Conscience

Comment et pourquoi l’humanité demeure sujette aux états de possession

Les archétypes et l’inconscient

Conscience, intelligence, énergie, sont des termes inséparables de l’évolution cosmique et biologique.

La conscience individuelle, c’est-à-dire le « moi », n’est pas une image intérieure (celle-ci n’étant que la conséquence de l’identification de notre conscience avec des symboles extérieurs ou intérieurs), mais c’est plus précisément un processus dynamique de prise de conscience se renouvelant d’instant en instant.

Le moi est une fonction naturelle et partielle qui se structure progressivement pour permettre à l’individu d’exprimer, d’intégrer et de gouverner dans le monde ses sensations, ses sentiments, ses émotions et ses pensées.


Il ressemble au dieu Janus, une face tournée vers son intériorité et une autre vers les autres et le monde.

La fonction du moi consiste à relier PRATIQUEMENT les mondes intérieur et extérieur, c’est-à-dire soi et l’environnement. Cela n’est possible que si l’individu s’engage dans un processus d’élargissement de la conscience, dans un processus de connaissance où il voit défiler les contenus de la psyché, sans juger, sans rejeter, sans s’attacher.

Il faut savoir que toutes les formations psychiques non reconnues ont un effet de possession sur le moi.

Ces éléments psychiques se manifestent sous forme de complexes, c’est-à-dire de personnalités parcellaires, telles les personnifications de l’ombre, de l’anima et l’animus, qui sont des symboles archétypiques.

Les complexes peuvent aussi être des nœuds idéo-affectifs proches de notre histoire personnelle, ce sont par exemple des culpabilités (souvent illégitimes) imposées par l’environnement.


L’ombre, c’est la réaction de l’inconscient objectif face à l’oppression des complexes personnels et de nos modes de vie consciemment admis et intégrés à la personnalité du moi.

Distinguons les complexes personnels transmis par l’éducation (par ex. les fausses morales) et ceux que Jung a appelés autonomes.

Ces derniers surgissent de l’inconscient comme des réponses face aux conditions de l’existence, et s’ils ne sont pas reconnus et intégrés par le moi — parce que refoulés ou niés — ils envahissent la conscience individuelle et conditionnent, souvent négativement, la vie de l’individu. Ce sont généralement des personnifications des énergies archétypiques mettant en scène des images, des personnages, représentatifs de schèmes de comportements universels.

Toute identification du moi avec les images archétypiques de l’inconscient profond conduit à l’inflation du moi en même temps qu’à une dévalorisation des valeurs universelles sous-jacentes.

Par exemple, l’image de dieu est probablement porteuse d’une vérité universelle, peut-être d’un archétype de la totalité; mais l’identification du moi avec cette image peut amener l’individu à se sentir chargé d’une mission divine où, comme c’est trop souvent le cas, la fin justifie les moyens.

Cette identification inflationniste et inconsciente avec les contenus symboliques de l’inconscient conduit le moi à un état de possession.

Il est comme saisi de l’intérieur par des éléments irrationnels et incontrôlés, des humeurs se manifestant sous forme de personnalités autonomes, d’où le nom de complexe autonome.

Les contenus inconscients se réalisent concrètement par le moyen d’une double projection.

Par exemple, l’énergie archétypique du Soi — c’est-à-dire de l’homme universel, éternel en nous, de la totalité intérieure source d’ordre et de sens —, non reconnue consciemment et intégrée dans la lumière de la conscience individuelle, peut être projetée sur une idéologie ou sur un objet extérieur.

Cette énergie primitive est en quelque sorte reportée sur une image idéale imprégnée d’un sens reconnu par la collectivité, et faisant par exemple de l’individu un pseudo-prophète religieux ou un tyran, un saint ou un homme d’affaires cupide…

Mais, en même temps, tout ce qui fait obstacle à la réalisation des contenus inconscients sera projeté (négativement) sur un ennemi ou, plus gentiment, sur un adversaire extérieur.

