre l’hypothèse extraterrestre (« HET ») », sur le blog ufologique de l’auteur. [http://bourdais.blogspot.com/2008/03/jacques-valle-et-lhypothse.html].
[9] Jacques BERNOT , Michel GRANGER, « Le problème des abductés ». R.F.P. (Revue française de Parapsychologie), 1999-2000, vol 1 n°3-4, p. 223-252.
[10] Carl JUNG, « Un mythe moderne », Gallimard, 1958.
[11] Thibaut CANUTI, « Un fait maudit, histoire originale et phénoménologique du fait ovni », JMG, 2007.
[12] Whitley STRIEBER, « Communion : The true story », Morrow 1987.
[13] Théorie ufologique et écologique promue par l’ufologue suisse Fabrice Bonvin, qui postule que le phénomène OVNI est un moyen de communication procédant d’une forme de conscience planétaire (une matrice gaïenne – de « Gaïa », déesse primordiale considérée comme la « Terre-Mère ») dont l’objectif est de susciter un changement chez l’espèce humaine qui soit favorable à son objectif de conservation de la vie.
Cf. Fabrice BONVIN, « OVNIs : Les Agents du Changement », JMG Editions, 2005 (préf. Jean Sider).
« OVNIs : Le Secret des Secrets », JMG Editions, 2006 (préf. Didier Gomez).
[14] Financeur en fonds propres intervenant auprès d’un nombre limité d’entreprises nouvelles et non cotées, le capital-risqueur est un intermédiaire financier original : il se positionne entre l’investisseur institutionnel et l’entreprise, sa rémunération provenant essentiellement de la plus-value réalisée à la vente de sa prise de participation. Il intervient directement dans la gestion stratégique et financière de l’entreprise.

La grande manipulation

Vallée est également un des premiers ufologues à affronter en face, et donc alerter l’opinion, sur la dangerosité des manipulations et dérives sectaires pouvant être associées à la croyance aux soucoupes.

« [1]J. Vallée — L’avenir ne m’inquiète pas, parce qu’il y a assez de jeunes qui ont une idée très claire de ce qu’ils veulent faire, qui ont grandi dans ce monde superficiel et qui veulent l’améliorer. Je pense que cela ira très bien pour eux. Ce qui m’inquiète, ce sont les accidents de parcours.

Il me semble que les croyances relatives aux ovnis ont un fort pouvoir de conversion aux plus hauts niveaux de la société : des hommes d’affaires, des gens qui travaillent au gouvernement traversent une conversion analogue à ce qui s’est passé au sein de Heaven’s Gate. Nous avons vu le même schéma se répéter trois fois : le Temple du Peuple, l’Ordre du Temple Solaire et maintenant Heaven’s Gate. N’est-il pas temps de sonner l’alarme ?

J. Vallée :

Vous et moi l’avons constaté en ufologie et en parapsychologie : les gens acceptent les systèmes de croyance en bloc, sans s’arrêter pour analyser le phénomène qu’ils étudient.

C’est une sorte de contagion, presque comme une épidémie de croyance pathologique ; cela se répand comme une épidémie. Pendant ce temps, le véritable travail de recherche, le genre de science que nous aimerions voir, ne se fait pas.

Nouvelle religion :

K. Harary — Ainsi, nous pouvons nous attendre à revoir la même chose ?

J.V. — Oui. Il est excitant d’envisager de nouvelles possibilités, mais il est aussi important de ne pas transformer en nouvelle religion ce qui devrait être une exploration scientifique abordée avec un esprit ouvert. Regardez les membres de Heaven’s Gate : ils posaient toutes les bonnes questions. Le seul problème c’est qu’ils ont trouvé toutes les mauvaises réponses ».

Cette préoccupation se retrouve au centre d’au moins deux de ses essais ufologiques, « La grande manipulation »[2], paru en 1983 et « Révélations », ultime opus de sa trilogie ufologique, paru en 1992.

Dans ce premier ouvrage, après avoir posé les ovnis comme un élément transcendant notre compréhension actuelle de l’espace-temps, il évoque le puissant conditionnement psychique induit par le phénomène et les nouvelles croyances soucoupiques, à l’origine d’une imposante mythologie du « Contact », agitées et manipulées par divers agents d’influence, groupes occultes ou services gouvernementaux notamment.

De ce point de vue, Jacques Vallée a mesuré une fois encore et avant tout le monde, la portée du phénomène sur la société.

De l’ordre de Melchizedek à la fondation d’Urantia ou Raël, il analyse les puissants ressorts de la croyance sectaire liée aux extraterrestres.

Les six conséquences sociales de la croyance aux ovnis, relevées par Vallée en 1983, font écho de nos jours aux suicides collectifs de l’Ordre du temple Solaire et au poids nouveau de l’église de Scientologie dans la société américaine singulièrement.


  • « [3]1. La croyance aux OVNI creuse le fossé entre le grand public et les institutions scientifiques (…)
  • 2. La propagande des Contactés affaiblit la conception qu’a l’homme de son libre arbitre vis-à-vis de son destin (…)
  • 3. La croyance aux OVNI renforce l’idée d’une unification politique à l’échelle mondiale. (…)
  • 4. Les organisations de Contactés pourraient constituer le noyau d’une nouvelle religion (…)
  • 5. Les motivations irrationnelles et la crédulité vont de pair avec la croyance en une intervention extraterrestre (…)
  • 6. Il existe très souvent une corrélation entre les philosophies des Contactés, le racisme et l’adhésion à des systèmes politiques totalitaires hostiles à la démocratie ».

« Révélations » évoque plutôt les manipulations gouvernementales et les « faux-dossiers » ufologiques.

Il y évoque pêle-mêle tout le folklore ufologique, du hangar 18 aux « Petits-Gris » détenus sur des bases américaines, en passant par le MJ-12, les théories de Doty, Lear et Cooper accréditant l’idée de puissantes conspirations ourdies au sommet de l’Etat, le dossier Ummo, l’affaire de Cergy-Pontoise et le célébrissime cas de Rendlesham que Vallée considère comme une manipulation gouvernementale.

Plus important, il y martèle une nouvelle fois ce qui devenu à ses yeux l’un des risques majeurs que l’ufologie et ses discours les plus à la marge font peser sur les individus et la société : « [4]Alors que nous approchons du troisième millénaire, la croyance à l’arrivée imminente des extraterrestres est un fantasme aussi puissant que n’importe quelle drogue, aussi révolutionnaire que l’attente de l’an mille, aussi empoisonné que n’importe quel soulèvement irrationnel de l’Histoire ».

C’est le grand mérite de l’œuvre de Vallée que de nous donner à voir le phénomène ovni en tant qu’événement sociologique, mouvement profond et structurant la société, avec les risques de dérives sectaires et de manipulations politiques que des chercheurs ont éclairé depuis sous des angles divers.

[1] « Secte, suicide et soucoupes volantes » – Entretien publié dans la revue « Anomalies » n°4 – Octobre 1998. Propos recueillis par le Dr Keith Harary – Traduction de Franck Périgny.
[2] Jacques VALLEE, « OVNI : la grande manipulation », éd. du Rocher, 1983.
[3] Ibid., pp.266-268.
[4] Jacques VALLEE, « Révélations : contact avec un autre monde ou manipulation humaine ? », J’ai lu, coll. « L’aventure mystérieuse », 1992. p.311.

Thibaut CANUTI


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