Toute idéologie fanatique est imprégnée d’un désir pathologique de pureté qualifiée, à juste titre, de dangereuse par B-H Lévy.

En effet, la « pureté dangereuse » contient en son sein la peur de la contamination, laquelle est imputée aux autres qu’il faudra éliminer pour se protéger et aussi pour mener à bien la projection des contenus inconscients sur l’image idéale ou l’idéologie.

Un autre exemple significatif est l’archétype de l’anima qui contient matriciellement les qualités féminines de l’inconscient de l’homme.

Quand ces éléments psychiques ne sont pas intégrés dans la conscience, la nature féminine de l’inconscient de l’homme se personnifie dans l’image idéale de la femme. Celle-ci est projetée sur des femmes extérieures concrètes qui fascinent et envoûtent la conscience de l’homme. Cette projection positive est généralement accompagnée d’une projection négative sur la famille proche devenant l’obstacle à la réalisation de l’idéal.

« Le complexe autonome est au fond une fonction psychologique, qui usurpe (ou pour mieux dire qui possède encore) le caractère d’une personnalité, grâce à l’autonomie dont elle jouit et à son manque de développement psychologique. Mais nous entrevoyons déjà la possibilité de détruire sa personnification en la transformant en une manière de passerelle qui mène vers l’inconscient. C’est parce que nous ne les utilisons pas consciemment et intentionnellement comme fonctions que l’anima et l’animus sont encore des complexes personnifiés. Aussi longtemps qu’ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés en tant que personnalités parcellaires relativement indépendantes. Ils ne peuvent pas s’intégrer au conscient tant que leurs contenus sont ignorés de celui-ci. La confrontation doit amener leurs contenus au grand jour, et ce n’est que lorsque le conscient aura acquis une connaissance suffisante des processus de l’inconscient qui s’expriment et se reflètent dans l’anima que celle-ci pourra être ressentie comme une simple fonction. » (Jung, « Dialectique du moi et de l’inconscient« , p. 190).

Notons que dans la terminologie jungienne, l’animus est chez la femme le pendant de l’anima chez l’homme.

L’archétype de l’animus contient matriciellement les qualités masculines de l’inconscient de la femme.

C’est la nature masculine de l’inconscient de la femme.

La fonction de l’image archétypique est donc de permettre au conscient de dialoguer avec l’inconscient.

Mais ce dialogue n’est possible que si la conscience se différencie de l’image archétypique en retirant la projection et par là en détruisant la personnification pour la transformer en une espèce de passerelle fonctionnelle vers l’inconscient.

Le moi doit aussi accepter ses limites en se demandant, notamment, ce qu’il va faire et ce qu’il va devenir avec toutes ces images et affects qui s’imposent à sa conscience.

Une conscience qui accepte ses limites en assumant pleinement son rôle de témoin.

Dans ces conditions, l’individu réalise progressivement sa propre complétude en intégrant dans la conscience les contenus de l’inconscient.

L’homme n’est plus fasciné par l’image projetée de la femme, il l’aime réellement car elle concrétise, en son âme et en son corps, tout ce que sa conscience ne pourra jamais vraiment saisir c’est-à-dire la vie elle-même dans sa complétude.

Nous ne pouvons goûter la complétude, la vivre, que dans nos relations à l’autre, à la nature et à l’inconscient en tant que matrice de toute forme consciente.

C’est probablement ce qui fait dire à Jung: « il n’y a pas lieu de nourrir l’espoir d’atteindre jamais à une conscience approximative du soi; car, quelque considérables que soient les secteurs, les paysages de nous-mêmes dont nous puissions prendre conscience, il n’en subsistera pas moins une masse imprécise et une somme imprécisable d’inconscience qui, elle aussi, fait partie intégrante de la totalité du soi. » (Jung, « Ma vie« , p. 462).

Les complexes, en tant que personnalités parcellaires articulées autour de certaines idées forces et expériences affectives, sont nécessaires à la construction de modèles de comportement. En ce sens, les complexes sont, comme l’affirme Jung, des nécessités vitales.

Les problèmes s’originent dans l’autonomie dont jouissent encore certains complexes avec les caractères d’une personnalité indépendante qui, selon sa nature, est projetée sur le monde et autrui ou prend possession du moi. Dans cette situation, la conscience est progressivement vidée de son énergie et est littéralement envahie et gouvernée par des sous-personnalités autonomes.

« On suppose en général que les complexes ne sont pas normaux, alors que ce sont des nécessités vitales; le moi, le complexe du moi en est un exemple. Le moi est un complexe qui dispose d’énergie, qui est autonome et qui se sent libre (c.à.d. déterminé)… »

« Qu’est ce complexe du moi ? C’est un amoncellement de contenus imbriqués les uns dans les autres, doués chacun d’un potentiel énergétique, et centrés de façon émotionnelle autour du précieux moi. Car le moi a un effet puissamment attractif sur toutes sortes de représentations. Il peut même à lui seul occuper toute la conscience. On accède ainsi à une conscience de soi exclusive, mesquine et pénible, qui s’épuise dans la préoccupation et la perception de son comportement extérieur: on est possédé par son propre moi… »

« Mais il existe une différence primordiale entre les complexes en général et celui du moi en particulier: le moi est doué de conscience. Il peut de la sorte faire retour sur lui-même et se concevoir lui-même, alors que les autres complexes ne paraissent témoigner d’aucune conscience. Il est fort difficile d’ailleurs, pour ne pas dire impossible, de préciser si les complexes ont ou n’ont pas de conscience d’eux-mêmes. Il est fréquent que quelqu’un se livre à une action dont on pense qu’il l’accomplit consciemment, alors qu’elle a lieu à son insu. Cela est plus fréquent qu’on ne le croit. » (Jung, « L’homme à la découverte de son âme« , p.176).

Jung a remarquablement saisi cette situation intérieure qui place le moi dans un état pathologique de possession et motive, tant individuellement que collectivement, les plus grandes misères humaines. Pourtant, il a vu aussi que l’inconscient profond, sous certaines conditions, et surtout celle de la sauvegarde de la lumière de la conscience individuelle, pouvait être à la source des réalisations spirituelles les plus authentiques.

« Les thèmes archétypiques peuvent éblouir et fasciner aussi bien que créer des valeurs culturelles; ils peuvent conduire aussi bien au massacre fondé sur l’idéologie ou la folie collective qu’à des réalisations spirituelles. Le problème est ici de savoir si l’individu saura conserver intact son moi conscient ou s’il succombera à l’énorme charge émotionnelle que possèdent toutes les représentations archétypiques, provoquant la désintégration partielle ou totale de son moi conscient.

Les guerres de religion, les luttes et les persécutions idéologiques d’hier et d’aujourd’hui révèlent d’une façon impressionnante à quel point l’humanité demeure sujette aux états de possession.

Jung a montré que la plupart des maladies mentales graves consistent en définitive en ce que le conscient est bousculé par des contenus archétypiques qu’il ne peut pas intégrer par suite d’une certaine faiblesse. Plus le conscient est étroit, rationaliste et rigide, plus le danger est grand. Le contenu archétypique constellé dans de telles situations individuelles ou collectives est à la fois le grand danger et le salut, car chaque fois qu’un tel élément s’éveille et exerce sa pression à partir de l’inconscient, c’est que son apparition est indispensable pour compenser une unilatéralité du conscient. Toutefois, c’est seulement dans et par l’individu qu’il peut être reconnu et intégré. » (M-L Von Franz, Dans « Jung, son mythe en notre temps »).

Il est utile de voir clairement que le processus de compensation (ou fonction compensatrice de l’inconscient) mis en évidence par Jung montre que l’inconscient compense spontanément l’unilatéralité de la conscience.

Il faut entendre par attitude consciente le style de vie que l’individu reconnaît et affirme comme étant le sien, c’est l’image de soi.

« En chacun de nous existe ainsi une image de nous-mêmes, qui chevauche et imprègne, comme une présence fantomale, le flot de nos impressions sensorielles et chacun de nous, en la considérant, se dit: « cela, c’est moi, je suis cela, je suis moi ». » (R. Fouéré).

Au fond, c’est la forme de vie consciemment choisie (même si c’est une adaptation aux contraintes du milieu), c’est le moi conscient indissociable des mobiles inconscients qui en constituent la face cachée (par ex. certains sentiments de culpabilité).

L’ombre, c’est l’autre versant du moi, c’est une personnification relativement autonome des tendances opposées à celles du moi conscient et bien sûr incompatible avec la forme de vie consciemment choisie.

C’est cela qui fait dire à Jung: « En tant qu’élément de l’inconscient personnel, l’ombre procède du moi; mais en tant qu’archétype de l’éternel « antagoniste » il procède de l’inconscient collectif. » (Jung, « Ma vie« , p.459).

Inconscient collectif ou objectif, c’est-à-dire dont les contenus constituent les fondements de la psyché en soi et ne relèvent pas de la personnalité individuelle.

Comme les images visuelles émergent dans un premier temps d’une rencontre entre un système nerveux et le réel extérieur, on peut dire, par analogie, que l’ombre émerge de la rencontre de l’inconscient objectif avec le moi conscient.

C’est la raison pour laquelle l’ombre, en tant qu’élément de l’inconscient personnel, relève du moi et est donc différente pour chacun; mais en tant qu’archétype de l’éternel « antagoniste », elle procède de l’inconscient objectif et est donc identique chez chacun.

La fonction compensatrice de l’inconscient n’apporte pas de solutions.

Elle est, au contraire, source de conflits intérieurs puisqu’elle produit des éléments psychiques incompatibles avec la forme de vie consciente. Cependant, la mise en présence de termes incompatibles est un appel à la transcendance, au dépassement de soi, à ce que Jung appelle l’avènement du troisième terme ou fonction intuitive de l’inconscient objectif.

L’anecdote suivante, bien qu’elle ne soit pas propre à l’ombre, ne manque pas d’intérêt:

« Comment êtes-vous parvenu à vos découvertes ? demandait-on à Newton. »

« En y pensant toujours », répondit-il.- Et il s’expliquait: « Je tiens le sujet de ma recherche constamment devant moi et j’attends que les premières lueurs commencent à s’ouvrir lentement et peu à peu jusqu’à se changer en une clarté pleine et entière. » (Cité par A. Jeandidier, « La connaissance humaine« , p.40).

Plus avant, dans le même ouvrage, on pourra lire:

« Trois degrés se distinguent dans l’activité du psychisme. Tout au bas, dans les opérations de la vie courante: un automatisme légèrement soutenu par la pensée. Au-dessus: la pensée qui s’explicite en discours, qui se réalise en images, qui se développe en raisonnement. Tout au haut, enfin, au degré supérieur de la vie mentale apparaissent ces intuitions inexprimées qui précèdent souvent nos actes ou nos élaborations intellectuelles. Il semble que l’intuition précède la formule et de beaucoup la dépasse. »

Dans le contexte des conflits psychiques, la fonction intuitive de l’inconscient ne peut s’actualiser qu’à la condition de rendre l’ombre consciente, et d’accepter pleinement les éléments psychiques incompatibles avec le moi comme faisant partie à part entière de nous-mêmes.

Il ne s’agit ni de négliger l’ombre, encore moins de la refouler et sûrement pas de l’identifier au moi.

C’est en intégrant consciemment toutes les formes de vie qui nous habitent, en supportant le conflit sans trancher en faveur d’un terme au détriment de son opposé, que le moi finit par accepter ses limites, par supporter le conflit et par attendre en confiance ce que Jung appelle le troisième terme.

« Jung appelle troisième terme le facteur inattendu qui survient. Il était logiquement imprévisible et se présente dans un mouvement qui dépasse les termes du conflit. »

« Jung découvrit que la croissance vient de l’inconscient et qu’elle a lieu dans la relation paradoxale d’un sujet conscient, le moi, et d’un sujet inconscient, qu’il appela plus tard le soi. »

« Sous forme d’un symbole, d’une pente d’énergie, d’un nouveau point de vue, c’est finalement la relation du moi et du soi qui est la chose nouvelle, c’est le sujet qui sort du conflit. »

« Les dynamismes inconscients sont dans un rapport compensatoire avec le conscient. Lorsqu’ils provoquent un conflit, ils ont aussi la capacité, si le moi supporte les tensions, de proposer un symbole, une nouvelle orientation, un dépassement imprévisible de la situation. Ils manifestent alors l’existence d’un centre inconscient de la personnalité. » (Humbert, dans « Jung« , p.41).

Dans le même ouvrage, page 125, on lira:

« On peut donc considérer l’individuation comme un processus qui sous-tend la durée de la vie et qui se transforme quand il devient conscient, c’est-à-dire, pour Jung, quand le moi fait l’expérience de l’inconscient collectif. Cela se produit le plus souvent lors de la rencontre avec l’ombre, ou dans la différenciation de l’anima et de l’animus d’avec leur projection; et toujours sous la forme d’un conflit où le moi se transforme (…) L’individuation suppose que l’on reconnaisse l’existence du centre inconscient de la personnalité et que l’on s’accorde avec lui. C’est cela « être entier ». La coordination du moi et du soi réalise la totalité, quelles que soient les blessures et les manques. Car il ne s’agit ni de tout avoir ni d’être tout, mais d’exister selon une structure où jouent des principes opposés. »

On voit que la fonction compensatrice de l’inconscient objectif conduit inévitablement au conflit.

Celui-ci peut être une condition de progrès et un appel à la transcendance si le moi accepte ses limites en se tenant à distance des opposés, et aussi en différenciant les images archétypiques de leurs projections afin de les transformer en une espèce de passerelle vers l’inconscient.

Alors seulement on peut envisager un état se situant au-delà du conflit et non, par un processus de régression, en deçà.

La fonction intuitive s’éveille, et avec elle le processus d’individuation c’est-à-dire l’aspiration à « être entier », dans l’acceptation et l’intégration au sein de la conscience, par les fonctions de l’intellect, de l’image et de l’émotion, des termes contradictoires qui nous habitent.

Cette pratique de la contradiction n’est pas une régression mais un dépassement du conflit par l’activation de la fonction intuitive de l’inconscient objectif.

INCONSCIENT OBJECTIF ET IMAGES/SENSATIONS DU REEL EXTÉRIEUR

On peut avancer l’idée que deux réels nous sont donnés: le réel extérieur (l’environnement) et le réel intérieur (les fondements du corps et de l’esprit).

Ces deux réels ne se manifestent pas directement à la conscience. Nous les appréhendons indirectement par l’intermédiaire des sensations, des images, des sentiments, des intuitions.

D’abord les canaux sensoriels captent les éléments matériels d’information du réel extérieur. Le cerveau, en recevant ces diverses informations, crée des images et des sensations. Ce monde de la conscience, à l’intersection de soi et du réel extérieur, est un lieu que nous créons et que nous habitons.

Boris Cyrulnik, dans son livre « L’ensorcellement du monde » dit:

« Tout organisme invente le milieu qu’il habite. Le papillon donne forme, en le percevant, à un milieu cosmique, lumineux et phéromonal qui le gouverne. Et l’homme engendre un milieu composé par ses représentations sensorielles, imagées puis verbales qui structurent son destin d’homme, et non pas de papillon (…) Si l’on s’entraîne à penser la condition humaine comme un corps capable de produire un monde virtuel et de l’habiter en l’éprouvant réellement, le corps, l’alentour et l’artifice seront conçus comme un ensemble fonctionnel: un individu poreux, pénétré par un alentour sensoriel, que structure l’artifice. »

« L’homme est deux fois ensorcelé: par l’évolution qui façonne son monde et suscite la pensée qui façonne son monde. » (p. 13).

Il existe aussi un réel intérieur auquel nous (la conscience) n’avons pas directement accès.

Nous l’appréhendons indirectement par l’intermédiaire des sentiments, des intuitions, des images porteuses de modèles de comportement. Ces dernières sont à distinguer des images optiques, liées directement au système visuel, qui sont des modèles du monde et non des modèles de comportement.

L’inconscient objectif, en recevant des sensations, des images visuelles (modèles du monde), mais aussi des images associées à des affects (tu es courageux, intelligent…) que les autres nous renvoient de nous-mêmes, crée des sentiments, des émotions, des modèles de comportement, des intuitions.

Ce monde de la conscience, à l’intersection de l’inconscient objectif et de notre représentation du monde et de nous-mêmes, est encore un autre lieu que nous créons spontanément et que nous habitons. C’est un lieu chargé de sens, de significations individuelles et collectives qui gouvernent l’action dans un lieu où le corps, l’environnement et la création de conscience sont indissociables.

Sentir la faim, sans plus, conduit à une impasse si cette sensation n’éveille pas dans l’inconscient objectif et les mémoires acquises des modèles de comportement qui pourront l’assouvir (par ex. le modèle comportemental de prédation). Sans l’action, gouvernée par des modèles de comportement d’abord innés et puis perfectibles, les sensations et images du réel extérieur n’auraient aucune raison d’être.

La sensation de faim ne peut se manifester que dans un organisme porteur d’un modèle de comportement (action sur le milieu) qui permettra d’assouvir les besoins de la société cellulaire organique et donc la survie. Étant bien entendu que tout modèle de comportement peut se complexifier en s’imprégnant du matériel de l’expérience consciente.

Certains modèles de comportement sont comme des possibilités de préformation ne pouvant s’actualiser concrètement que sous couvert d’un apprentissage dans le milieu. Cette situation est variable d’une espèce animale à une autre et à fortiori chez l’homme, puisque beaucoup de ses activités sont dépendantes d’un apprentissage plus ou moins long.

Je songe en particulier à l’apprentissage du langage parlé, mais ceci n’interdit pas l’hypothèse d’un « inconscient objectif » porteur de possibilités ou de matrices innées de préformation complémentaires à l’apprentissage. De cette complémentarité intérieure/extérieure émergent des qualités spécifiques.

Cette création de conscience, entre l’inconscient objectif et nos représentations du monde et de nous-mêmes, gouverne nos comportements dans la vie quotidienne.

S’il n’y avait pas une matrice objective pour accueillir nos représentations du réel extérieur, nos images des autres, de nous-mêmes et du monde, celles-ci, livrées à elles-mêmes, conduiraient à une impasse d’où l’action serait absente.

Le cerveau, alimenté par les canaux sensoriels, reçoit les éléments matériels d’information de l’environnement pour les imager subjectivement sur tissu vivant. Dès lors que l’inconscient objectif reçoit cette multitude d’images, il crée spontanément des personnages, des imageries symboliques, des modèles de comportement, imprégnés par les contenus culturels d’une société donnée et par le matériel de l’expérience consciente, que le moi (centre de la conscience) doit, autant que possible, intégrer.

C’est par la sauvegarde de la lumière de la conscience individuelle que les contenus imagés de l’inconscient objectif, différenciés de leurs projections, peuvent assumer pleinement leur fonction médiatrice entre le moi et l’inconscient.

Et finalement entre le moi et le Soi, compris comme archétype de la totalité, comme réceptacle matriciel de tous les opposés vécus par une conscience acceptant les conflits de la vie en se gardant bien de s’identifier aux contenus psychiques, et toujours en différenciant ces derniers de leurs projections.

Il s’agit là des deux conditions qui incombent à la conscience (au moi) afin de créer et de maintenir le dialogue avec l’inconscient objectif.

Le but du dialogue est évidemment l’accomplissement sans cesse régénéré du Soi.

Enfin, il est peut-être utile de définir le sens du mot projection: un mécanisme psychologique par lequel l’individu perçoit chez autrui, dans des situations données, des idéaux ou, plus généralement, dans le monde extérieur, des contenus psychiques non reconnus et intégrés par le moi.

Les contenus non reconnus consciemment sont très souvent personnifiés (les complexes autonomes) et non différenciés de leurs projections. Reconnaître et accepter ces contenus en tant que personnalités parcellaires relativement indépendantes, ainsi que les différencier de leurs projections, sont les premiers pas indispensables à une connaissance suffisante des processus de l’inconscient en vue de maintenir dans la lumière de la conscience individuelle l’inévitable rencontre entre le moi et l’inconscient.

Dans ces conditions, la rencontre se mue en dialogue qui est dépassement des termes contradictoires.

Enfin, il est utile de ne pas confondre le mécanisme de projection avec celui du transfert.

Dans la projection (qu’elle soit positive ou négative), le monde extérieur devient le réceptacle de contenus psychiques non reconnus et acceptés par la conscience; tandis que dans le transfert, l’individu va transférer l’expérience originelle qu’il a d’une personne ou d’un événement sur d’autres personnes ou événements.

Dans ces conditions, l’individu s’attend à vivre telle expérience (sensations, sentiments, émotions…) dès que surgit une personne, un événement, ou un objet associé à un vécu passé. Différencier les images de leurs projections permet un dialogue authentique avec l’inconscient; tandis que retirer les transferts rend possible un vrai dialogue (libéré des résidus du passé) avec les événements et autrui.

Mais à bien y réfléchir, cette distinction n’est pas aussi nette car projection et transfert, bien qu’étant des mécanismes psychologiques différents, sont tous deux des entraves, avec des nuances quantitatives, au dialogue entre le moi et l’inconscient ainsi qu’au dialogue entre le moi et le monde extérieur (autrui, événements…).

Le point culminant de cet état dysfonctionnel se situe dans la rupture radicale de tout dialogue. L’individu est alors coupé de la réalité extérieure et possédé par les images archétypiques de l’inconscient collectif que la conscience ne peut différencier de leurs projections et auxquelles elle s’identifie.

Les contenus de l’inconscient personnel sont inhérents à la biographie de l’individu et sont donc susceptibles de devenir conscients.

Par contre, ceux de l’inconscient collectif (ou objectif) constituent les fondements de l’activité psychique en soi.

Plus on va profond dans l’inconscient collectif, plus les contenus se vident de toute qualité individuelle pour finalement se perdre dans les instincts et les archétypes fondamentaux, dans le système nerveux végétatif, dans la chimie organique, et finalement dans le monde quantique. Comme l’exprime Jung: « Au plus profond d’elle-même, la psyché n’est plus qu’univers » (dans « Ma vie« , p.457).

Quelques définitions de Jung extraites du livre de Humbert, « Jung« , p.105 et suivantes.

« Les représentations archétypiques que nous transmet l’inconscient ne doivent pas être confondues avec l’archétype en soi. »

« Quoique nous avancions de l’archétype, ce sont toujours des illustrations ou des concrétisations qui appartiennent à la conscience. »

« Il est impossible de donner une interprétation universelle à un archétype. Il faut l’expliquer conformément à la situation psychologique de l’individu particulier. »

« Les archétypes sont, pour ainsi dire, les organes de la psyché. »

« L’archétype est un organe psychique présent chez chacun, un facteur vital pour l’économie psychique. »

« L’archétype est un organisme qui vit de sa vie propre, doué de force génératrice. »

Humbert nous dit que « l’idée d’organe est excellente parce qu’elle exprime bien l’activité constante de l’archétype et le rôle qu’il tient dans l’équilibre de l’être vivant. Jung y ajoute une comparaison avec l’œil, qui écarte définitivement toute notion de modèle: les images archétypiques sont aussi différentes de l’archétype que les images optiques le sont de l’œil, les unes et les autres se forment dans la relation entre l’organe et l’objet » (p.106).

Les citations ci-dessus évoquent l’immense richesse de l’inconscient objectif.

Car, au même titre que l’appareil optique et le territoire cérébral correspondant peuvent créer une infinité d’images pour autant que le contexte extérieur réel change, l’inconscient collectif peut partiellement se personnifier, s’imager, se symboliser, dans une infinitude de représentations pour autant que le conscient ne reste pas confiné dans une forme de vie rigidement déterminée.

Ceci montre une fois encore à quel point le monde que nous habitons est création de conscience à l’interface de soi et du monde ainsi que du conscient et de l’inconscient.

En escamotant inévitablement l’extraordinaire complexité du processus de création de conscience, on pourrait dire que dès qu’un organisme rencontre un environnement, des sensations et des images se révèlent. Celles-ci rencontrent l’inconscient objectif et ses « organes » archétypiques d’où émergent spontanément d’autres éléments psychiques qui vont structurer le moi, puis d’autres encore qui exprimeront une incompatibilité radicale avec le moi conscient.

Si le moi, en acceptant ses limites, intègre les contenus de l’inconscient objectif et supporte le conflit imposé par les termes contradictoires mis en présence, d’autres éléments psychiques, incluant et dépassant les précédents, émergent.

C’est ce que Jung appelle le processus d’individuation qui sous-tend la durée de la vie et qui se transforme quand il devient conscient, c’est-à-dire quand le moi fait l’expérience du processus de la création de conscience à l’interface de soi et du monde, du conscient et de l’inconscient (la collaboration conscient/inconscient engendrant toujours un peu plus de conscience), du bien et du mal.

Les archétypes ne sont pas seulement à la base des images de personnes (le héros, la sorcière…), mais aussi à la base des images de processus (la naissance, la mort…) et encore à la base des structures formelles (le mandala, le cercle, l’harmonie du langage, des nombres, de la musique…).

Comme l’œil et le territoire cérébral correspondant transforment en images signifiantes le rayonnement électromagnétique, les archétypes — dont on suppose l’existence — permettent de comprendre pourquoi une perception sensorielle particulière déclenche une réaction utile à la survie de l’individu ou de l’espèce.

Songeons par ex. au comportement de prédation face à une proie, à la recherche d’un partenaire sexuel, à la fuite ou à l’agression…

Affirmer que le monde que nous habitons est création de conscience ne nie pas l’existence objective des deux réels qui nous sont donnés: le réel extérieur, l’environnement énergétique qu’en soi nous ne connaîtrons jamais et le réel intérieur, l’inconscient objectif qu’en soi nous ne connaîtrons pas plus.

Notre existence, ce que nous ressentons, ce que nous vivons, se passe à l’interface de ces deux extrémités inconnues et cependant indissociables de la conscience. Cette dernière est le symbole d’un coefficient d’équivalence entre soi et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur, l’esprit et la matière.

C’est dans et par la conscience que les opposés s’unissent, se dépassent pour enfanter un autre niveau de réalité appelé communément: NOTRE monde c’est-à-dire l’univers magique de la conscience.

Soi (impliquant le réel intérieur), le réel extérieur, la conscience, s’originent peut-être à partir d’un fond commun, d’où l’impossibilité d’appréhender séparément un de ces trois termes car ils s’impliquent mutuellement, ils s’entrelacent dialectiquement.

Dominique Casterman est chercheur et auteur indépendant.

Parmi ses livres:
L’envers de la raison / Dominique Casterman – Ed.: 1989
L’intelligence de l’univers / Dominique Casterman – Ed.: 1991
Au-délà du monde visible, ou, Le sens voilé de l’homme et de l’univers / Dominique Casterman; préface de Robert Linssen – Ed.: 1996
La passion philosophique : pour mieux comprendre la place de l’homme dans l’univers / Dominique Casterman – Ed.: 1998


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